N° 94 (2-2009)
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Approches transdisciplinaires de l’éducation au développement durable dans l’enseignement secondaire
UMR 5602 - GEODE, Université Toulouse 2 |
L’éducation au développement durable (EDD) «doit former à une démarche scientifique et prospective, permettant à chaque citoyen d’opérer ses choix et ses engagements en les appuyant sur une réflexion lucide et éclairée. Elle doit également conduire à une réflexion sur les valeurs, à la prise de conscience des responsabilités individuelles et collectives et à la nécessaire solidarité entre les territoires, intra et intergénérationnelle» (Seconde phase de généralisation du développement durable, Circulaire n° 2007-077, BO n° 14, 2007). L’EDD prolonge l’EEDD, éducation à l’environnement pour un développement durable (BO n° 28, 2004) et l’ERE, éducation relative à l’environnement (BO n° 31, 1977). Objectif transversal à toutes les disciplines d’enseignement, elle s’inscrit dans le courant des «éducations à …»: la santé, la solidarité, la prévention des risques majeurs et au paysage. Son enjeu social est une éducation à la citoyenneté dépassant l’assimilation des valeurs de la République et la préparation à l’exercice des droits civiques. Elle doit favoriser, tout au long du cursus scolaire, le développement de comportements responsables à l’école comme dans la vie quotidienne, par l’acquisition de savoirs et l’intériorisation de capacités et d’attitudes légitimées par des valeurs (Socle commun de connaissances et de compétences, Décret du 11 juillet 2006). Elle est en rupture avec un cursus scolaire français centré, depuis la fin du XIXe siècle, sur l’acquisition de savoirs et de techniques enseignés par des disciplines scolaires constituées en structures indépendantes (Chervel, 1988; Tutiaux-Guillon, 2009). Disposant d’horaires et de corps d’enseignants spécialisés dans l’enseignement secondaire, cette organisation privilégie les logiques disciplinaires. Certes, ces dernières décennies ont vu émerger des préoccupations interdisciplinaires plus ouvertes sur les pratiques et les attentes sociales. Mais leur place dans le cursus reste limitée et leur fonctionnement tributaire de l’implication de disciplines scolaires instituées. Dans ce cloisonnement disciplinaire, introduire une éducation transdisciplinaire au développement durable invite les recherches en didactique à dépasser leurs approches classiques qui interrogent les noyaux durs de l’identité de chaque discipline, en termes de savoirs, de méthodes d’analyse et de pratiques d’enseignement. Aborder cette finalité éducative suppose une démarche inverse: voir comment les différentes disciplines scolaires la prennent en charge en adoptant un point de vue plus centré sur l’élève. Il convient alors de s’interroger sur la contribution de ces disciplines en fonction de leur tradition, de leur structuration et de leur fonctionnement internes, mais surtout d’analyser leurs points d’articulation (réels ou potentiels) et d’en étudier la cohérence pour l’élève. Ce questionnement suppose d’adopter une démarche centrée sur l’histoire et l’épistémologie des savoirs scolaires. L’EDD, un objectif transdisciplinaire pour des disciplines scolaires inégalement impliquées La géographie scolaire intègre depuis longtemps dans son champ de compétences les thématiques de l’environnement et du développement, elle est donc pleinement concernée par l’EDD. Partageant des objets scolaires avec les sciences de la vie et de la Terre, les sciences économiques et sociales, l’éducation civique et l’histoire, elle est à la charnière de deux champs de la connaissance: celui des sciences biophysiques et celui des sciences sociales et humaines. Or ces points de jonction restent marqués par une juxtaposition d’approches disciplinaires pas toujours concordantes. Un séminaire mensuel pluridisciplinaire de l’IUFM Midi-Pyrénées (2004-2007) a analysé la construction/reconstruction des territoires des disciplines scolaires. Des analyses centrées sur chaque discipline ont été confrontées pour caractériser la nature des relations qu’elles entretiennent et dégager les régularités ou les contrastes de leurs évolutions.
