Sommaire du numéro
N° 96 (4-2009)

Un processus automatique d’amélioration des contrastes colorés sur les cartes de risques

Élisabeth Chesneau a

UMR CNRS 5600 - Environnement, Ville, Société; Université Jean Monnet Saint-Étienne

Résumés  
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Chaque jour ou presque, les médias font état de catastrophes: des catastrophes d’origine naturelle comme le violent séisme qui a touché la province du Sichuan en Chine au printemps 2008; des catastrophes mi-naturelles mi-anthropiques quand l’action indirecte de l’homme provoque ou aggrave des phénomènes catastrophiques (par exemple les incendies de forêt au Portugal de l’été 2005, particulièrement violents du fait d’un débroussaillement insuffisant); enfin des catastrophes d’origine anthropique comme l’explosion de l’usine AZF à Toulouse en 2001.

La mise en place de mesures de prévention a conduit, en France, à l’obligation pour les communes concernées par un ou plusieurs risques d'élaborer un plan de prévention des risques (PPR). Celui-ci permet de réglementer l’occupation des sols en fonction des zones à risques existant sur leur territoire. On peut aussi signaler l’existence de procédures de gestion de crise: les services de prévision des crues mesurent par exemple en temps réel le débit des cours d’eau et ont pour mission de prévenir les services de secours et les populations d’un éventuel débordement du lit.

Pour que les actions menées soient vraiment efficaces, il convient d'établir des procédures adaptées et de se doter d’outils pertinents. Parmi ces outils, la carte occupe une grande place. En France, c’est à partir des années 1970, à la suite des catastrophes de Val d’Isère et du plateau d’Assy, que les premières cartes de risques sont apparues: les cartes ZERMOS (zones exposées aux risques de mouvements des sols) du BRGM et les CLPA (cartes de localisation des phénomènes avalanches) du CEMAGREF. À partir des années 1980, l’État développe une politique de prévention des risques dans laquelle la cartographie joue désormais un grand rôle. Ainsi, «la cartographie est devenue progressivement un outil indispensable de la prévention: de la connaissance des phénomènes et des aléas, l’appréciation de leurs impacts sur les biens, les activités et les hommes, jusqu’à leur prise en compte dans les documents d’urbanisme et les opérations d’aménagement, l’information préventive et la gestion de crise» (Garry, 1995-1996; Garry et al., 2004).

À cette fin, il importe qu’une carte soit lisible pour être facilement et correctement comprise par ses lecteurs. Or le risque n’est pas une donnée facile à cartographier, notamment parce que de nombreuses informations peuvent se superposer les unes aux autres. Le risque se définit comme un «danger éventuel plus ou moins prévisible, dans une aire non précisément définie et d’une durée indéterminée» (Bailly, 2004). Il naît de la «conjonction d’un aléa (phénomène catastrophique comme une avalanche ou une inondation ayant une probabilité d’occurrence, une intensité et une extension spatiale) et d’enjeux divers (biens, personnes, activités et fonctions), affectés d’une certaine valeur (économique, patrimoniale, esthétique, affective, stratégique, environnementale) et d’une certaine vulnérabilité (structurelle, corporelle ou fonctionnelle)» (Leone, 2002). La représentation de tous ces éléments (aléas, enjeux plus ou moins vulnérables, éléments d’accompagnement des données sur les risques comme le relief ou les limites administratives) sur une même carte engendre des effets de superposition et de chevauchement entre de nombreuses informations (fig. 1, extrait de CLPA, carte de phénomènes naturels, carte d’aléas).

