N°74 (2-2004)
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D'une erreur commune à propos de cartes et de modèles.
Commentaire sur «Quel fond de carte pour l'Australie?» de Patrick Poncet
Introduction L'article de Patrick Poncet pose une question assez récurrente et assez simple pour qu'il soit utile, à mon sens, à la fois de le publier et de le situer (1). La mise en scène d'un État aussi étendu que l'Australie et la recherche des structures et des dynamiques fondamentales, dont le jeu composé permet de comprendre l'organisation spatiale, exige une problématique, et quelques hypothèses fortes. Par sa taille, c'est un quasi-continent: zonage écologique et dissymétries liées aux circulations océaniques et atmosphériques ont des chances de jouer à plein. Par son histoire, c'est le théâtre d'une colonisation britannique en pays «vierge» (en fait déjà occupé mais par des indigènes méprisés), et donc d'une valorisation immédiate des rivages et de leurs abords. Et, comme en Amérique du Nord, cette intrusion britannique avec colonisation de peuplement a privilégié la partie du pays qui ressemblait le plus à la terre d'origine, dans le «tempéré» de la côte sud-orientale. Voilà ce qu'il y a lieu de mettre en place, en s'efforçant de déduire ce qui peut s'ensuivre. Pour cela, il n'est nul besoin de complications initiales: ellipse, cercle ou rectangle, peu importe; par rapport à ce qui précède, c'est-à-dire au vrai «fond», la forme du contour du dessin n'a guère d'intérêt, dans un premier temps, à une certaine échelle et sauf configurations extrêmes. Dans le cas de l'Australie, l'ellipse a été choisie à la fois pour tenir compte de la dissymétrie des dimensions, qui éloigne les côtes occidentales et orientales et contribue ainsi à expliquer l'étendue des déserts, ce dont un cercle rendrait mal compte; et comme plus conforme au dessin général; mais un rectangle eût presque aussi bien convenu. Or un modèle de base se doit d'être aussi simple que possible pour être efficace et montrer jusqu'où peut aller le raisonnement. Patrick Poncet, qui n'a pas compris sa fonction, tient à l'échancrer au sud et à le raboter au nord. Pourquoi cela, et en oubliant au nord le golfe de Carpentarie ? Il ne nous le dit pas. Or de cette échancrure, il ne tire absolument rien. Elle n'«explique» rien, du moins dans les schémas qu'il livre. Mais il est tout heureux d'avoir pris son compas et sa règle en six étapes totalement arbitraires, dont la logique de dessin géométrique n'a rien à voir avec le moindre problème géographique réel, pour aboutir à une forme bâtarde et en employant un langage totalement désadapté: quel sens a donc le mot «métrique» sur ces dessins, sinon d'abuser le lecteur ? En fait l'intérêt de dessiner un rentrant au sud (je n'en vois aucun à rendre rectiligne la côte nord) peut n'être pas négligeable; mais il est à une autre échelle que celle du continent: par là, on peut mieux comprendre certains aspects de la position exacte d'Adélaïde. Quant au fond, celle-ci est assez claire: c'est en somme la ville extrême de l'Australie jadis «vivable» à partir de la colonisation principale, son poste avancé vers l'ouest (la base de colonisation du Sud-Ouest, d'écologie «méditerranéenne», a été organisée plus tard et par d'autres, autour de Perth et non depuis Melbourne). Cela, la distance et l'interposition des déserts permettent de le saisir. Même l'existence de la voie ferrée tardive vers Perth n'a pas besoin de cette complication. Toutefois, l'infléchissement de la côte et le décalage d'Adélaïde vers le sud-est font mieux comprendre la convergence des voies venant de Sydney et de Melbourne, et l'assez bonne position d'Adélaïde pour une traversée sud-nord du continent, ainsi raccourcie. Cette contingence a une portée locale, à la rigueur régionale, non point nationale. Le dessin de la côte montre même qu'une traversée sud-nord serait encore plus courte plus à l'ouest; mais elle en eût éloigné Melbourne. Et, à ce compte, il