Ces lieux dont on parle

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Le développement du tourisme national chinois. L’exemple de la région autonome du Guangxi

Le tourisme national (1) chinois prend son essor à partir de la fin des années 1990. Pourtant, ce tourisme en plein développement reste trop peu étudié alors qu’il engendre des flux massifs, visibles à l’échelle du monde. Cela conduit à changer notre regard sur le tourisme en Chine, et notamment à nous demander dans quels lieux le tourisme national se développe.

Éléments de cadrage: le tourisme international et la Chine

La Chine est, depuis peu, un géant touristique en Asie: elle «émet» deux fois plus de touristes que le Japon. Trente-six millions de Chinois sont en effet partis, en 2006, faire du tourisme à l’étranger (contre dix-sept millions de Japonais en 2004). Parmi ces touristes internationaux chinois, environ sept cent mille se sont rendus en France en 2006: généralement au cours de voyages en groupe de deux semaines lors desquels ils visitent souvent plus de dix pays, avec un unique accompagnateur interprète.

1. Les recettes et les circuits du tourisme international

Mais les flux dominants sont entrants: la Chine est depuis 2005 — devant l’Allemagne — la cinquième destination du tourisme international: 46,8 millions de touristes internationaux ont rapporté 33,9 milliards de dollars US à l’État chinois en 2006 (mais 79 millions de touristes en France — la première destination du tourisme international — et 42,9 milliards de dollars US la même année). La popularité croissante de cette destination est indéniable: le nombre de touristes internationaux augmente de 10 millions tous les cinq ans depuis 1990, avec une accélération à partir de l’année 2000 (plus 15 millions de touristes entre 2000 et 2005).

Le tourisme international en Chine est encore majoritairement asiatique: Hong Kong, Macao et Taiwan représentaient 56,7% des touristes en 2006 et le reste de l’Asie 26,7%. L’Europe est le deuxième pôle émetteur (10,2%), les Amériques le troisième (4,6%) alors que l’Océanie et l’Afrique ne pèsent que 1,7% du total de cette même année. Les circuits du tourisme international restent très standardisés, notamment à cause de la barrière de l’idéogramme. Ce sont donc les tours opérateurs spécialisés, eux-mêmes tributaires des agences locales, qui fournissent l’ensemble des services. Ainsi, les provinces où sont situées les villes de Canton, Shanghai et Pékin correspondent respectivement aux trois premiers postes de recettes du tourisme international (carte 1).

Le tourisme national chinois prend son essor

Malgré l’importance du tourisme international, on ne peut qu’être frappé par le développement du tourisme national. Certes, le tourisme n’est plus une manifestation «bourgeoise» de la société depuis l’ouverture du pays en 1978, mais il ne se développe réellement qu’au début des années 1990, lorsque la Chine commence à s’enrichir et qu’une petite classe de nouveaux riches apparaît dans les principales métropoles. Le gouvernement, désireux d’entretenir un «développement continu» (kechixu fazhan), lance alors une série de mesures pour développer l’économie touristique au sein du pays: réduction du temps de travail en 1995 de 44 à 40 heures hebdomadaires et mise en place de congés payés annuels en 1999, en trois périodes de 5 jours, fixées par le gouvernement, les «semaines d’or» (huangjin zhou).

Photo 1. La découverte de la plage «d’argent» à Beihai
(cliché B. Taunay, 2006)
Photo 2. La foule dans la ville de Yangshuo pendant une «semaine d’or» (cliché B. Taunay, 2006)

Les statistiques officielles décomptent plus d’un milliard de touristes au cours de ces trois périodes en 2006 mais, comme le gouvernement ne distingue pas encore les «visiteurs» des «touristes» (2), ces chiffres ne sont pas très significatifs. En considérant que le tourisme national chinois est le reflet des pratiques de la classe moyenne (dans son acception la plus large), l’ordre de grandeur est vraisemblablement de 300 millions d’individus (3). Ce tourisme est le reflet d’une révolution des habitudes de vie en Chine: l’avènement d’une civilisation des loisirs, du temps libre, corrélé à l’augmentation du niveau de vie d’une partie de la population est un fait évident depuis la fin des années 1990.