1. Exemples de cartes de risques

Un point commun à ces cartes est une organisation de l’image en deux grands ensembles: des zones colorées représentant des phénomènes ou des aléas se superposent à un fond de carte en gris constitué d’enjeux (maisons, routes) et d’éléments d’accompagnement (courbes de niveau, toponymes). Cette première organisation de l’image concorde avec la théorie de la Gestalt définie par les psychologues allemands du début du XXe siècle (MacEachren, 1995) dans laquelle «l’œil doit pouvoir séparer les taches significatives des taches non significatives […] Le premier palier sensible doit détacher la forme du fond» (Bertin, 1967). Cependant, des thèmes importants pour le lecteur peuvent être mal perçus. C’est le cas des enjeux: pour des actions de prévention et de gestion des crises, c’est sur eux que des interventions devront être menées en cas de catastrophes, or ces enjeux se repèrent difficilement sur le fond de carte gris, et ceci d’autant plus que des couleurs leur sont superposées.

Un autre point commun à ces cartes est leur forte densité graphique, surtout sur le fond de carte (généralement une carte topographique IGN au 1/25 000). Ceci accentue les problèmes de lisibilité des éléments présents sur ce fond de carte, comme les enjeux. Selon Bertin (1967), la quantité minimale de taches noires ou colorées doit être comprise entre 5 et 10% de l’espace de la carte. Dans ces exemples, on est bien au-delà de ces valeurs.

Il est donc utile d’améliorer la lisibilité des cartes de risques. Plusieurs solutions sont envisageables: alléger le fond de carte, créer des signes de plus grande taille, d’une couleur plus voyante ou avec une forme originale pour attirer l’attention du lecteur (Chesneau, 2008). Nous proposons ici de travailler sur les couleurs des signes, en particulier sur leurs contrastes, variables particulièrement importantes pour rendre une carte lisible: «on parle de contraste quand, entre deux effets de couleurs à comparer, on peut établir des différences ou intervalles sensibles» (Itten, 1967). Selon Arthur Robinson et al. (1995), «aucun facteur graphique n’est aussi important que le contraste. Le contraste est la base de la vision. L’œil critique semble accepter les distinctions graphiques modérées et faibles de façon passive et sans enthousiasme tandis qu’il apprécie les contrastes plus grands».

Avec une amélioration des contrastes colorés dans une carte, on cherche à créer une bonne hiérarchie visuelle de lecture pour que l’œil aille de ce qui est important vers ce qui l’est moins, en tenant compte des règles de construction graphique (Bertin, 1967) et des usages conventionnels des couleurs (eau en bleu, végétation en vert…).

Pour aider un utilisateur expert dans le domaine des risques — mais peu familier des règles de la cartographie — à améliorer la lisibilité de sa carte, nous avons développé un modèle d’analyse et d’amélioration automatiques des contrastes de couleurs pour les cartes de risques, dans le cadre d’une thèse de doctorat réalisée au laboratoire COGIT de l’Institut géographique national (Chesneau, 2006). On décrira ici ce modèle, en présentant dans un premier temps les choix conceptuels effectués pour l’analyse et l’amélioration automatiques des contrastes, puis en proposant une illustration à travers un scénario-type d’amélioration réalisé sur un exemple de carte. Des perspectives d’évolution de ce modèle seront évoquées à la fin de l’article.

Choix conceptuels lors de la construction du modèle

La création du modèle a impliqué des choix conceptuels. Ceux-ci ont été faits d’une part lorsqu’ont été établis les principes d’analyse et d’amélioration des contrastes colorés, puis lors de la mise en place du processus cyclique automatique d’amélioration des cartes.

Analyse et amélioration des contrastes colorés sur la carte

2. La carte et sa légende

Trois grands principes (fig. 2) régissent l’analyse et l’amélioration des contrastes colorés sur la carte.

Règles graphiques relatives à la couleur

Un document cartographique est constitué d’une carte et de sa légende qui met en correspondance un signe avec son sens. Les lignes composant la légende sont implicitement liées les unes aux autres à travers des relations de différence, d’association et d’ordre entre les données. En figure 2, les trois niveaux d’aléa (élevé, modéré, faible) sont ordonnés et regroupés dans le même thème cartographique «Aléa torrentiel»; ce thème est associé au thème «Hydrographie» puisqu’ils font tous les deux référence à l’eau; le thème «Enjeu» est quant à lui sémantiquement différent des deux autres thèmes.

