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Migrations sans frontières, L’ouvrage a pour point de départ une question simple mais iconoclaste alors que les contrôles migratoires se généralisent dans le monde entier: «qu’arriverait-il si les contrôles aux frontières étaient supprimés et si les personnes pouvaient se déplacer librement à travers le monde?». Les directeurs présentent dans une introduction très réussie les principaux enjeux de ce projet (utopique?) et les apports des quinze contributions d’auteurs, qui sont pour la plupart d’entre eux universitaires mais exercent des responsabilités institutionnelles dans le champ des migrations internationales et débattent autour du scénario «migrations sans frontières» selon des «questions théoriques» (première partie) ou bien des «problématiques régionales» (seconde partie). L’ouvrage est marqué par ces deux choix puisque, d’une part, il ne relève pas de la stricte recherche académique mais d’un dialogue entre ONG, politiques et universitaires centré sur les politiques migratoires et documenté par des approches quantitatives des phénomènes étudiés et, d’autre part, il a une portée prospective forte, bien qu’inégalement développée selon les contributions. Dans la première partie, divisée en cinq chapitres, le débat analytique porte sur les tendances migratoires et les contrôles des frontières. Les auteurs proposent des états des lieux qui croisent les dimensions économiques, sociales, éthiques et droit de l'homme. Ils rappellent que la volonté d'une cohérence mondiale du contrôle des migrations trouve ses limites dans les fortes inégalités de «citoyenneté», de qualification, entre individus et entre états. La question d’un droit à la mobilité (chapitre 3) est posée. L'Europe communautaire constitue la base de nombreuses analyses, tant foisonnent les exemples pour saisir les conséquences des migrations à la fois entre émigration et immigration et ouverture et fermeture des frontières. Le scénario de l'ouverture des frontières se heurte souvent aux représentations de l'invasion des pays riches par des migrants venant de pays pauvres (chapitre 3). L'ouvrage, tout le long des analyses, évite une approche candide en ne traitant pas seulement des bienfaits de la libre circulation mais aussi de ses limites (chapitre 3). On peut envisager le scénario «migrations sans frontières» en considérant la place fondamentale des migrations dans l'économie, son impact, ses logiques dans le contexte commercial mondial (chapitre 2) mais l’interprétation d’hypothèses économiques souvent éloignées de la réalité sur lesquelles la prospective se fonde impose la prudence (chapitre 5). L'ouverture des frontières pose aussi un débat éthique (chapitre 4). Les pays de départ tirent des bénéfices des transferts de fond de leurs émigrants mais perdent des parts fiscales et des compétences qui ne sont pas toujours compensées par les compétences des immigrés (chapitre 4). Les systèmes de protection sociale collective (chapitres 6 et 7) sont apparemment menacés par un scénario «migrations sans frontières» mais la liberté de mouvement a toutes les chances d'avoir un effet positif sur le bien-être social dans les pays d'accueil, à condition de regarder autrement le rôle de l'État-providence (chapitres 3, 4 et 6). Comment combiner les logiques économiques, sécuritaires ou défense des Droits de l'Homme? La multiplication des systèmes de contrôle répond à des logiques d'États, qui sont souvent en contradiction avec les logiques des marchés (chapitres 3 et 5). Or les États du Nord généralisent et externalisent ces mesures de contrôle en incitant les États d'origine et/ou de passages, par la signature d’accords bilatéraux, à endiguer les flux de départ de migrants clandestins et à renforcer leurs contrôles (chapitre 3). Ces pays deviennent des zones « tampons » œuvrant pour le contrôle des circulations. Contrôler les migrations supposerait la fermeture des frontières alors qu'elles doivent rester ouvertes, pour les flux touristiques, commerciaux ou de main-d'œuvre. D'autant plus que toutes ces mesures, aussi sophistiquées soient-elles, n'empêchent pas les individus de migrer clandestinement même au prix de leur vie (Introduction et chapitre 3). Dans la seconde partie, la déclinaison régionale du projet «migrations sans frontières» conduit les auteurs à juxtaposer en sept chapitres des études de cas selon des découpages territoriaux continentaux (Europe, Asie) ou sous-continentaux (les Afriques ou les Amériques) dont on pourra regretter qu’ils laissent de côté d’autres configurations (Monde arabe, Méditerranée), pourtant fondamentales mais aussi des études plus finement localisées. Les auteurs du chapitre 7 jouent le jeu de la prospective, partant de l’alternative, manichéenne, entre une «Europe sans frontières» et une «forteresse Europe». Ils restituent un utile cadre juridique agrémenté de rappels des débats européens et de données statistiques où la place consacrée aux trois scénarii d’avenir possibles paraît un peu trop importante. Dans le chapitre 8, l’Afrique de l’Ouest est observée depuis le point de vue anglophone mais le propos demeure général, à grand renfort d’autocitations (12 références de l’auteur pour 6 références «autres»). La véritable prospective ne se fonde-t-elle pas sur le constat-clé, hélas peu étayé, que «nombre de pays d’Afrique de l’Ouest sont maintenant tout à la fois pays d’immigration, d’émigration et de transit» (p. 224). Le chapitre 9 se fonde sur une vaste enquête sur les migrations internationales en Afrique australe menée aux frontières de l’Afrique du Sud, enquête dont on aurait aimé que les contours soient mieux précisés. On retient toutefois un utile rappel des organisations continentales et sous-régionales au sein desquelles se définit la circulation des personnes. Le chapitre 10 restitue un tableau intéressant qui rappelle les grandes étapes chronologiques de l’émergence de foyers récepteurs du Golfe arabo-persique des années 1970 aux cinq sous-systèmes du début du XXIe siècle. C’est peut-être dans cette lecture que l’on ressent le manque, en creux, de l’évocation des migrations interarabes. Le chapitre 11 discute un thème qui a donné lieu à de nombreuses réflexions stimulantes durant les années 1990, celle des fonctions et du devenir des communautés transnationales au sein de l’espace migratoire États-Unis/Mexique. Le chapitre 12 complète et étaye à renfort de statistiques l’effet des politiques d’immigration des États-Unis et du Canada sur l’immigration mexicaine, notamment qualifiée. Au total, l’ouvrage n’apporte pas d’éléments nouveaux sur les migrations internationales mais il peut constituer une bonne introduction aux débats actuels appuyée sur des cadres juridiques et des données statistiques nombreuses mais hélas sans les cartes et les tableaux qui auraient permis au lecteur de circuler plus aisément d’un chapitre à l’autre. Olivier Pliez, Sonia Missaoui PÉCOUD A., GUCHTENEIRE DEP., dir. (2009). Migrations sans frontières. Essais sur la libre circulation des personnes. Paris: Unesco, coll. «Études en sciences sociales», éditions, 383 p. ISBN: 978-92-3-204024-4 |