Mais quels sont les lieux que fréquentent préférentiellement les touristes chinois? Nous évoquerons ici l’exemple du Guangxi pour donner quelques éléments de réponse. Le Guangxi, région «autonome» (4), est une province littorale du Sud, traversée au niveau de sa capitale Nanning par le tropique du Cancer. Ses paysages sont particulièrement réputés.

Le littoral du Guangxi: un tourisme peu actif

Le tourisme s’est-il développé d’abord sur le littoral du Guangxi, selon un schéma balnéaire fréquent en Occident? En fait, Beihai, la ville de la côte, ne reçoit que 3% des touristes chinois qui se rendent dans la province (environ 300 000 touristes). Et les touristes qui viennent à la plage y passent 1,65 jour en moyenne seulement, pour un tourisme qui reste de découverte (photo 1). Contrairement au cas français, la plage n’est qu’une destination secondaire en Chine. Dans le cas de Beihai, le tourisme est d’ailleurs très «régional»: 57% des touristes sont originaires du Guangxi (dont 35% pour les trois principales villes de la province: dans l’ordre Nanning, Liuzhou et Guilin, respectivement à 250, 450 et 750 km de Beihai) (carte 2). Le deuxième principal pôle émetteur est la province voisine du Guangdong et la ville de Canton (18,5% en 2006, à 8 heures de bus de Beihai).

2. Provenance des touristes chinois à Beihai en 2006

La plage n’est réellement fréquentée par les touristes que pendant les «semaines d’or». Bien que la municipalité fasse des efforts de développement (déplacement du centre-ville dans les années 1990 et mise en valeur de la plage depuis 1999), la ville et sa plage restent des lieux touristiques secondaires.

En fait, et malgré les efforts de la municipalité, la ville n’est encore qu’une «porte de sortie»: Beihai est un point de départ, non un but. En effet, les touristes en partent souvent pour une croisière vers le Viêt-Nam ou vers les îles de Weizhou et Hainan, si bien que la plage que les pouvoirs locaux ont baptisée «la plus belle sous le ciel» (tian xia di yi tan) attire peu.

À l’intérieur des terres: le «plus beau paysage sous le ciel»

La vraie capitale touristique du Guangxi est intérieure: c’est Guilin. Célèbre en Chine (mais aussi à l’extérieur: un million d’étrangers la visitent chaque année) (carte 1), la région de Guilin est considérée comme abritant «le plus beau paysage sous le ciel» (guilin shanshui jia tian xia), la quintessence du «paysage à la chinoise» (Berque, 1995). La ville et sa périphérie concentrent 90,9% des touristes se rendant dans la province du Guangxi (5). Contrairement à la ville de Beihai, les touristes sont originaires des plus grandes métropoles du pays (carte 3).

3. L’espace touristique du Guangxi en 2006

Guilin est donc le cœur touristique de la région. Au début des années 1980, les cadres du parti, alors seuls touristes ayant les moyens de venir à Guilin, suivaient l’unique circuit existant, «3 collines, 2 grottes, 1 rivière» (san shan, liang dong, yi jiang), qui correspondait à la visite des paysages karstiques autour de la ville, au cours d’une croisière de 63 km sur le fleuve Li, où «le paysage évoque une galerie de peintures» (shanshui xiangyi hualang) (carte 4).