Parmi les moyens graphiques à notre disposition pour traduire ces relations sémantiques, la couleur occupe une place importante (Chesneau, 2008): la teinte pour différencier (mairie en jaune et aléa torrentiel en bleu-violet) ou associer (aléa torrentiel en bleu-violet et canalisation en bleu-gris); la clarté pour ordonner des informations en relation d’ordre (aléa faible en bleu-violet clair et aléa fort en bleu-violet foncé) et la saturation pour créer des hiérarchies visuelles de lecture pour des données en différence ou en association (mairie en jaune et bâtiment industriel en jaune-gris).

La figure 3 illustre l’organisation des couleurs selon ces trois paramètres perceptifs. Elle est une adaptation du modèle colorimétrique TSL (Teinte, Saturation, Luminosité) qui servira de référence pour notre système automatisé: on a 12 teintes saturées autour d’une roue chromatique (axe des teintes), chacune étant déclinée en 7 degrés de clarté (axe des clartés). De plus, chaque teinte principale (jaune, orange, rouge, pourpre, violet, bleu, vert) est déclinée en 2 degrés de saturation (axe des saturations): on obtient des gris plus ou moins colorés. Sept niveaux de gris, le blanc et le noir complètent les couleurs de référence. En figure 3, pour des questions de lisibilité, seuls les degrés de clarté et de saturation de quatre teintes principales (bleu, violet, orange et jaune) sont représentés.

Dans le modèle, les couleurs saturées seront réservées à la représentation des données sur les risques (aléas et enjeux vulnérables) et les gris colorés ou non colorés serviront à symboliser le fond de carte (enjeux peu ou pas vulnérables et éléments d’accompagnement des données sur les risques).

Usages conventionnels des couleurs

Les couleurs sont souvent associées à des éléments du monde réel (bleu pour les aléas hydrologiques, jaune ou orange pour les aléas géomorphologiques) ou à des impressions (rouge pour le danger, vert pour le calme). Dans le modèle, des conventions colorées vont être utilisées pour que le lecteur associe rapidement et facilement des couleurs à des concepts.

Voisinages colorés sur la carte

L’analyse des contrastes de couleurs peut être effectuée dans la légende de la carte ou sur la carte elle-même. En figure 2, toutes les couleurs sont lisibles les unes par rapport aux autres dans la légende. En revanche, ces mêmes couleurs sur la carte, influencées par leurs voisinages colorés et leur extension spatiale, ne le sont pas forcément. Par exemple, le gris des bâtiments sur le bleu-violet des aléas faibles se repère difficilement contrairement au même gris sur le fond blanc.

Dans le modèle, pour tenir compte de la différence de perception visuelle des couleurs en fonction de leur voisinage et de leur extension spatiale sur la carte, les contrastes seront évalués sur le document cartographique lui-même en s’appuyant sur les facteurs de proximité et de dimension des objets.

La réalisation d'un processus cyclique automatique

3. Couleurs de référence organisées selon trois paramètres: teinte, clarté, saturation

Les logiciels de cartographie ou les systèmes d’information géographique (SIG) peuvent comporter une aide à l’utilisateur qui spécifie quelles variables visuelles peuvent être utilisées pour représenter les relations sémantiques (différence, association, ordre) entre les données. Néanmoins, des cartes peu correctes ou mal contrastées peuvent être réalisées, surtout du côté des utilisateurs non-cartographes. Or notre propos est justement de proposer un outil d'amélioration automatique des cartes, utilisable par des experts des risques qui n’ont pas forcément de connaissances en cartographie.

Sur un plan théorique, cette amélioration automatique peut être réalisée de plusieurs manières. On peut par exemple choisir un processus simultané où toutes les couleurs sont modifiées en même temps pour obtenir une carte mieux contrastée. Mais le système doit alors stocker un grand nombre d’informations et il peut lui être difficile de trouver une bonne combinaison de couleurs. On peut aussi choisir une méthode incrémentale (Ruas, 1999) où les couleurs sont modifiées plusieurs fois de manière progressive et itérative, méthode que nous choisissons car elle est plus simple à appliquer: nous proposons d’éliminer les plus mauvais contrastes en changeant seulement les couleurs qui sont les plus médiocrement contrastées. Pendant un cycle, peu de couleurs sont modifiées mais la répétition des cycles conduit à des changements plus importants. Ceci permet d’obtenir une légende finale satisfaisante, plus lisible, bien contrastée et correcte dans la façon de représenter les relations sémantiques entre les données.

