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Quel planisphère de référence pour Google Maps ?

Le choix de la projection utilisée pour représenter en deux dimensions, sur écran ou papier, la quasi-sphère terrestre n’est pas neutre. Visuellement tout d’abord, le type de projection influe sur la forme même des continents et des océans, et donc sur la reconnaissance par le lecteur de la géographie terrestre. Géométriquement ensuite, la projection va introduire des déformations plus ou moins grandes, ceci ayant des conséquences variées pour son utilisateur. On divise généralement en deux catégories les projections de ce point de vue: celles qui préservent les surfaces mais déforment les angles (dites équivalentes), et celles qui ont la propriété inverse (dites conformes). On peut parler de la qualité d'une projection pour qualifier son adaptation à l’utilisation prévue de la carte qu’elle produit, de l’image du globe qu’elle donne.

L’utilisateur de Google Maps, qui reste généralement à l’échelle locale pour visualiser un plan de ville, un itinéraire, ne s’interroge pas forcément sur la projection utilisée dans cette application. Or il existe un moyen très simple de le savoir: en effectuant un simple zoom arrière, au maximum des possibilités du curseur, l’ensemble du planisphère utilisé apparaît (fig. 1), et l’on peut rapprocher l’image produite des planisphères caractéristiques des projections courantes.

Fig. 1. Copie d’écran: planisphère Google Maps version Plan

L’emploi d’un objet anachronique et inadapté: la projection de Mercator

L’on se rend compte alors, d’après la forme des continents, que les concepteurs de Google Maps utilisent une projection «conforme» où latitudes et longitudes dessinent un quadrillage régulier sur le plan. Il s’agit en fait d’une variante particulière de la projection de Mercator, une projection cylindrique inventée au XVIe siècle. La projection de Mercator a été créée pour les besoins de la navigation (parce qu’elle préserve les angles, et donc les caps). Son usage, toujours courant comme on le voit, est depuis longtemps (et justement) critiqué hors de cette utilisation spécifique (1): les déformations de surface induites sont considérables et donnent une image très fausse des proportions relatives des masses continentales (2). Cette projection est ainsi largement inadaptée aux types de données représentées dans l’application à l’échelle mondiale – des données que l’on peut visualiser en cliquant sur les onglets «satellite» et «relief». Et les pôles ne sont pas représentables. Dans cette projection cylindrique, ils ne pourraient apparaître qu’à l’infini (fig. 2).

Fig. 2. Projection
cylindrique
à l’équateur
Fig. 3. Comparaison des images produites par la projection de Mercator (en gris) et une projection respectant les surfaces

Plus on s’approche des pôles, plus les déformations s’accroissent: la distorsion des surfaces entre équateur et hautes latitudes est extrême (fig. 3). Le Groenland semble aussi étendu que l’Afrique ou que l’Amérique du Sud, au moins six fois plus que l’Inde (alors que cette dernière est nettement plus grande, de 50% environ). Et lorsqu’un utilisateur français ouvre Google Maps, il voit apparaître une Europe de l’Ouest (affichage par défaut de la version française) où l’Islande est deux fois plus grande que l’Irlande, alors que la différence de superficie n’est que de 17%.

Les images satellites associées au planisphère de base (onglet «Satellite») sont déformées dans la même proportion: les glaces antarctiques couvrent une énorme superficie de l’écran (fig. 4). Cela conduirait presque à douter de la réalité du «réchauffement global».

Fig. 4. Copie d’écran Planisphère Google Maps version Satellite

Un fonctionnement basé sur un système de «tuiles» juxtaposées

L’explication du choix de projection effectué par les concepteurs de Google Maps est simple: il fallait adopter une méthode qui permette une présentation interactive rapide de masses de données géographiques, à différentes échelles, sur une page Internet. Pour améliorer la vitesse de dessin de la carte, cette dernière est décomposée en carrés, on parle de «tuiles». Chacune de ces tuiles est projetée, pré-dessinée et visualisable indépendamment des autres, en fonction de la zone choisie par l’utilisateur.

Fig. 5. Projection de Mercator, centrée sur le méridien zéro.
En rouge un carroyage régulier.

La projection utilisée préserve les angles droits entre parallèles et méridiens: on peut donc accoler les tuiles (fig. 5) sans qu’apparaisse de problème de continuité (3). Avec cette technique, la carte affichée par l’utilisateur n’est qu’une portion d’un planisphère existant dans Google Maps. Aucun calcul n’est fait pour adapter la représentation à la requête de l’utilisateur: le navigateur se contente, à un niveau de zoom donné, d’appeler des tuiles préexistantes. Où que l’on centre la carte, la représentation restera composée des mêmes carrés, ces derniers se trouvant selon les cas au centre ou à la périphérie de la fenêtre.

Google Maps propose actuellement dix-huit niveaux de zoom: donc dix-huit systèmes de tuiles prédéfinies que l’utilisateur charge à la demande.

Respecter les surfaces: limites et solutions

L'utilisation d'une projection «équivalente» (conservant les surfaces) serait théoriquement possible et certainement plus satisfaisante. Quelles sont les solutions?