Cette croisière est toujours l’attraction principale, mais la municipalité — seul aménageur — a mis en place de nouveaux circuits et une couronne touristique s’est créée autour de Guilin. Le but est de faire rester les touristes plus longtemps, pour augmenter les ressources financières et accompagner le développement économique. L’argument est celui du «plus beau»: pour la quasi-totalité des lieux de cette ceinture, on mobilise la réputation exceptionnelle des paysages de Guilin afin d’attirer les touristes. «Incomparable sous le ciel», «paysage digne d’une galerie de peinture», la liste des qualificatifs est longue. La valorisation de ces nouveaux lieux mis en tourisme repose donc toujours sur le paysage «à la chinoise». Ils restent toutefois moins courus que les «hauts lieux» (Guilin et Yangshuo, photo 2), mais attirent les jeunes générations de touristes chinois. Ces derniers n’ont pas le même regard sur le tourisme que leurs aînés et leur mot d’ordre est, à l’exemple de la devise en couverture des guides touristiques qu’ils ont en main, «ne pas suivre la voie des autres». La nouvelle génération adopte des circuits et des lieux nouveaux afin de se différencier de ses aînés.

4. La descente de la rivière Li, le principal axe touristique du Guangxi (clichés B. Taunay, 2006)

Ces quelques constatations nous permettent de montrer que l’essor récent du tourisme national procède au Guangxi par réinvestissement de lieux déjà connus — avec toutefois un notable élargissement des périmètres visités: les grands circuits restent centrés sur des «hauts lieux» traditionnels du patrimoine paysager chinois. Le tourisme balnéaire reste balbutiant et pour l’instant très local.

Benjamin Taunay

Références bibliographiques

BERQUE A. (1995). Les Raisons du paysage, de la Chine antique aux environnements de synthèse. Paris: Hazan, 192 p. ISBN: 2-85025-390-1

BUREAU DU TOURISME DE BEIHAI (2007). Rapport sur les résultats des enquêtes auprès des touristes nationaux (en chinois).

BUREAU DU TOURISME DE LA MUNICIPALITÉ DE GUILIN (2006). Annuaire statistique du tourisme à Guilin.

BUREAU DU TOURISME DE LA RÉGION AUTONOME ZHUANG DU GUANGXI (2006). Annuaire statistique du tourisme au Guangxi.

BUREAU DU TOURISME DE LA RÉGION AUTONOME ZHUANG DU GUANGXI (2007). Renseignements statistiques sur le tourisme au Guangxi.

CHINA NATIONAL TOURIST OFFICE (2003). Voir ici

ÉQUIPE MIT (2005). Tourismes 2, Moments de lieux. Paris: Belin, coll. «Mappemonde», 349 p. ISBN: 2-7011-4217-2

GENTELLE P. (2004). «Une société en mouvement». In JULLIEN F., dir. Dossier «La Chine». Questions internationales, n° 6, p. 26-34.

ORGANISATION MONDIALE DU TOURISME (2005). Tourism Market Trends 2004 – Asia. Madrid: UNWTO, 298 p.

STOCKMAN N. (2000). Understanding chinese society. Cambridge: Polity Press, 280 p. ISBN: 0-7456-1735-2

SANJUAN T., dir. (2006). Dictionnaire de la Chine contemporaine. Paris: A. Colin, XIII-300 p. ISBN: 2-200-26781-9

TAUNAY B. (2008). «Le développement touristique de deux sites chinois "incontournables": Beihai et Guilin (Guangxi)», Articulo - revue de sciences humaines, n° 4 (lien insérer le 10/10/2008)

Notes

1. On entend par tourisme national les déplacements touristiques des Chinois du continent à l’intérieur du pays, ce qui correspond en anglais à la notion de domestic tourism. Le tourisme en Chine continentale des Chinois d’outre-mer est considéré comme du tourisme international.

2. Il y a en chinois deux termes désignant les «touristes» nationaux: «lüke» signifie passager ou voyageur et «youke» signifie touriste. Les deux catégories sont souvent confondues dans les statistiques officielles, alors que la signification économique, sociale et culturelle de ces pratiques n’est pas du tout la même.

3. Pour la classe moyenne chinoise, nous reprenons ici l’estimation de Pierre Gentelle (2004) qui considère que le nombre de consommateurs dans les villes est compris entre 240 et 290 millions.

4. Le statut de région autonome est réservé aux provinces qui abritent de fortes minorités ethniques (ou «nationalités»)

5. Annuaire statistique du Guangxi 2004.