Un cycle d’analyse et d’amélioration automatiques d’une carte correspond à quatre étapes successives:

  • les contrastes de couleurs sont analysés pour identifier les éléments mal contrastés;
  • de nouvelles couleurs sont proposées pour ces éléments;
  • le nouvel état de la carte est comparé avec le précédent. S’il est meilleur, la nouvelle carte est validée; sinon, on reste à la carte précédente;
  • le processus d'amélioration est arrêté si l’état de la carte est satisfaisant ou cesse de s'améliorer; sinon, un nouveau cycle commence.

Pour illustrer ces étapes, un scénario, implémenté dans un prototype, va être présenté.

Scénario avec le prototype ARiCo

Un prototype du modèle d'amélioration a été implémenté dans un SIG. Cela a permis de réaliser quelques tests expérimentaux.

Éléments constitutifs du prototype

Ce prototype, baptisé ARiCo (Amélioration automatique des cartes de risque par le contraste coloré) a été développé dans le SIG Lamps2, SIG développé par la société LaserScan. C’est un logiciel que les organismes producteurs de grosses bases de données géographiques comme l’IGN utilisent couramment car il a de grandes capacités de stockage et de gestion de données. Ce SIG permet à l’utilisateur de développer ses propres applications en utilisant un langage de programmation propriétaire, Lull, proche du langage standard C. Nous avons choisi Lamps2 non seulement grâce à ses grandes potentialités techniques de gestion et de stockage des données mais aussi parce que des chercheurs du laboratoire COGIT, experts dans son maniement, avaient déjà développé de nombreuses applications associées.

Nous avons défini au préalable trois éléments:

1. Un schéma spécifique d’organisation et de représentation cartographique des données concernant les risques (Chesneau, 2008).
Dans un SIG classique, les données de l’utilisateur sont structurées dans des couches thématiques qui regroupent des modalités selon un caractère commun (par exemple en figure 2, le thème «aléa torrentiel» regroupe trois modalités: «faible», «modéré», «élevé»). L’utilisateur peut alors associer à chaque modalité un signe graphique qui est appliqué aux objets de la carte (par exemple, les zones d’aléa faible sont représentées en bleu-violet clair). Cependant, ce type de schéma ne suffit pas pour analyser automatiquement des contrastes colorés sur une carte: en effet, les bibliothèques graphiques sont gérées en interne par le logiciel lui-même; elles constituent de véritables boîtes noires difficiles à manipuler par l’utilisateur. De plus, les relations de différence, d’association ou d’ordre qui existent entre les données ne sont pas stockées.

Pour dépasser ces limites, nous proposons un schéma de données spécifique qui se compose de trois ensembles d’objets: les objets géographiques structurent les données de départ de l’utilisateur. Ils ont une position spatiale sur la carte et une signification (aléa faible, aléa fort, canalisation), ils n’ont pas de représentation cartographique. Quand l’utilisateur symbolise ses données, des objets cartographiques sont créés: ils correspondent aux objets géographiques qui ont une représentation cartographique. L’étude des voisinages entre les couleurs dans une carte se fera sur ces objets cartographiques. La représentation cartographique des données est, quant à elle, stockée dans un troisième ensemble d’objets: les objets graphiques. Un objet graphique est une ligne de légende qui regroupe un signe (par exemple un aplat bleu-violet clair) et sa signification (aléa faible). Les relations sémantiques entre les objets géographiques entrées par l’utilisateur sont stockées au niveau de ces objets graphiques.