La prise en charge de l’EDD par les disciplines a été approchée par deux types d’analyse. La première a étudié les programmes actuels (et leurs évolutions récentes) et les «documents d’accompagnement» disciplinaires ou co-disciplinaires en EDD. Au-delà de ces injonctions officielles, nous avons pris en compte des situations d’enseignement / apprentissage menées dans l’académie de Toulouse pour mieux cerner l’écart entre les objectifs prescrits par l’institution et les contenus réellement enseignés (Perrenoud, 1993). Nous avons ainsi identifié les disciplines effectivement impliquées dans l’EDD et caractérisé leurs approches et leurs formes de mobilisation. La seconde analyse a évalué le poids relatif de ces disciplines dans l’ensemble des enseignements reçus par un élève de la 6e à la Terminale, en pondérant les volumes horaires dédiés à chacune d’elles par la part des élèves qui suivent leurs enseignements (1). Cette approche croisée permet de distinguer trois niveaux d’implication et de souligner la position clé de la géographie (fig. 1). Six disciplines participent effectivement à la prise en charge de l’EDD. À l’exception des sciences physiques, toutes font référence à, au moins, deux des piliers du développement durable: les sciences de la vie et de la Terre (SVT) croisent entrées environnementale et sociale, la technologie met en relation approches économique et environnementale, les SES associent les domaines économique et social. La géographie est seule à croiser les trois volets: à travers les choix d’aménagement et les jeux d’acteurs, elle aborde des thématiques environnementales sous un angle socio-économique. Mais, plurielle avant tout (Hugonie et al., 2006), elle ne reconsidère pas toutes ses thématiques à travers ce filtre de l’EDD qui coexiste avec des entrées spatiales ou géopolitiques. L’éducation civique et l’ECJS (éducation civique, juridique et sociale) occupent une place cruciale car elles prennent en charge la dimension éducative. Elles ne mobilisent cependant pas toujours les connaissances acquises dans les autres disciplines. Ce panorama témoigne de la persistance d’une primauté de l’entrée environnementale: prise en charge par des disciplines majeures, elle est un point de convergence des enseignements scientifiques en collège. La dimension économique est la moins présente: portée par la technologie (collège) et les sciences économiques et sociales (option en seconde et filière en première / terminale), elle est prise en charge «par défaut» par la géographie (fig. 2).
Un deuxième niveau concerne des disciplines instrumentalisées dans les projets interdisciplinaires où elles apportent des outils d’analyse, d’expression et de compréhension. Ainsi, les mathématiques renforcent le pôle scientifique et le français contribue à la maîtrise de la langue. Un troisième niveau correspond à des disciplines accordant une place très limitée à l’EDD. C’est le cas de l’histoire qui pourrait pourtant participer utilement à une réflexion sur l’évolution de la mise en valeur des milieux et leurs temporalités (Vergnolle Mainar, 2006-2007). Les élèves y aborderaient, avec distance et esprit critique, les crises environnementales et la notion de durabilité. Les disciplines artistiques (notamment les arts plastiques), la philosophie, les langues, l’éducation physique et sportive pourraient contribuer à l’EDD, mais ne sont encore que peu impliquées. Loin d’une approche transversale qui mobiliserait toutes les disciplines, l’EDD ne s’appuie que sur certaines d’entre elles. De plus, chacune n’est pas en relation directe avec l’ensemble des autres mais l’est avec un nombre limité d’entre elles, parfois une ou deux seulement (Vergnolle Mainar, 2008a). C’est donc au niveau de l’interface entre disciplines que doivent être d’abord recherchées des potentialités de mise en synergie. Des potentialités d’interdisciplinarité à l’intersection de la géographie et des sciences de la vie et de la Terre Très impliquées dans l’EDD, la géographie et les SVT ont en commun une démarche d’observation et d’explication de la surface de la Terre (Hulin, 2007; Chevallier, 2007). Aussi leur frontière a-t-elle été assez perméable et leurs programmes des dernières décennies montrent plusieurs «concepts nomades» (Stengers, 1987) qui sont la trace des liens qu’elles tissent entre elles (fig. 3). Mais, comme leurs référents académiques et épistémologiques diffèrent, elles ont tendance à en faire des lectures divergentes (Hugonie, 2008). Or ces concepts constituent autant de potentialités pour des démarches interdisciplinaires (2) d’éducation au développement durable.
