Sommaire du numéro
N° 94 (2-2009)

Évolution de l’occupation des sols et désertification dans le Sud des Aurès (Algérie)

Hassen Benmessaoud a, Mahdi Kalla a , Hadda Driddi a

Laboratoire Risques naturels et aménagement du territoire, Faculté des sciences, Université El Hadj Lakhdar, Batna, Algérie.

Résumés  
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1. Carte des Aurès et des limites de la zone d’étude

En Algérie, comme dans la plupart des pays en développement, la conjugaison de la pauvreté et de la croissance démographique dans les milieux naturels fragiles aboutit à une dégradation des ressources non-renouvelables, ou difficilement renouvelables, notamment les forêts, les sols et les eaux. Ces dernières années, ce processus s’est particulièrement accentué du fait d’une exploitation excessive des ressources naturelles (pâtures), du défrichement et de la mise en culture de terres fragiles (Bedrani, 1996; Ansar, 2002; Benbrahim et al., 2004). Les interactions entre un milieu déjà fragile, l’irrégularité des précipitations, la recrudescence des périodes de sécheresse depuis 1970 et les pressions socioéconomiques accrues ont augmenté la dégradation du milieu (Abdessemed, 1981; Benmohammadi et al., 2000; DGE, 2001). Cette dégradation a engendré une situation nouvelle caractérisée par la réduction du couvert végétal, la diminution de la production fourragère et l’extension rapide de l’ensablement éolien dans des zones agricoles et non agricoles (Bensaid, 2006; Benmessaoud et al., 2007).

La dégradation des terres dans ces écosystèmes exige, avant même toute intervention, des recherches approfondies en amont: il faut répertorier l’ensemble des facteurs impliqués de façon directe ou indirecte dans l’évolution du milieu et surtout chercher à savoir comment ces facteurs se conjuguent et interagissent dans le temps et dans l’espace.

Comme on le sait, la télédétection spatiale est un outil performant de suivi diachronique de cette dégradation, par le nombre élevé de données mobilisables, par l’homogénéité synoptique des informations transmises et par la répétitivité de leur acquisition (Beaudin, 2007; Benhanif, 2003; Bensaid, 2006; Kalla et al., 2007). Les images satellitaires sont également descriptives et apportent une information visuelle très importante à laquelle s’ajoute l’aspect multi-spectral des données, offrant un atout crucial pour caractériser les objets dans une large bande spectrale (Bonn, 1996).

Nous nous attachons ici à montrer le potentiel de la télédétection pour caractériser l’occupation du sol de la zone d’étude et pour analyser son évolution spatio-temporelle à partir des traitements effectués sur deux images satellitaires de Landsat datant de 1987 et 2001.

Contexte géographique

Caractéristiques du milieu naturel

À l’est de l’Atlas saharien, les Aurès forment un ensemble de chaînes montagneuses au relief très contrasté, fortement exposées aux phénomènes de dégradation, notamment dans la partie sud en contact direct avec le Sahara. C’est dans cette partie méridionale que se situe la zone d’étude (fig. 1), entre les méridiens 6°00’ et 6°40’ Est et les parallèles 35°00’ et 34°45’ Nord.

La région est caractérisée par de fortes dénivellations sur de courtes distances, avec des altitudes qui varient de 2300 m (versant nord) à - 50 m (au sud) (Ansar, 2002) (fig. 2).

2. Orographie de la région des Aurès par MNT

Sur le plan géologique, la région est subdivisée en deux principaux domaines: les formations calcaro-marneuses prédominent dans le massif de Beni-M’loule et le Djebel Mezbel (fig. 7). Des roches résistantes constituent les zones les plus élevées (grès et calcaire), alors que les zones de basse altitude sont le domaine des matériaux tendres, fins au nord et grossiers au sud. La prédominance de ces derniers matériaux peu résistants à l’érosion accentue la dégradation du couvert végétal dans le Sud, partie la plus vulnérable des Aurès, vulnérabilité encore accentuée par la vigueur des pentes. On y passe en effet, sur une distance de 35 kilomètres, de 1 700 m à moins 50 m d’altitude (Chott Melghigh), ce qui favorise le ruissellement et d’autres processus d’érosion. Le réseau hydrographique est principalement endoréique, avec des écoulements temporaires à irrégularité extrême, conséquence du climat méditerranéen semi-aride (fig. 3), caractérisé par un été sec et chaud et un hiver frais sur les reliefs et doux dans la plaine (fig. 4).