2. Ensuite, des couleurs de référence (fig. 3) sont associées aux objets graphiques présentés plus haut. Elles sont définies à partir des palettes colorées du peintre suisse Itten et des cartographes américano-canadiennes Cynthia A. Brewer et Janet E. Mersey (Itten, 1967; Brewer et al. 2003; Mersey, 1990). Elles serviront lors du processus à analyser et à améliorer les contrastes de couleurs sur les cartes.

3. Enfin, des règles sur les contrastes de couleurs sont définies et placées dans des matrices indépendantes du schéma (Chesneau, 2006b). Des notes (entre 0 et 5) ont été attribuées pour évaluer les contrastes entre les couleurs de référence prises deux à deux: par exemple, le contraste de teinte entre un bleu et un vert sera assez faible (2) tandis que le contraste de teinte entre un bleu et un orange sera élevé (5). Ces notes sont issues de calculs basés sur les valeurs de teinte, saturation et luminosité des couleurs et sur des tests expérimentaux relatifs à la perception des couleurs réalisés auprès de cartographes et de professionnels de la couleur (Grelaud, 2005; Chesneau, 2006). Lors du processus cyclique, ces règles sont utilisées pour déterminer quel est le contraste entre deux objets cartographiques voisins sur la carte. Ensuite, des notes «idéales» de contraste ont été fixées de telle sorte que les relations sémantiques soient correctement représentées: par exemple, le contraste de teinte devra être fort (entre 3 et 5) pour symboliser une différence tandis qu’il devra être plutôt faible (entre 1 et 2) pour représenter une association.

Scénario

Le scénario présente des tests portant sur l’analyse des contrastes de teinte et de clarté sur la carte de la figure 2 (pour ces tests, les règles concernant les contrastes de saturation n’ont pas encore été intégrées). Nous avons choisi un exemple de territoire volontairement anonyme. Sur cette figure, il y a trois niveaux d’aléa torrentiel symbolisés en différentes clartés de bleu-violet et un fond de carte constitué par des enjeux (bâtiments et routes) et des canalisations.

4. Quel est le contraste du bâtiment avec l’aléa faible ?

Étape 1: Quels sont les éléments mal contrastés sur la carte ? Tout d’abord, ARiCo évalue le contraste de couleur de chaque objet cartographique avec chaque voisin sur la carte. Cette évaluation est basée sur des notes de contraste comprises entre 0 et 5 (cf. règles sur les contrastes de couleur): si la note vaut 0, il n’y a pas de contraste alors que si elle vaut 5, le contraste est maximal.

Par exemple en figure 4 (ARiCo fait de même pour chaque objet), ARiCo détermine quel est le contraste entre un bâtiment résidentiel et son voisin, c’est-à-dire la zone d’aléa faible à laquelle il est superposé. ARiCo sélectionne dans le schéma les couleurs de référence des deux objets cartographiques concernés et les notes de contraste associées à ces couleurs. Ainsi, le contraste de teinte entre le bleu-violet de la zone d’aléa faible et le gris du bâtiment résidentiel est fort (4) tandis que leur con-traste de clarté est nul (0). ARiCo procède ainsi pour chaque objet cartographique.

Ensuite, ARiCo interprète le contraste qui vient d’être évalué entre chaque objet cartographique et chaque voisin sur la carte pour savoir s’il symbolise correctement leur relation de différence, d’association ou d’ordre. Cette interprétation correspond à une comparaison entre les notes de contraste précédemment trouvées et les notes de contraste «idéales» déjà fixées (cf. règles sur les contrastes de couleur). On obtient une qualité de contraste comprise entre 0 et 5: si elle vaut 0, le contraste est mauvais; si elle est égale à 5, le contraste est parfait.

En figure 5, le contraste idéal de teinte entre un bâtiment résidentiel et un aléa faible devra être élevé (3 à 5) puisqu’ils sont sémantiquement différents. Leur contraste de clarté dépendra de leur contraste de quantité sur la carte. Ici, le bâtiment résidentiel a une superficie beaucoup plus petite que l’aléa, ainsi leur contraste de clarté devra être fort (4 à 5) avec un bâtiment résidentiel plus foncé que l’aléa. Suite à ces constats, ARiCo calcule des qualités de contraste en comparant les notes trouvées par le modèle et les notes «idéales». Entre le bâtiment résidentiel et l’aléa faible, la qualité du contraste de teinte est bonne (5) tandis que la qualité du contraste de clarté est mauvaise (1).