Les sciences naturelles (puis de la vie et de la Terre) ont comme objet d’étude un milieu physique longtemps partagé avec la géographie qui disposait d’un volet de géographie physique disjoint de l’étude de la mise en valeur par les hommes des potentialités naturelles. À partir du programme de seconde de 1981, la géographie scolaire reconsidère sa conception des milieux et, se référant à la voie universitaire ouverte par Georges Bertrand (1968), elle prend de plus en plus en compte leur anthropisation. Les SVT ont intégré plus tardivement l’action de l’homme comme facteur d’évolution et d’organisation de ces milieux. Son intervention n’est mentionnée qu’à la fin du programme de sixième de 1977, comme un élément perturbateur à corriger par des politiques de conservation ou de restauration. L’action anthropique n’est présentée comme composante intrinsèque du milieu dès la première partie du programme qu’en 1997. Aujourd’hui, les deux disciplines ont donc en commun ce concept d’anthropisation des milieux mais elles l’appliquent à des échelles spatiales différentes. Le programme de sixième de SVT a pour objet l’environnement local: il considère non seulement les interactions entre les organismes vivants et les caractéristiques du milieu (sol, eau, exposition, heure du jour…) mais aussi l’influence directe ou indirecte de l’homme sur son peuplement. En géographie, le milieu est toujours présent, quel que soit le niveau de classe, mais en tant que composante des territoires.
Dans le même temps, le «nomadisme» du concept d’écosystème (3) a contribué à renforcer les liens entre les deux disciplines. Le concept d’écosystème prend en compte les interactions entre espèces vivantes et entre ces dernières et les composantes abiotiques du milieu. Introduit dans les sciences naturelles dans les années 1970, il a structuré les études d’écologie à l’échelle locale. À l’instar de la recherche universitaire, l’usage de ce concept a largement dépassé sa sphère d’origine et il est introduit en géographie scolaire par le programme de seconde de 1981. Cette importation correspond à une profonde rénovation des contenus de celle-ci et se traduit par une atténuation du cloisonnement entre géographie physique et géographie humaine et par l’émergence d’une approche systémique des milieux anthropisés. La géographie disposait pourtant du concept de géosystème, qui s’inscrit dans la filiation de l’écosystème mais qui en diffère par son approche moins bio-centrée et des échelles de temps et d’espace plus larges (Bertrand, 1968). Cependant, ce concept s’avère moins consensuel et, au début des années 1980, l’écosystème est le seul concept explicitement mentionné dans les instructions officielles. Le géosystème est inscrit dans les programmes de géographie en 1992 mais n’en constituera jamais un noyau dur (Vergnolle Mainar, Sourp, 2006) car, au même moment, la géographie scolaire s’ancre plus résolument dans le champ des sciences sociales et accorde moins de place aux interactions entre les sociétés et leur milieu biophysique. Pour la même raison, le concept d’écosystème n’apparaît plus dans les programmes actuels de géographie. En sciences de la vie et de la Terre, il reste présent au collège, les programmes de lycée évoluant vers une approche beaucoup plus expérimentale.
La thématique risque / catastrophe répond à des attentes sociales fortes et a généré des recherches scientifiques dans un cadre interdisciplinaire. Géographie et SVT l’ont récemment intégrée à leur logique disciplinaire, mais l’une s’intéresse plutôt à la vulnérabilité des territoires (depuis 1996) et aux aléas technologiques et sociétaux alors que les autres prennent en charge les aléas naturels. Le paysage est, lui aussi, présent dans les deux disciplines, mais son histoire plus longue et plus complexe est relativement autonome par rapport à ces deux sciences de référence. Vue de façon descriptive et naturaliste, la notion de paysage a été fondatrice de la géographie française. Après le relatif délaissement des années 1960-1980, elle connaît un renouveau dans les programmes de sixième et de seconde (depuis 1996). Le paysage est conçu sous l’angle de son aménagement par les sociétés (fig. 6) et comme cadre de vie. En SVT, si la notion de paléo-paysage est présente depuis longtemps, l’analyse des paysages actuels n’occupe qu’une place récente et limitée au cycle central du collège. C’est un outil pour aborder la question des modelés (fig. 5), un moyen d’introduire la géologie externe et de montrer l’interaction entre la nature des roches et les eaux courantes. L’action de l’homme est prise en compte quand elle induit une exploitation de roches ou une modification de la circulation des eaux superficielles. Dans les deux disciplines, l’analyse du paysage est conduite en deux temps: description/identification des unités paysagères puis explication (fig. 4). L’analyse géographique traditionnelle qui décompose le paysage en plans successifs (du premier plan à l’horizon) cède peu à peu la place à une identification d’unités paysagères fondée sur leur type de mise en valeur (fig. 2). En SVT, en revanche, les critères sont d’ordre topographique, géologique ou biogéographique (fig. 5). Aussi, les explications divergent-elles. Par exemple, la localisation de la vigne et des habitats sera expliquée par des éléments endogènes comme la nature des roches, la topographie, le réseau hydrographique. En géographie (fig. 2 et 6), l’analyse est multiscalaire: si le contexte local est présent (exposition au soleil et place des coteaux viticoles dans la topographie), le contexte régional (axes de communication) et mondial (marché) est souligné. Le paysage est donc un outil pour entrer dans les notions de chaque discipline, ce qui conduit à une segmentation de son enseignement dans des démarches parallèles. Ces concepts (notions) nomades en partie communs, à l’interface des SVT et de la géographie scolaire, ne révèlent aucune «domination» d’une discipline sur l’autre. Chacune ayant été, en son temps, une ressource pour l’autre. Dans quelle mesure peuvent-ils servir de passerelles dans un projet interdisciplinaire d’EDD, alors qu’ils sont loin de constituer un réel langage commun car chaque discipline les a intégrés dans sa propre logique?