3. Climagramme d’Emberger 4. Diagramme ombrothermique

Fragilité et dégradation des milieux

Ces milieux sont constamment confrontés à des problèmes de dégradation, d’abord du fait de la fragilité des sols et de la topographie accidentée. Mais le phénomène de dégradation s’est amplifié avec le temps en raison des transformations socio-économiques et des mutations des systèmes de production que connaît le monde pastoral, avec notamment une extension récente et rapide des terres agricoles (Programme national de développement agricole, Phase I, 2000-2004) et une surexploitation de la végétation clairsemée (base principale de l’alimentation des cheptels). La conjonction de plusieurs facteurs a favorisé l’installation d’un nouveau mode de vie: développement de la sédentarisation par rapport au semi-nomadisme, croissance démographique, augmentation des besoins de la population, défrichements des forêts et des meilleurs parcours au profit des cultures céréalières, augmentation du cheptel induisant une gestion incontrôlée des ressources naturelles. Ces dernières années, cette situation a été aggravée par la diminution de la pluviométrie, l’irrégularité des précipitations et l’augmentation de la fréquence des périodes de sécheresse. Cette évolution a rompu l’équilibre du milieu, créant des conditions favorables au déclenchement de la désertification. Selon plusieurs auteurs (Abdessemed, 1981; DGE, 2001; Ansar, 2002), il s’agit bien d’une désertification progressive dont l’homme est le principal responsable, par sa mauvaise gestion et la surutilisation de ces écosystèmes très fragiles.

Méthodologie

Nous avons utilisé deux images satellitaires brutes Landsat 5 et 7 (TM et ETM+ =192/36 des 27 avril 1987 et 10 avril 2001), confrontées à un travail d’échantillonnage de terrain (vérification de la réalité terrain, fin de printemps 2002), afin d’effectuer l’analyse thématique du milieu et visualiser les changements globaux produits. Deux images de dimensions égales (2400 x 1200 pixels) ont été extraites.

L’analyse de la signature spectrale des différents objets de l’occupation et de l’utilisation du sol est une étape importante pour le choix des canaux ETM+ des scènes Landsat. Dans cette étape, nous avons préféré travailler sur la combinaison des bandes 1, 2 et 3 car, dans cette combinaison de canaux, l’aspect visuel naturel des différentes unités paysagères est mieux représenté et traduit la réalité du terrain.

Plusieurs missions de reconnaissance ont été effectuées pour le repérage et la connaissance d’un certain nombre de parcelles représentatives des différents types d’occupation du sol que l’on rencontre dans la zone d’étude (fig. 5).

5. Carte des relevés GPS et échantillonnage sur image satellitaire Landsat, 2002

Enfin, après confrontation de l’image à la réalité physique (comparaison de la composition colorée avec les informations récoltées sur le terrain), une généralisation de l’analyse de l’image a été établie à partir des clés d’interprétation. Cette généralisation a abouti à retenir une typologie des principales occupations du sol, pertinente par rapport à nos objectifs d’étude:

1. Forêts (fig. 6); 2. Cultures irriguées; 3. Végétation clairsemée; 4. Terrains rocheux; 5. Sols sableux; 6. Sols nus; 7. Cours d’eau et terrains humides; 8. Affleurements marneux.

6. Forêt dégradée dans les Aurès (cliché: H. Benmessaoud, 2001)

L’opération «classification» des images a nécessité de délimiter spatialement les parcelles tests sur la composition colorée. Dès lors, en utilisant le logiciel ENVI 4.0, une véritable image de la réalité de terrain a été créée en trichromie dont les valeurs radiométriques qui la caractérisent serviront de référence pour l’ensemble des pixels non pris en compte dans cette image de vérité terrain. La saisie de la réalité terrain a été réalisée sur des fenêtres de la scène représentant la totalité de la région d’étude, afin de travailler à pleine résolution.

Chaque réalité de terrain décrit une occupation du sol précise où sont associés un nom de classe et une couleur qui la différencie des autres thèmes. Les valeurs radiométriques caractérisant cette réalité de terrain résultent de la moyenne des valeurs radiométriques prises par la totalité des pixels contenus dans l’ensemble des parcelles décrivant cette réalité de terrain. L’écart-type moyen autour de cette valeur radiométrique est également calculé et décrit la variabilité de réponse radiométrique de la réalité considérée.

Validation de la classification

Il est possible d’évaluer les performances de cette classification en estimant le pourcentage et le nombre de pixels correctement classés à l’intérieur de chaque polygone test. La matrice de confusion de l’estimation des images TM et ETM+ illustre cette performance. Cette évaluation a été complétée par des visites de terrain visant à valider la classification effectuée sur les images. Les tableaux 1 et 2 illustrent cette performance.