5. Le contraste entre le bâtiment et l’aléa faible représente-t-il correctement leur relation sémantique ?

À la fin de cette première étape, ARiCo généralise les qualités de contraste précédemment calculées à des niveaux supérieurs: tout d’abord, chaque objet cartographique avec l’ensemble de ses voisins sur la carte, ensuite chaque modalité («aléa torrentiel fort», «aléa torrentiel modéré», «bâtiment résidentiel», etc.) et enfin la carte. ARiCo calcule alors une satisfaction des contrastes dans l’ensemble de la carte et détermine quelles modalités sont mal contrastées sur la carte et dont il faut changer la couleur. Dans le scénario, les bâtiments résidentiels sont choisis pour le changement.

Étape 2: Comment améliorer leurs contrastes? La modalité la plus mal contrastée étant choisie, il s’agit maintenant d’améliorer son contraste sur la carte en fonction de son voisinage coloré. L’objectif est de créer de meilleurs contrastes qui représentent correctement les relations de différence, d’association ou d’ordre entre les objets de la carte. ARiCo utilise les objets cartographiques voisins de ceux appartenant à la modalité à modifier pour proposer des nouvelles couleurs.

Dans le scénario, les bâtiments résidentiels se superposent à un aléa torrentiel faible, à un aléa torrentiel modéré et au fond blanc: ARiCo se fonde sur ces trois modalités pour proposer des nouvelles couleurs pour les bâtiments résidentiels de telle sorte que leurs contrastes soient plus lisibles. Pour ce faire, ARiCo cherche des espaces de solutions possibles en fonction de l’organisation des couleurs de référence les unes par rapport aux autres. La figure 6 expose la façon de procéder: le petit cercle orange montre la couleur à changer (gris des bâtiments résidentiels) et les petits cercles blancs montrent les couleurs voisines sur la carte (bleu-violet des aléas faible, modéré, blanc du fond de carte).

Une fois qu’ARiCo a récupéré les couleurs de chaque objet voisin des bâtiments résidentiels, il propose un espace idéal de solutions pour les bâtiments résidentiels de telle sorte que leur relation sémantique soit bien représentée. Ici, la proposition est d’améliorer la clarté des bâtiments résidentiels en les assombrissant (étirer la clarté du gris des maisons vers le foncé). La solution choisie est alors appliquée sur la carte.

6. Comment améliorer le contraste des bâtiments ?

Étape 3: La perception visuelle de la carte est-elle améliorée? Une nouvelle analyse des contrastes permet de calculer une nouvelle satisfaction des contrastes sur la carte. Si elle est meilleure que la précédente, la carte est validée. Sinon, ARiCo revient à l’étape précédente et choisit une autre solution.

Dans notre scénario, la nouvelle satisfaction de la carte étant supérieure à la précédente (4 au lieu de 3 sur une échelle de 0 à 5), le cycle est validé (fig. 7).

7. A t-on une meilleure perception visuelle de la carte ?

Étape 4: Faut-il arrêter le processus d’amélioration? Reste la dernière étape du cycle: il s’agit de savoir si l’on arrête le processus ou si l’on recommence un nouveau cycle d’amélioration. On arrête le processus dans le cas où le résultat pour la carte traitée est satisfaisant, ou s’il a cessé de s’améliorer. Sinon, un nouveau cycle démarre. ARiCo ne permet pas encore de réaliser automa-tiquement cette étape. C’est l’utilisateur qui décide d’arrêter le processus ou de commencer un nouveau cycle.