Le concept de paysage en collège: une entrée partagée, à construire dans une perspective transdisciplinaire en l’EDD À la rentrée 2009, le concept de paysage sera inscrit dans les programmes de géographie, SVT et arts plastiques pour le collège (fig. 7a). Sa seule présence ne suffit pas à établir une synergie entre leurs enseignements. Il reste à construire leur complémentarité pour engager des démarches transdisciplinaires en EDD (4).
«En accordant une place centrale à l’étude de l’organisation et de la pratique des territoires par les sociétés, ainsi qu’au développement durable [l’enseignement de la géographie au collège] prépare les élèves à devenir des acteurs responsables sur leur territoire et dans le monde» (BO spécial, 28 août 2008). En sixième, le paysage sera donc abordé moins comme symbole d’un type de région ou d’espace que comme lieu de vie. En SVT, classe de cinquième, le paysage reste par contre étroitement lié avec celui de modelé. En arts plastiques, en classe de troisième, le paysage sera analysé comme contexte de présentation des œuvres lorsqu’il s’agit de réalisations in situ et de land art. Il est alors fortement associé au concept d’espace entendu comme espace travaillé par les artistes. Cette pluralité des approches disciplinaires peut contribuer au développement d’un esprit critique et d’un jugement autonome. Encore faut-il la resituer dans une démarche plus globale (fig. 4), centrée sur la description d’un objet géographique à la fois réalité physique et perception subjective (Donnadieu, Périgord, 2007; Partoune, 2004). Cette perception est conditionnée par des filtres multiples: certains sont propres à chaque individu mais d’autres sont construits par les disciplines scolaires. Une EDD gagnerait à croiser ces points de vue disciplinaires, à établir des ponts entre eux, pour aider les élèves à relativiser et problématiser leur approche des paysages. Le concept d’«îlot interdisciplinaire de rationalité» proposé par G. Fourez (2006) permet de penser les approches disciplinaires, dans une perspective transdisciplinaire. Introduit en EDD par J.-M. Lange et P. Victor (2006), il conçoit le champ de la connaissance comme non homogène: selon la question posée, les savoirs mobilisés peuvent relever de plusieurs champs disciplinaires comme intégrer des savoirs non académiques. Cette approche permet de les confronter, de les discuter mais aussi de structurer la production de nouvelles connaissances scolaires. Dans cette démarche, les disciplines ne perdent pas leur identité mais deviennent des ressources. Le concept de paysage peut devenir un «îlot interdisciplinaire de rationalité» dans une perspective d’EDD (fig. 7b), dès lors qu’il permet d’analyser les enjeux sociaux d’un territoire en croisant les regards disciplinaires et les points de vue des acteurs (Vergnolle Mainar, 2008b). Dans cette perspective, les paysages ordinaires du quotidien sont les plus opératoires car ils sont porteurs de questions liées aux choix d’aménagement. Cugnaux (16 000 habitants, à 10 km au SO de Toulouse) en offre un exemple (5). Intégrée à la première couronne de périurbanisation de l’agglomération toulousaine, elle forme, avec ses environs, un territoire composite avec ses bourgs ou villages anciens, ses lotissements récents, ses zones commerciales et industrielles et sa base aérienne promise à la fermeture. Les acteurs de l’aménagement de ce territoire et notamment la mairie de Cugnaux cherchent actuellement les moyens de le singulariser par rapport aux autres espaces périurbains proches, afin de développer son attractivité économique et de tisser des liens entre la population et son lieu de vie. Le paysage est un levier, parmi d’autres, pour analyser cette stratégie dans une perspective d’EDD. Cet espace composite recèle deux mises en exergue de la vigne: quelques parcelles de vigne (fig. 8a) associées à une ancienne exploitation agricole, devenue point de vente de produits biologiques et de valorisation des savoir-faire viticoles et une mise en scène de ceps de vigne et de tonneaux sur un rond-point d’entrée de ville (fig. 8b). En tant qu’élément paysager, ces références à la vigne isolées (mais maintenues ou introduites de façon volontariste) ont une fonction dans la re-construction d’une identité, en renvoyant à la spécialisation viticole de ce territoire qui, jusqu’au début du XXe siècle, approvisionnait Toulouse en vin ordinaire.
