Ces lieux dont on parle |
Les Hauts de Vaugrenier: un exemple atypique de la fermeture résidentielle en France
Les 4 et 5 mai 2008, un article du Monde attire notre attention (Barelli, Sanson, 2008). Les deux envoyés spéciaux du quotidien dépeignent l’une des réalisations résidentielles françaises les plus atypiques: le Domaine des Hauts de Vaugrenier. Des gardes à l’entrée, une enceinte entièrement clôturée, une gestion privatisée de 130 hectares, des aménités dignes d’une petite municipalité, jamais le rapprochement avec la gated community à l’américaine n’aura été aussi tentant. Alors que nous sommes généralement plutôt prudents (Billard, Chevalier, Madoré, 2005) vis-à-vis du transfert médiatique du modèle de l’entre-soi et du ghetto résidentiel états-unien en France, le cas des hauts de Vaugrenier nous interpelle. Au-delà de l’article du Monde, c’est notre visite dans ce domaine en mars 2008, dans le cadre d’une étude sur la sécurisation résidentielle en France (Madoré, 2008) qui a suscité ce désir de présenter ce lieu unique en France.
Les Hauts de Vaugrenier: au bon endroit, au bon moment
De prime abord, la présence du domaine hautement sécurisé des Hauts de Vaugrenier à Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes), commune située entre Cagnes-sur-Mer et Antibes dans l’aire urbaine de Nice, ne surprend pas outre mesure. En effet, avec la région toulousaine et quelques autres agglomérations situées pour la plupart au sud-est d’une ligne allant de Strasbourg à Bordeaux, la côte méditerranéenne est la région (fig. 1) concentrant le plus d’annonces immobilières relatives à des résidences fermées en France (1). Les 130 hectares entièrement clos du domaine des Hauts de Vaugrenier ne détonnent donc pas dans un contexte local (fig. 2) où la fermeture résidentielle semble élevée au rang de norme (2) et où, selon Lionel Charry (3), «la sécurisation est devenue un besoin». Le phénomène, bien que s’amplifiant, n’est pas nouveau. En effet, dès le début de sa construction en 1973 (4), alors que la sécurité devient une préoccupation majeure sur la Côte d’Azur, le domaine connaît un vif succès auprès des jeunes actifs qui travaillent dans de nombreuses entreprises de haute technologie (comme Texas Instruments) de la région, notamment concentrées à Sofia-Antipolis. Cet aspect sécuritaire «fait qu’aujourd’hui des résidents ont vendu leur maison dans l’arrière-pays pour s’installer ici car ils en avaient marre d’être cambriolés et que leurs véhicules subissent des dégradations» (Lionel Charry déjà cité). Cette sécurité est assurée par la présence 24h sur 24h de gardes assermentés qui se relaient à l’entrée ou en patrouille. Mais ce qui confère un caractère unique, même sur la Côte d’Azur, à ce domaine composé à 60% de résidents permanents, c’est à la fois sa taille (1 427 logements, dont 883 appartements et 525 villas), son agencement paysager (24 km de toutes et trois lacs artificiels) et les multiples aménités qu’il renferme. Un niveau d’équipement digne d’une petite ville Imaginez les besoins d’une commune de 3 500 résidents permanents dans le Sud de la France. Un environnement de vie agréable? Environ 800 000 euros annuels servent à payer la facture d’eau qui permet d’entretenir les eucalyptus, palmiers et autres essences rares arborant le domaine. Des équipements sportifs? Les résidents ont accès à une piscine olympique avec club-house, à huit courts de tennis, un terrain de foot, des aires de jeu, sans oublier le terrain de boules. Des commerces et des services. Un petit bourg piétonnier en accueille dix-neuf: une supérette, un bureau de tabac-dépôt de presse, un coiffeur, un dentiste, un médecin, une pharmacie, une esthéticienne et des agences immobilières… Des occasions de socialisation? le domaine compte un club de bridge, de scrabble, d’informatique, de randonnées pédestres, de tarot et un pôle jeunesse et sport ainsi qu’une salle communautaire… Un journal local? La Gazette du Club se charge d’annoncer les naissances, les décès, les rendez-vous des compétitions de golf, les permanences de l’accueil des étrangers, de diffuser les petites annonces et de rappeler que «les propriétaires de grands chiens ne sont pas conscients du danger», surtout celui du Braque de Weimar qui, «en croisant le promeneur a foncé brusquement sur lui et l’a mordu à travers un pantalon jean, fort heureusement très épais…» (La Gazette du Club, 2008: 17)…