De cette analyse, il ressort que, malgré les différents types d’images utilisées (TM et ETM+), nous arrivons à obtenir une performance moyenne de la classification de l’ordre de 89,27%. Il est à noter que les confusions qui existent entre les différentes catégories de l’occupation du sol de la région d’étude ont été levées grâce à une interprétation visuelle effectuée sur l’image classifiée.

Les parcelles tests homogènes sont particulièrement bien classées; c’est le cas des classes «Végétation clairsemée», «Sols sableux» et «Cultures irriguées» dont le pourcentage de précision statistique (indice de HELLDEN 2) est supérieur à 90%. Ces catégories d’occupation du sol sont bien appréhendées et bien restituées; leur précision cartographique est fidèle avec moins de 8% d’imprécision.

En plus de la matrice de confusion, nous avons procédé à des calculs pour déterminer les pourcentages d’occupation du sol de chacune des formations présentes dans la zone d’étude.

 

Résultats obtenus et interprétation

Ces différents traitements effectués ont abouti à la réalisation de cartes de l’occupation des sols, ce qui permet un suivi de la dégradation dans ce milieu semi-aride. Ces cartes (fig. 7) permettent d’identifier les diverses composantes de l’espace étudié, de comparer l’état du couvert forestier et des cultures irriguées aux deux dates et donc d’analyser le phénomène de dégradation.

Nous avons abouti ainsi au bilan de l’occupation des sols entre 1987 et 2001. Les interactions des classes entre ces deux dates concernent les mutations des unités paysagères dans cette zone.

L’analyse des deux cartes de l’occupation du sol montre l’impact très important des activités anthropiques, notamment l’extension des surfaces de cultures irriguées, la régression du couvert forestier et la réduction des zones de végétation clairsemée.

7a. L’occupation du sol dans le Sud des Aurès en 1987
7b. L’occupation du sol dans le Sud des Aurès en 2001

En effet, l’observation du tableau 3, qui représente les pourcentages et les surfaces en hectares d’occupation du sol déduits de la matrice de confusion montre:

  • que cette zone a subi des changements importants qui se manifestent par une réduction du couvert forestier de l’ordre de 6%, apparemment autant du fait de conditions climatiques sévères, et notamment de la sécheresse qui a sévi au début des années 1990 (Bedrani, 1996; Rognon, 1996), que de conditions anthropiques défavorables — incendies, exploitation abusive du bois (Ansar, 2002);
  • que l’extension des affleurements rocheux (qui passent de 18,73% à 25,24%) et marneux (de 4,55% à 6,88%) se fait au détriment du couvert forestier et de la végétation clairsemée qui régressent;
  • que les superficies des cultures irriguées sont passées de 2,63% à 5,08% du total. Cette augmentation des cultures fourragères et maraîchères résulte probablement de l’extension des cultures libres qui sont directement situées dans le lit des cours d’eau et dans les zones humides (zones bordant les oueds). On peut se poser la question de la durabilité de ce type d’agriculture dans cette région vulnérable. La matrice argileuse et sableuse favorise, par sa porosité et sa capacité à retenir l’eau, l’installation de ce type de culture;
  • que, par ailleurs, les sols nus à texture sableuse dominante passent de 8,47% à 10,35%, montrant, au moins en partie, les conséquences de cette intensification de la mise en valeur agricole, avec mobilisation éolienne des éléments fins. On remarque en effet que cette couverture sableuse se produit à proximité des secteurs de culture;
  • qu’enfin, apparaît nettement une dégradation du couvert forestier selon un gradient du nord au sud et d’ouest en est. Si la région sud des Aurès présente un faible taux de couvert végétal, explicable avant tout par son climat semi-aride et par la fragilité des formations lithologiques sur lesquelles poussent les végétaux (des terrains qui se ressuient de façon excessive à cause de leur faible aptitude à retenir l’eau), on constate que les activités humaines (labours et coupes de bois de feu) contribuent à réduire notablement la densité du couvert végétal. Les rares beaux peuplements forestiers sont présents uniquement sur les hauteurs, généralement d’accès difficile.

Conclusion

Nos résultats montrent l’existence d’une dégradation importante de la forêt, des végétations clairsemées et une extension des sols nus. Il s’agit d’un diagnostic révélateur de l’évolution de cette zone semi-aride des Aurès, caractérisée par une régression considérable du couvert végétal. Cette régression est l’indicateur du déclenchement du phénomène de désertification de la région.

La carte d’occupation du sol constitue un outil utile pour l’appréhension du rythme de dégradation et de toutes ses conséquences. La connaissance des transformations actuelles des surfaces représente un enjeu important pour l’évaluation des problèmes environnementaux dont le suivi régulier peut être assuré au mieux par l’utilisation d’images satellitaires de haute résolution sur de longues périodes, complétant ainsi les études de terrain.

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