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Greenwich, parallèles sur le méridien

Steven Weinberg n’est pas géographe. Il enseigne les Sciences de la Terre et de la Vie au Luxembourg, et il a, au moins, deux passions: le voyage et la photographie; ces deux passions sont liées, bien entendu, et il nous les offre, pour notre plus grand plaisir.

Car il a eu l’idée (dont je me demande si elle aurait pu venir à l’esprit d’un géographe…) de voyager tout au long du méridien de Greenwich, appareil de photo en main, toujours sur le qui vive….

Le méridien de Greenwich, 0° comme chacun sait, frôle les Shetland, traverse l’Est de l’Angleterre, en passant, bien entendu par sa ville éponyme, banlieue de Londres, file à travers la France de Villers-sur-Mer à Gavarnie, en Espagne de Gavarnie à Altea au sud de Valence, puis se lance dans sa grande traversée africaine, à partir de Mostaganem (Algérie), à travers le Mali, le Burkina Faso, et, frôlant le Togo, il plonge dans l’océan à Tema (Ghana) pour n’en ressortir que sur le continent antarctique, mais Steven Weinberg n’a pas poussé jusque-là; à vrai dire, son regard, à travers ses photos, est tellement humain que ce continent l’aurait sûrement rebuté!

S’autorisant des écarts de quelques kilomètres de part et d’autre du méridien zéro, Steven Weinberg a photographié, sans trêve, sans relâche, des Shetland au Ghana. Et c’est un magnifique album qu’il offre à notre contemplation.

Mais il ne faut pas s’attendre à un défilé d’images, du nord au sud; non, ce serait trop facile, trop banal, une énumération bestialement alignée (comme diraient les mathématiciens). Non, Steven Weinberg est beaucoup plus subtil que cela. Il a composé son livre en provoquant des rencontres surprenantes, des ressemblances déroutantes, des clins d’œil imprévisibles, et parfaitement justifiés, voire rationnels…

On commence par une série d’images qui incarnent… le méridien, signalé par des monuments, des poteaux indicateurs, l’horloge du Royal Observatory Greenwich, une photo de Nicolas Hulot au pôle Nord, les pieds sur tous les méridiens à la fois, et puis le monument de Villers-sur-Mer, le village de Parnay (Maine-et-Loire), les plaques indicatrices en Espagne, en Algérie, au Ghana.

Le méridien bien posé dans nos têtes et nos yeux, on part dans une aventure paysagère et surtout humaine… Regardez bien les quatre paysages des pages 24 et 25, dunes de Oursi au Burkina Faso, champ printanier dans le Calvados, vignoble en Algérie, couches sédimentaires près d’Aïn Ouarka en Algérie également, et cherchez pourquoi l’auteur les a rassemblées…

Et de même dans la partie du livre consacrée aux architectures: pages 40 et 41, contemplez les greniers à mil du Burkina, le puits couvert du Calvados, la tour Marguerite à Argentan et la rue aux Juifs dans la même ville, le château de Montreuil-Bellay: subtiles correspondances de formes. Plus curieuses encore, presque métaphoriques, les photos des pages 42 et 43 ou 44 et 45 (des cabines de bain de Villers-sur-Mer à l’Hemisfèric de Calatrava à Valence en passant par le Futuroscope et une tente de Peuls au Mali…)

On ne va pas énumérer ainsi toutes les images, tous les rapprochements. L’œil et l’objectif acérés de Steven Weinberg nous conduisent dans un voyage initiatique constellé de déchirements spatiaux, de sauts en sauts, d’allers en retours, des îles battues par le norois aux dunes battues par l’harmattan.

Mais le morceau de choix du livre, ce sont les portraits, de buste ou en pied, des visages presque tous souriants: le sourire éclatant de Timothée, 16 ans, habitant de La Flèche, ou, à côté, les sourires légers de cette lycéenne de Hacine (Algérie), ou de Zeina au Mali. Et ce magnifique visage d’Ahmadou, fermier au Burkina (p. 109), les musiciens des pages 116 et 117, accordéoniste en Charente, chanteuse songhaï, ou berger flûtiste en Algérie… Après avoir longuement regardé ces dizaines de types humains, blancs, noirs, bruns, visages burinés, fatigués, jeunes, pleins de joie ou de mélancolie, fatigués par la vie ou éclatants de jeunesse insolente, après avoir été interpellé par tous ces regards qui chantent un véritable hymne à la vie, on se demande comment il est possible d’être raciste….

Les géographes, dit-on, ont souvent confondu leur science avec l’objet de leur science. Ce livre, ce kaléidoscope branché sur la ligne subtile (et imaginaire…) du méridien 0, celui qui donne l’heure au monde, est consacré à l’objet de la géographie, le visage un et multiple du monde, même quand ce monde vit à la même heure! Certes, ce n’est pas de la science géographique, mais ça donne bougrement envie d’en faire… Et c’est un beau cadeau fait aux géographes.

Henri Chamussy

WEINBERG S. (2007). Greenwich, parallèles sur le méridien. Bruxelles: Editions Racine, 176 p. ISBN: 978-2-87386-536-8