Dans notre scénario, il faudrait réaliser un nouveau cycle car la carte (fig. 7) n’est pas encore assez lisible. L’aléa fort, notamment, ne se distingue pas assez de l’aléa modéré. Par ailleurs, la mairie et les centres de secours, parce qu’ils ont un rôle majeur en cas de gestion de crise, pourraient être plus foncés pour que le lecteur les perçoive aisément. La figure 8 est un exemple de rendu final de la carte.

Le scénario qui vient d’être présenté reste limité et demanderait à être enrichi. En effet, seules les améliorations des contrastes de teinte et de clarté ont été testées. De plus, les tests ont été faits sur des extraits de cartes de petites dimensions avec des superpositions de données relativement peu importantes. Enfin, la dernière étape du processus n’a pas pu être automatisée.

8. Carte finale

Conclusion

Les tests réalisés, même partiels, valident le modèle d’amélioration automatique des contrastes colorés qui a été conçu lors de cette recherche. Ils montrent que l’outil informatique peut permettre d’améliorer les cartes et ainsi aider des utilisateurs de logiciels SIG à concevoir des documents plus lisibles. Mais, ce n’est qu’un premier pas et cette recherche d’une meilleure lisibilité doit être complétée et continuée.

Un premier objectif d’amélioration est de rendre le prototype disponible pour un public plus large, en particulier pour des chercheurs qui ont contribué à la réalisation du prototype mais qui ne travaillent plus à l’IGN. En effet, le SIG Lamps2 étant peu diffusé hors de l’IGN, ARiCo serait alors très peu utilisé en dehors de cet organisme. Pour y remédier, le laboratoire COGIT a décidé de développer un nouveau prototype sur une plateforme plus interopérable, en OpenSource. Il s'agit de GéOxygène (http://oxygene-project.sourceforge.net/). Aujourd’hui, ce prototype est disponible. Il utilise les principes de base d’ARiCo mais avec des améliorations, par exemple la création de nouvelles matrices sur les contrastes de couleurs (Buard, Ruas, 2007).

Avec ce nouveau prototype, de nouvelles expérimentations peuvent être réalisées. En intégrant plus de superpositions de couleurs et en traitant des portions de territoires plus grandes, on aboutira à une validation plus convaincante. Des tests en ce sens sont en cours. Cependant, ces premières expérimentations montrent des difficultés de constitution d’une légende satisfaisante: les choix de nouvelles couleurs posent problème.

En parallèle, d’autres méthodes de résolution sont développées afin de comparer différentes méthodes et de repérer leurs éventuelles complémentarités.

  • Depuis 2007, une seconde méthode de résolution, utilisant le prototype qui vient d’être présenté, est testée au laboratoire COGIT de l’IGN. Il s’agit de la même approche que celle présentée dans cet article mais l’analyse et l’amélioration automatiques des contrastes de couleurs sont réalisées dans la légende de la carte (Ganem, 2007; Taibi, 2008).
  • Depuis le début de l’année 2009, une étude a débuté à l’université Jean Monnet de Saint-Étienne (Chesneau, Souvignet, 2009). Alors que dans les recherches précédentes, le modèle évalue automatiquement le contraste entre chaque couple de couleurs (sur la carte ou dans la légende), dans cette étude le modèle évalue automatiquement la relation sémantique (différence, association, ordre) traduite par chaque couple de couleurs dans la légende de la carte: l’approche est donc inversée. Ensuite, le modèle compare la relation perçue automatiquement avec la relation réelle entre les données et si des incohérences sont trouvées, des propositions d’amélioration sont faites.

Ces travaux doivent à l’évidence être poursuivis pour consolider les premiers résultats obtenus et pour permettre de confronter les approches. Une perspective à plus long terme est de prendre en compte les autres types de contraste (comme le contraste de saturation ou le contraste de quantité) dans le prototype. Pour le contraste de quantité par exemple, les proportions des couleurs et leur position sur la carte influent sur leur lisibilité. Ainsi, pour une même quantité de couleur, un signe coloré de grande taille et plusieurs petits signes colorés qui ont la même couleur seront perçus différemment et les choix colorés seront probablement différents.

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