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Les larmes de Rio

Changer la localisation d’une capitale, modifier les attributs d'un État, créer un État fédéré, mettre en scène dans la ville le pouvoir politique constituent autant de moments brefs dans le temps qui bousculent profondément la géographie d'un État. En se consacrant à un seul événement, celui du transfert des institutions politiques de Rio de Janeiro à Brasilia, Laurent Vidal propose, avec le style du conteur, un exercice de microstoria applicable à un événement spatial, une sorte de microgeografia, si on peut risquer l’expression. Un contre-pied à l’ouvrage qu’il avait publié en 2002, De Nova Lisboa à Brasilia: l'invention d'une capitale, qui retraçait l’histoire des planifications de la capitale brésilienne sur trois siècles.

La scène se déroule en 1960. Le président Juscelino Kubitschek, au pouvoir depuis 4 ans, a lancé le Brésil sur la voie d'un développement économique à marche forcée. La clé de voûte de celui-ci: la création d'une capitale nouvelle au centre du pays, à 1 000 km de Rio, sur le front pionnier amazonien. Le chef de l’État tente de faire de l'inauguration de Brasilia et du départ de Rio un moment politique clé, mis en scène avec minutie, presque dramatique dans le sens théâtral du terme. Symbole et vitrine du nouvel État, la date de l’inauguration de Brasilia est choisie très à l’avance, un 21 avril, jour anniversaire de la naissance de Rome et de la mort de Tiradentes, figure du combat pour l’indépendance.

Si les études sur les capitales planifiées, reconstruites, aménagées sont abondantes en histoire ou en architecture, peu nombreux sont les ouvrages qui prennent d'emblée le parti, comme ici, de considérer le point de vue de la capitale déchue, celle qui perd son statut et le prestige du pouvoir. Le livre s’intéresse moins aux contingences matérielles ou aux réalités géopolitiques, pour se concentrer sur les représentations, les mentalités, le ressenti de l’événement dans la ville de Rio de Janeiro. Le parti pris est aussi rendu par un style plus littéraire et plus agréable que beaucoup d’ouvrages plus classiques dans la littérature scientifique. Laurent Vidal a épluché pour son étude la presse de l’époque et interrogé les personnes (témoins peut-être plus qu’acteurs) qui ont vécu cette période.

Le livre est découpé en deux parties. Dans la première, l’événement est décortiqué heure par heure avec une écriture qui fait du lecteur un promeneur dans les rues de Rio, suivant les dernières visites du président Kubitschek (dont on devient tellement proche que l’on se surprend à l’appeler Juscelino) aux édiles cariocas. Le pouvoir s’improvise metteur en scène. Laurent Vidal découpe donc ces chapitres comme les actes d'une pièce de théâtre qui nous conduisent dans les palais, avec les députés dans la dernière session parlementaire, avec la foule dans un carnaval (presque) improvisé et enfin vers l’instant le plus symbolique, celui où Kubitschek referme lui-même la porte de sa résidence présidentielle.

La deuxième partie se place du côté des habitants de Rio. La ville n'est désormais plus capitale du Brésil mais devient capitale d'un nouvel État fédéré, le Guanabara. Cette partie s'attarde, sans doute trop, sur la débauche de pathos lié au départ de la fonction de capitale. La population hésite entre la tristesse et l’opportunité de se réapproprier la ville et la manifestation de son émotion constitue ce que Laurent Vidal appelle «la poétique de l’événement».

L’ouvrage apporte enfin une réflexion sur la notion d’événement, sur son épaisseur et sur sa dimension spatiale même si la réflexion n’est pas d’ordre géographique à proprement parlé. Il s’arrête également un peu vite car il manque au non-spécialiste du Brésil un épilogue original sur les conséquences du transfert des institutions sur le moyen terme pour une capitale déchue.

Antoine Laporte

VIDAL L. (2009). Les Larmes de Rio. Paris :Aubier, coll. «Historique», 254 p. ISBN: 978-2-7007-0399-3

VIDAL L. (2002). De Nova Lisboa à Brasilia: l'invention d'une capitale (XIXe-XXe siècles). Paris: IHEAL, coll. «Travaux et mémoire de l’Institut des hautes études de l’Amérique latine», n° 72, 344 p. ISBN: 2-907163-88-4