N°76 (4-2004)
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Pour une approche spatialisée de la pratique sportive:
l’exemple du football en milieu urbain
Université de Franche-Comté, Laboratoire Théma, UMR 6049 |
Introduction
Le football représente une activité non négligeable dans la vie quotidienne des Français. Sa large expression (deux millions de licenciés) lui confère un rôle de service public (1). Ainsi, en campagne, le club de football fait office de service de base, au même titre que le bureau de poste ou le café: lieu de convivialité, maintien du lien social. En milieu urbain, la multiplication des équipes répond à des demandes multiples: football spectacle (recherche d’une élite), football loisir (pratique d’une activité de temps libre), football de quartier (encadrement des jeunes), etc. Certaines associations urbaines se caractérisent par des portées spatiales réduites, d’autres par des zones de chalandise étendues. L’examen de leur aire de recrutement se révèle alors intéressant pour l’élaboration d’une politique sportive locale cohérente. La ville de Besançon (120 000 habitants, région Franche-Comté) sert de support à cette analyse (fig. 1). |
Les bases pour une typologie des associations urbaines
La figure 2 illustre la diversité des profils des équipes urbaines. Quatre types de clubs se dessinent: les clubs de quartier, les clubs de convivialité d’adultes, les clubs que l’on qualifiera d’encadrement au quotidien et ouverts à tous, les clubs à la recherche d’une élite sportive. Certains clubs recrutent dans tout l’espace urbain et au-delà, alors que d’autres puisent leurs adhérents dans leur environnement immédiat. Ici, les portées spatiales des équipes traduisent moins leur enracinement que leur finalité de pratique. Il n’est donc pas illégitime de fonder une typologie des clubs sur leur rayonnement spatial, même si d’autres typologies sont possibles, selon la composition sociale des adhérents du club par exemple. Les clubs de quartier: un football de proximité géographique
La cartographie des aires de recrutement des équipes bisontines met ainsi en évidence des formes fort différentes. Ici, le football n’est qu’un élément supplémentaire d’identification de la population, comme le montrent les équipes qui portent le nom du quartier. Cette situation joue un rôle incontestable dans l’origine géographique de leurs adhérents: les deux associations recrutent en priorité dans leur quartier. La majeure partie des pratiquants est issue des classes populaires et le football s’assimile à un service de proximité. Les associations ne proposent aucune mixité sociale, traduisant la composition sociale homogène de leur lieu d’implantation. Économiquement et socialement, les quartiers de Montrapon et des Orchamps souffrent de leur enclavement. «On constate [dans le quartier de Montrapon] une mobilité résidentielle inférieure à la moyenne bisontine dans les HLM du quartier. De plus, la vacance a disparu» (3). Les pratiquants jouent au football en priorité dans leur quartier d’habitation: «le football joue un rôle dans l’identité d’un groupe dont elle est devenue partie intégrante» (Mignon, 1998). Les jeunes choisissent d’abord leur quartier comme lieu de consommation et d’activité. Ils se rendent dans son café ou son bureau de tabac, et tout naturellement dans le club qui porte son nom (fig. 3). Mais le club représente en plus un vecteur d’affirmation, de reconnaissance vers l’extérieur. La convivialité d’adultes: un recrutement diffus dans la ville
Les associations sportives de La Bousbotte, de l’AS Portugais et du Don Quichotte comptent chacune moins de 40 adhérents. Ces petits clubs attirent, presque exclusivement, des joueurs adultes. L’AS Portugais et le Don Quichotte sont deux structures constituées autour d’une identité ethnique. Leur aire de recrutement est donc très éclatée dans la ville. Le rôle de la distance sociale est évident (fig. 4). De ce fait, la distance physique (éloignement au lieu de pratique) n’apparaît pas comme un facteur déterminant dans le choix de la structure sportive. À l’opposé des clubs de quartier, l’environnement immédiat n’est pas une priorité de recrutement. Ce dernier est fondé sur l’appartenance à une communauté étrangère. Le football est pratiqué dans ce type de club dans un esprit plus ludique que de compétition. La pluralité des activités proposées (sportives ou culturelles) dans le club de La Bousbotte atteste la primauté accordée aux relations sociales, et la moindre importance allouée aux résultats sportifs. La pratique exprimée ici connaît en outre un développement réel en dehors des structures officielles du football (pratique de loisir sans contrôle institutionnel). Les clubs d’encadrement au quotidien: des structures ouvertes à tous