Équipement ultime qui clôt ce portrait, les Hauts de Vaugrenier accueillent une école maternelle publique de trois classes, ouverte aux enfants extérieurs au domaine (fig. 3). Cet établissement, qui dépend de la circonscription de académique de Vence, doit, compte tenu du faible effectif provenant des Hauts de Vaugrenier, s’ouvrir à des élèves d’autres quartiers de Villeneuve-Loubet. Ceci a probablement été d’ailleurs l’une des conditions administratives de son ouverture. Pour les enfants scolarisés dans cette école mais qui ne résident pas dans le complexe résidentiel, les entrées et sorties du domaine sont gérées comme celles des autres visiteurs: seuls ceux qui sont attendus par un résident ou qui ont affaire avec un prestataire de services ou qui fréquentent un équipement des Hauts de Vaugrenier sont autorisés à pénétrer par les trois gardes qui veillent en permanence à l’entrée du domaine. Pour faciliter la gestion des Hauts de Vaugrenier, le domaine a été divisé en onze hameaux organisés en copropriété ou en Associations syndicales libres secondaires qui fonctionnent indépendamment les unes des autres et dont la gestion est confiée à différents syndics (5). Quant aux parties communes ou services communs, ils sont gérés par une Association syndicale libre principale (ASPL régie sous la loi du 21 juin 1865) au sein de laquelle siègent des représentants élus dans chacun des onze hameaux. C’est cette association qui a choisi le cabinet Nexity-Saggel, représenté par Lionel Charry, pour assurer la gestion du site. Si ce dernier n’a aucunement les prérogatives démocratiques et les devoirs d’un maire, l’importance des pouvoirs qui sont dévolus à l’Association et au directeur du site sont loin d'être négligeables, étant donné l’étendue du domaine et ses multiples aménités. Un lieu particulier, une question vraiment posée: une ville dans la ville? À notre connaissance, aujourd'hui en France, aucun lotissement fermé ne présente une telle multi-fonctionnalité à une telle échelle, avec une population pouvant atteindre 5 000 personnes en été et un budget annuel de 3,2 millions d'euros. Même le très sélect domaine golfique et résido-hôtelier de Terre Blanche (60 villas et un hôtel Four Seasons), situé à une cinquantaine de kilomètres des Hauts de Vaugrenier sur la commune de Tourettes dans le Var, ne peut être comparé à ce domaine, étant positionné sur un registre différent. Certes, il possède un arsenal sécuritaire impressionnant (gardes, double enceinte, détecteurs de mouvements, …), mais c’est en réalité un lieu de villégiature, le plus souvent occasionnel, du gotha mondial. Les Hauts de Vaugrenier sont donc d’abord un domaine d’habitat permanent correspondant parfaitement à la figure de l’enclave résidentielle aisée, dans laquelle «on ne trouve plus une villa à moins de un million d’euros et un appartement de trois pièces à moins de 400 000 euros» (Lionel Charry, déjà cité). Ces valeurs si on les compare à celles que l’on peut relever autour des Hauts de Vaugrenier, semblent montrer que la fermeture induit bien une valorisation immobilière (6). Cette caractéristique, ajoutée à la multiplication des aménités, justifie que nous interrogions légitimement cette notion au sens très fort mais pourtant maintes fois galvaudée de «ville dans la ville». Autrement dit, les Hauts de Vaugrenier fonctionnent-ils de façon convexe (Ascher, 2000), en assurant aux résidents l’essentiel des services dont ils ont besoin? En réalité, si ce domaine est complètement atypique en France, les équipements recensés sont principalement des services et des aménités de proximité, orientés notamment mais pas exclusivement vers les loisirs, alors que l’essentiel des pratiques sociales des habitants (emploi, achats, loisirs) restent tournées vers l’extérieur. Si l’image de «la ville dans la ville» peut sembler tentante de prime abord, elle ne correspond donc pas tout à fait à la réalité.
Gérald Billard (UMR 6266 IDEES, Rouen) et François Madoré (UMR 6590 ESO, Nantes) Bibliographie ASCHER F. (2000). Ces événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs. Essai sur la société contemporaine. La Tour d'Aigues: Éditions de l'Aube, 300 p. ISBN: 2-87678-589-7 BARELLI P., SANSON M. (2008). «Accès fermé, maisons gardées, rues privées, bienvenue dans les Hauts de Vaugrenier ». Le Monde, 4 et 5 mai 2008. BILLARD G., CHEVALIER J., MADORÉ F. (2005). Ville fermée, ville surveillée. La sécurisation des espaces résidentiels en France et en Amérique du Nord. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 220 p. ISBN: 2-7535-0085-1 La Gazette du Club des Hauts de Vaugrenier (2008). n°214, mars. MADORÉ F. (2008). Typologie et représentation des ensembles résidentiels fermés ou sécurisés en France. Paris: Institut national des hautes études de sécurité, rapport final, 159 p. Notes 1. La carte a été réalisée à partir d’un relevé national effectué le même jour, sur le site de Century 21. La base de données compte plus de 50 000 annonces et permet d'accéder à des variables homogènes (mais déclaratives) sur l’ensemble du territoire français métropolitain. |