Au collège, des éléments paysagers de ce type permettent de mettre les disciplines au service d’un questionnement relatif au cadre de vie et aux choix de développement local. Ainsi ces références à la vigne peuvent être un point d’appui pour changer le regard que les élèves portent sur leur territoire: localisées en périphérie de la ville, elles les incitent à voir au-delà de l’espace qu’ils fréquentent quotidiennement; de plus, contrastant nettement avec le paysage de la péri-urbanisation qui les entoure, elles leur permettent de s’interroger sur la raison de leur présence. L’histoire apporte des éléments de réponse par l’étude des notices communales de la fin du XIXe siècle et de cartes du XXe siècle qui attestent de la spécialisation viticole en relation avec la proximité de Toulouse. Les SVT fournissent des éléments de compréhension endogènes en analysant le modelé et la nature des sols: un contact entre deux niveaux de terrasses de la Garonne où les sols sont graveleux. La géographie propose des éclairages sur les nouvelles fonctions des enclaves agricoles périurbaines qui comptent peu dans l’activité économique mais contribuent à tisser un lien entre une population nouvellement installée et son lieu de vie (Poulot, 2008). Les arts plastiques concourent à la compréhension du message sous-jacent à la création in situ qui cherche à intégrer le passé viticole à l’espace du quotidien. Des savoirs non académiques peuvent aussi être sollicités, la mémoire des anciens (6) ou les études d’aménagement. Le va-et-vient entre les disciplines et la question posée suppose une mise en synergie des programmes des disciplines concernées qui peut se mettre en place dans un même niveau de classe mais aussi s’inscrire dans le cursus de l’élève. Dans l’exemple précité, la géographie intervient en 6e, les SVT en 5e, les arts plastiques en 3e. Cette situation suppose de mettre l’accent sur les articulations à établir entre disciplines et niveaux de classe, ce qui constitue un enjeu didactique nouveau.
Conclusion La question des «passerelles» entre disciplines est au cœur de la réflexion actuelle sur l’éducation au développement durable et plus largement dans la perspective du socle commun qui affiche «la volonté de donner du sens à la culture scolaire fondamentale, en se plaçant du point de vue de l’élève et en construisant les ponts indispensables entre les disciplines et les programmes». Ceci doit permettre «de comprendre et de décrire le monde réel, celui de la nature, comme celui construit par l’Homme ainsi que les changements induits par l’activité humaine» afin que l’élève soit «en mesure de comprendre […] la nécessité du développement et de la protection de la planète» (op. cit.). Rapporté aux territoires de proximité qui sont objets d’étude en collège, cet objectif renvoie à la construction d’une attitude de compréhension de son espace de vie et au développement de capacités à s’impliquer dans les enjeux locaux. Pour cela, la construction d’un dialogue entre disciplines scolaires autour de questions sociales est fondamentale. Elle doit s’appuyer sur des concepts ou notions partagés, comme le paysage. Pour les rendre opérationnels, il faut connaître l’histoire de leur circulation entre les champs disciplinaires afin de comprendre les cadres épistémologiques dans lesquels ils s’inscrivent et qui conditionnent les points de vue disciplinaires dont ils sont porteurs. Mais l’enjeu didactique va au-delà d’un simple croisement disciplinaire: il s’agit de mettre les enseignements disciplinaires au service de finalités éducatives et civiques. Cette dimension transdiciplinaire bouscule la tradition scolaire et change le statut des disciplines qui doivent passer d’une logique d’appropriation de parcelles de savoirs ou de méthodes à une logique de contribution à des objectifs qui les transcendent. Cela pose notamment deux grandes questions aux recherches en didactique:
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