Regroupant chacun environ 150 pratiquants, l’ASC Velotte, l’ASPTT, le SP Clemenceau et l’US Prés de Vaux se caractérisent par un recrutement étendu dans la ville (fig. 5). En moyenne, ces structures sportives recrutent la moitié de leurs adhérents à plus de 2,5 km de leur lieu de pratique. Ces clubs se distinguent donc des clubs de quartier, au recrutement plus localisé dans l’espace, et des clubs de convivialité d’adultes, au recrutement plus diffus, puisqu’ils recrutent dans des secteurs très divers. Ils sont ouverts à tous les âges et à tous les milieux sociaux. Sans rechercher l’excellence sportive, l’ASPTT ou l’US Prés de Vaux offrent aux adhérents la possibilité de pratiquer le football dans des structures où chacun a sa place, quels que soient ses aptitudes physiques, son appartenance sociale ou son âge. Les différentes finalités possibles de la discipline cohabitent davantage que dans les autres types de structures, où un objectif tend à exclure les autres. Ces clubs répondent à des fonctions multiples et partagées: la convivialité, l’encadrement des jeunes, la recherche d’une élite (jeune et locale). Le football d’excellence: un recrutement élitiste (4)
Par les effectifs (plus de 300 pratiquants chacun), le Promo Sport Bisontin (PSB) et le Besançon Racing Club (BRC) sont de loin les premières structures d’accueil de la ville. Cette large audience résulte non seulement d’une assise forte à proximité de leur lieu d’implantation mais également d’une présence sur l’ensemble de l’espace urbain et au-delà. L’équipe fanion du BRC évolue en Ligue 2 (deuxième division nationale) et ses équipes de jeunes pratiquent le football au niveau national. Le PSB est compétitif surtout grâce à ses équipes de jeunes mais moins par ses équipes seniors, dont la mieux placée opère au niveau régional. La mesure de la distance médiane des résidences des joueurs illustre l’attraction des deux clubs: le BRC engage plus de la moitié de ses adhérents au-delà de 4 km, le PSB au-delà de 3 km. Malgré le poids de la villecentre, l’attraction et le désir d’excellence se manifestent bien au-delà. Un tiers des adhérents du BRC n’habitent pas à Besançon. Plus que de simples clubs de ville, le PSB et le BRC s’affirment donc comme de véritables clubs d’agglomération (fig. 6). Des clubs de quartier aux clubs élitistes:
L’analyse des aires de recrutement (fig. 7) peut être menée de trois manières:
Le football s’adapte aux territoires Le marché du football en ville répond à des demandes diverses de la part des pratiquants: entretien physique, pratique d’une activité de loisir, insertion dans un tissu social, etc.: les structures sportives se positionnent donc sur un marché segmenté du football urbain. Il en va tout autrement à la campagne: on peut parler d’un football des champs et d’un football des villes, le football en campagne faisant office de service de base, le football urbain pouvant véhiculer une image plus différenciée (football d’élite assimilé à un service rare) mais également représenter une source de vitalité dans les quartiers. En milieu urbain, la nature des équipes participe à une stratification de l’espace (fig. 8).
La couverture spatiale des différentes expressions du football ne semble pas optimale toutefois, puisque plusieurs zones d’ombre apparaissent. L’Ouest de la ville est éloigné des clubs généralistes: les potentiels de développement de la pratique semblent ici élevés; le centre-ville est trop loin des infrastructures sportives pour faire émerger une pratique. Le Sud- Est est au contraire bien encadré. Une différenciation comparable se retrouve à maintes reprises dans l’accessibilité d’autres activités de services: culturels (théâtre, bibliothèque), financiers, éducation (lycée, université), santé, etc.
Références bibliographiques AUGUSTIN J.-P. (1995). Sport, géographie et aménagement. Paris: Nathan. BRUNET R., FERRAS R., THÉRY H. (1992). Les Mots de la géographie: dictionnaire critique, Montpellier/Paris: Reclus/La Documentation française. GROSJEAN F. (2003). Le Football, un élément de structuration de l’espace franc-comtois. Besançon: Université de Franche-Comté, thèse pour le doctorat de géographie. MIGNON P. (1998). La Passion du football. Paris: Odile Jacob. PRAICHEUX J. (1993). Contribution à l’analyse des espaces du sport, Document de synthèse pour le Diplôme d’habilitation à diriger les recherches. Besançon: Université de Franche-Comté. RAVENEL L. (1998). La Géographie du football en France. Paris: Presses Universitaires de France, coll. «Pratiques corporelles». SAINT-JULIEN T. (dir.) (1993). Atlas de France. Vol. 10. Services et commerces. Paris: La Documentation française, coll. Reclus. |