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Londres: les lieux du crime

Le maire conservateur de Londres, Boris Johnson, qui a succédé au travailliste Ken Livingstone en mai 2008, a fait de la lutte contre la criminalité dans la capitale du Royaume-Uni un thème électoral majeur lors des dernières élections. Trois mois plus tard, début septembre 2008, la Metropolitan Police Authority, à sa demande, a mis en ligne sur Internet une carte des délits à Londres. Le projet Crime mapping, inspiré d’une pratique courante aux États-Unis, permet de localiser, sur un fond de carte Google, les délits (cambriolages, vols divers — Boris Jonhson a précisé que les violences et homicides seraient ajoutés à l’avenir) par circonscription administrative (borough) à l’échelle de la métropole. La carte produite devrait être actualisée mensuellement. Il est prudemment précisé que seuls les délits dont on connaît le lieu exact sont indiqués, mais rien n’indique leur proportion.

La criminalité à Londres (cliquez sur la carte pour accéder au site)

Un code de couleurs simple est utilisé. En cliquant sur une circonscription, on obtient les derniers chiffres bruts et le taux (Crime rate) correspondant pour 1 000 habitants. Une flèche marque l’évolution au cours des deux derniers mois. Il est possible de comparer les boroughs entre eux. On observe ainsi que le borough de Westminster a le taux de délits le plus élevé de Londres (3,8 pour 1 000 habitants). Si c’est un espace fréquenté par les touristes, c’est aussi et surtout le lieu central du pouvoir politique car y siège le Parlement et s’y trouve le palais de Buckingham. De facto, Westminster est l’un des boroughs les plus surveillés de Londres. Le paradoxe ne manque pas d’intriguer. À l’opposé, Kingston-upon-Thames fait figure de paradis urbain  avec un taux de 1,08.

L’Information Commissioner’s Office (ICO), organisme public indépendant créé pour promouvoir l’accès aux informations officielles et protéger les données personnelles (comparable à la Cnil française), après avoir exprimé de fortes réticences, a autorisé le Crime mapping, en estimant que le Data Protection Act (Loi sur la protection des données) de 1998 et le Freedom of Information Act (Loi sur la liberté des informations) de 2000 étaient respectés. Il est vrai que ne figure aucune information nominative et que, à l’opposé des pratiques similaires aux États-Unis, les délits ne sont pas cartographiés à l’échelle de la rue.

On peut se demander à quoi sert une telle carte, qui, selon ses promoteurs, répond à une demande du public. Londres est une ville où la délinquance, notamment celle impliquant des mineurs, est très médiatisée. Cette situation n’est pourtant pas nouvelle, comme en témoigne une insolite carte interactive des homicides à Londres en 1888, publiée par The Times. Pour le maire Boris Johnson, la cause est entendue: Crime mapping donne des informations aux Londoniens sur les délits dans leur quartier et vise à les rassurer car leur perception de la délinquance serait exagérée. Il encourage, aussi et surtout, les citoyens à collaborer activement avec la police pour rendre plus sûr leur lieu de vie. Dans les années 1980, celles de Mme Thatcher, fleurissaient déjà dans les villes britanniques les Neighbourhood Watch groups, associations dont le but est de procéder à une surveillance commune à l’échelle d’une rue ou d’un quartier. L’étape suivante est celle du Crime mapping.

Les effets positifs de celui-ci, dont le coût est élevé (210 000 livres sterling), restent à prouver. En revanche, ses effets négatifs sont déjà visibles. D’une part, l’inquiétude gagne les habitants des boroughs où le jaune et le rouge (les plus touchés par les délits) dominent. D’autre part, les propriétaires s’alarment des effets pervers du Crime mapping sur les prix de l’immobilier. Il est très facile aujourd’hui de négocier le prix d’une maisonà Newham, par exemple, avec la carte de la Metropolitan Police en main. Face à la profonde crise du secteur immobilier en Grande-Bretagne, ce sont peut-être les propriétaires, y compris ceux qui ont soutenu la politique sécuritaire du maire de Londres, qui pourraient freiner les élans de celui-ci. Le projet de Johnson a été salué comme exemplaire par le dirigeant du parti conservateur, David Cameron, qui avance vers le pouvoir au fur et à mesure du déclin de Gordon Brown, Premier ministre contesté. On peut imaginer que, dans un avenir proche, le Crime mapping devienne une pratique commune à toutes les villes britanniques. Fatalement, quelques hommes politiques européens, tout particulièrement en France et en Italie, s’en inspireront. Or, on peut légitimement mettre en doute l’intérêt d’une opération cartographique plus médiatique, voire démagogique, qu’efficace.

Laurent Grison