On pourrait imaginer par exemple que Google Maps ou ses émules utilisent un seul planisphère respectant les surfaces, centré donc sur un méridien (4). Mais il présenterait à ses extrémités des distorsions difficiles à lire, les directions par exemple étant de moins en moins intuitives au fur et à mesure que l’on s’éloigne du méridien central (fig. 6a et 6b).

Fig. 6a et 6b: Projection préservant les surfaces, centrée sur les amériques, et extrait à plus grande échelle

L’autre solution, rigoureuse et idéale, serait de faire calculer une «projection équivalente» par le serveur en tenant systématiquement compte de la position de la visualisation. Et donc redessiner toutes les tuiles à chaque mouvement de l’utilisateur. C’est exactement ce que les concepteurs du système ont voulu éviter, car cela serait incroyablement gourmand en temps de calcul sur les serveurs de Google. Des applications cartographiques de ce type existent, bien entendu, mais elles peuvent difficilement être adaptées à une utilisation massive sur le Web (problèmes de puissance des serveurs).

Il existe pourtant une solution médiane, relativement économe en temps de calcul, et fort probablement à la portée de Google. On pourrait créer une bibliothèque de planisphères «tuilés» correspondant à un nombre élevé, mais limité, de centres de projection, en maillant de manière régulière la surface terrestre. Ce qui permettrait à l’utilisateur de charger à chaque fois des images dont la projection correspondrait à peu près au centre de sa visualisation, sans impliquer de calcul ad hoc.

Google Maps 2008: un choix technique plus que cartographique

Fig. 7. Exemple d'échelle fausse affichée, lorsque l’on réduit le zoom et que l’on déplace la carte.

La méthode de projection retenue par Google Maps correspond donc à une solution de facilité, où la contrainte technique de la vitesse d’affichage prime sur la pertinence de la représentation géographique.

Personne ne s’est apparemment posé la question de la qualité de l’image qui s’affiche à l’écran de l’utilisateur, ni de son adéquation avec les informations visualisables à l’échelle continentale ou mondiale.  Une échelle graphique est par exemple présente, en bas à gauche de l’image… mais elle n’est valable (sans que ce soit explicité) qu’à la latitude du point défini comme «centre» de la carte – une option accessible par clic droit.  Quelques manipulations plus ou moins volontaires peuvent la rendre d’ailleurs complètement farfelue (fig. 7).

Cette manière de faire est caractéristique de bien des applications «cartographiques» conçues en fait par des développeurs qui, du fait des progrès considérables de l’infographie, proposent de plus en plus de représentations de la Terre sans en maîtriser les codes, pourtant éprouvés, et sans s’interroger sur la manière dont des millions d’utilisateurs peuvent s’approprier et interpréter ces images. Cette absence de réflexion préalable n’est pas une exclusivité de Google: les deux autres principaux services de cartographie en ligne ne font pas mieux: Yahoo Maps et Microsoft Live.

Ils ont visiblement eu recours au même procédé et aboutissent aux mêmes aberrations de représentation. Par contre, l’écran d’accueil du Géoportail de l’IGN (un planisphère lui aussi, fig. 8), est une représentation plus réfléchie et pertinente de la Terre. Les applications cartographiques qui présentent un globe virtuel manipulable, comme Worldwind, ou d’ailleurs Google Earth échappent par nature à ce type de problème et sont bien plus appropriés à la représentation à petite échelle de la Terre.

Fig. 8. Copie d’écran Planisphère Géoportail

On n’a certes pas pour ambition de faire la chronique des erreurs sémiologiques et cartographiques qui fleurissent ici ou là. Mais pour Google Maps et ses équivalents sur Yahoo ou Microsoft Live, on a affaire aux outils de représentation du Monde sans doute les plus consultés actuellement. Il est plus que regrettable qu’ils aient été construits sans aucune réflexion sur les projections utilisables et pertinentes à telle ou telle échelle, pour offrir une représentation de la Terre qui soit aussi bien fiable et cohérente que riche et instantanée.

Laurent Jégou, Denis Eckert

1. Cf. MONMONIIER M. (2004). Rhumb lines and map wars, a social history of the Mercator projection. Chicago: University of Chicago Press, XIV, 242 p. ISBN: 0-2265-3431-6 et et WOOD D., FELS J. (1992). The Power of Maps. New York, Londres: The Guilford Press, VIII-248 p. ISBN: 0-8986-2493-2

2. Cf. l’introduction de l’article d’Anna Barford (BARFORD A. (2008). «Worldmapper, des centaines de cartes du monde sur Internet». M@ppemonde, n° 89, 1/2008) sur le projet WorldMapper, précisant le choix de la projection.

3. Cette propriété des tuiles permet aussi de produire une présentation de la Terre comme un ruban: les planisphères sont alignés à l’infini dans le sens de la longitude: on peut ainsi en faire figurer deux ou trois au moins sur le moindre écran d’ordinateur. On s'éloigne encore d'une représentation du globe respectueuse de la réalité, sans prendre la précaution d'en informer le visiteur.

4. Il en faudrait en théorie au moins deux, afin de ne pas créer des zones de «confins» sans voisins en bordure de carte.