nous faut bien entendu quantité d'autres «complications» (2): et Carpentarie, et la Tasmanie; puis la Grande Barrière, sans laquelle une part du tourisme oriental ne se conçoit pas; et le détroit de Torres, ou la baie de Darwin, etc. Et ainsi de suite. Toutes choses dont il est abondamment question dans la partie «Australie» de la Géographie Universelle, et sans lesquelles les modèles de la figure 4.8 de ce volume (ici fig. 3) perdent une grande part de leur intérêt. Car ces modèles n'ont de sens que confrontés à des cartes thématiques aussi précises et détaillées que possible, ce dont le chapitre de la Géographie Universelle n'est certes pas avare: mais il semble que Patrick Poncet préfère se contenter d'un seul groupe de schémas (ici fig. 4), d'une pauvreté désolante, où de surcroît toutes les villes ont la même taille et où leur sélection ne répond à aucune logique (sinon de garnir le dessin); et où une «métrique du bush» uniforme met au même niveau des régions tropicales chaudes et humides, des sèches, des méditerranéennes et des tempérées, des minières et des agricoles, etc. Exactement ce qu'il ne faudrait surtout pas faire. Une fois encore, l'analyse spatiale par la modélisation graphique n'est en rien une forme de simplification, même pas de généralisation. Elle demande quelque information, et quelque réflexion; de déconstruire pour construire, patiemment et par itérations. Et elle doit rendre compte des faits fondamentaux de l'organisation de l'espace, parmi lesquels sont les formes et les dissymétries des aires de peuplement, des réseaux urbains et de transport, l'inégalité de taille des objets géographiques, les différences fondamentales de paysages, de mises en valeur et de richesse, etc. Elle ne doit en aucune façon être confondue avec la proposition d'un fond de carte simplifié qui, prétendant à la fonction de passe-partout, relèverait plutôt du rossignol (dans une autre acception de ce mot). À mon sens, il n'y a aucun intérêt à proposer un fond qui réduirait les contours de l'Australie aussi pauvrement que ce qui est proposé par Patrick. Poncet, si c'est pour servir de support à n'importe quelle représentation géographique de l'État-continent, comme l'auteur le laisse entendre dans sa note 5 (3). En matière pédagogique (ou plus généralement de communication), j'y vois même un grave danger potentiel pour les élèves et les étudiants: se satisfaire d'une forme grossièrement simplifiée pour y coller de vagues données elles-mêmes simplifiées et mémorisées provisoirement et sans principes ni ordres de grandeur. Je sais que c'est une tentation dans l'enseignement, mais cela n'a strictement rien à voir avec les formes d'analyse qui ont été tentées, et plus ou moins bien réussies, dans la Géographie Universelle et dans la revue Mappemonde elle-même. Car ce serait à la fois perdre l'image correcte et nécessaire du pays, une grave amputation intolérable à tout géographe; et perdre le sens de la démarche d'interprétation et de mise en relation des structures et dynamiques fondamentales. Laquelle, outre qu'elle aide à comprendre, reste à mon avis le meilleur moyen de mémoriser une configuration géographique tant soit peu cohérente et complète (4). Ou bien l'on travaille dans des contours «fidèles», ne serait-ce que sur le fond de carte fourni aux candidats pour une épreuve de géographie régionale; ou bien l'on se sert de modèles, avec les formes, les vertus et les limitations qu'implique le concept même de modèle (5). Non seulement les deux attitudes ne sont pas incompatibles, mais elles vont de pair et s'enrichissent mutuellement. Apparemment entre les deux, mais en fait sur le bas-côté, le contour grossièrement simplifié, et à plus forte raison simplifié selon des procédures purement géométriques (6), n'offre aucun intérêt, mais certainement encourage la paresse et l'à peu près. Je suis résolument contre le fond simplifié passe-partout. La chorématique, si elle existe, est exactement aux antipodes. |