Sommaire du numéro
N°76 (4-2004)

Une méthode de cartographie du risque érosif:
application aux collines du Terrefort lauragais

Jean Morschel, Dennis Fox 

UMR 6012 ESPACE, Équipe Gestion et valorisation
de l’environnement.
98, boulevard E. Herriot, B.P. 3209, 06204 Nice Cedex 3.

Résumés  
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L'érosion des sols en France touche de nombreuses régions et plus particulièrement les parcelles agricoles de grandes cultures et de vignes (Auzet et al., 1987). Sur site, la perte de la couche superficielle du sol par l’érosion réduit sa fertilité et les baisses de rendements dans les secteurs touchés témoignent de cet effet. Hors site, l’érosion engendre de lourdes dépenses pour le dragage des ports et le traitement des eaux. En France du Sud-Ouest, dans les collines aux environs de Toulouse, l’érosion hydrique provoque des dépôts de sédiments sur la voirie lors de violents orages de printemps. Les coûts associés au curage des fossés et déblayage des routes se chiffrent aux environs de 100 000 € par an (Lebrun, 2000).

S’il est possible de réduire considérablement l’érosion hydrique par le biais de techniques adaptées, comme l’implantation d’une bande enherbée, il est d’abord nécessaire de cibler les secteurs de forte érosion nécessitant une intervention prioritaire. La cartographie de l’érosion à l’échelle d’un petit bassin-versant peut se faire à l’aide d’observations directes sur le terrain; mais, à l’échelle d’une région naturelle, la cartographie relève de la modélisation. L’étude qui suit vise à créer, par la spatialisation de l’équation empirique Revised Universal Soil Loss Equation (RUSLE), établie par Renard et al. (1997), une carte du risque érosif pour les collines du Terrefort lauragais. Cette technique offre la possibilité de connaître, malgré les problèmes inhérents à ce type d’exercice (Bonn, 1998), les quantités de sols (en t/ha) pouvant être détachées annuellement pour chaque pixel d’un secteur donné. De ce fait, il est possible de localiser les secteurs de forte érosion nécessitant une intervention prioritaire.

Cet article montre les différentes étapes nécessaires à la réalisation de la carte du risque érosif. Il se déroule en 4 étapes: présentation des caractéristiques du Lauragais, description de la méthode de cartographie, présentation de la carte du risque érosif obtenue et discussion sur la validation des résultats, les apports de cette méthode et sur les améliorations envisageables.

Présentation et description du Lauragais et définition du secteur d’étude

1. Le Lauragais (limites, localisation et nature géologique des terrains)
Source : Couleur Lauragais (N° 30), 2001.

Le Lauragais est à cheval sur les collines de molasse des Terreforts à l’est de Toulouse, et la plaine de Castelnaudary au pied de la Montagne Noire, entre la vallée de l’Agout au nord et la vallée de l’Ariège au sud (fig. 1). Cette contrée historique n’est pas une région naturelle homogène, mais nous en considèrerons principalement les collines modelées dans les dépôts marneux et molassiques stampiens issus de l’érosion des Pyrénées, qui forment un ensemble naturel original. Le relief a été sculpté par le creusement différentiel des cours d’eau au cours des différentes morphogénèses du quaternaire (Brunet, 1957; Revel et Rouaud, 1985). Les collines, organisées en longues échines par un réseau hydrographique principalement orienté SE-NO, sont entaillées par un réseau dense de cours d’eau temporaires en arêtes, donnant aux paysages un aspect vallonné. Les altitudes sont généralement comprises entre 120 et 350 m. Les collines du Lauragais sont marquées par des pentes pouvant dépasser localement 30% et par la dissymétrie de leurs versants (Brunet, 1957; Revel et Rouaud, 1985; Bruno et Fox, 2004). Dans ces reliefs vallonnés, des sols bruns calciques se sont formés durant les interglaciations du quaternaire, sur le substrat stampien ainsi que sur les formations solifluées des versants (Cavaille, 1965). Ils ont été remaniés récemment par la pratique des labours, conduisant à une inversion des profils pédologiques par abrasion des sommets et comblement progressif des ravines (Barlier, 1977). De ce fait, Revel (1982) parle d’une «mosaïque de sols». Il est aussi utile de noter que, dans certains secteurs, le substrat molassique affleure du fait du décapage des sols dans ces lieux. Ces «taches blanches» apparaissent surtout sur les convexités en partie amont des versants et y entraînent une nette baisse des rendements.

La part élevée des argiles, qui donne son nom aux terreforts et finalement à l’ensemble des collines, fait que la structure de ces sols est stable (Cavaillé, 1965; Bruno et Fox, 2004). Leur implication dans les problèmes d’érosion hydrique semble donc liée à leurs localisations sur des versants en forte pente et à l’organisation spatiale du parcellaire. À l’inverse, dans les vallées alluviales et dans les secteurs de faible pente, se trouvent des sols limoneux localement appelés boulbènes, plus acides et battants. Leurs caractéristiques les rendent théoriquement très sensibles au ruissellement, mais leur localisation en zones planes les exclut des problèmes d’érosion.

La région a été mise en valeur pour l’agriculture très tôt dans l’histoire. Les premiers défrichements datent de l’époque romaine (Revel et al., 1989). Au cours du temps, les structures agraires n’ont pas beaucoup évolué et, jusque dans les années 1960, le pays était occupé par une forme de bocage. Actuellement, cette structure n’existe plus, le bocage a laissé place à de grands champs ouverts et l’agriculture céréalière intensive a remplacé la polyculture. Les parcelles occupent désormais la totalité des versants et seuls quelques bosquets subsistent. La production agricole se divise en deux composantes: les cultures d’hiver (principalement de blé dur) semées en octobre et récoltées en septembre de l’année suivante et les cultures d’été (principalement de tournesol) semées en mars et récoltées en octobre de la même année. Les observations montrent que les parcelles agricoles sont occupées, en moyenne, une année sur deux par des cultures d’été.

Tab. 1: Intensités de pluie (mm h-1) sur des périodes de retour allant de 2 à 25 ans (valeurs calculées pour la période de 1966 à 1998)

Les problèmes d’érosion hydrique sont anciens mais se sont surtout manifestés depuis une cinquantaine d’années avec les modifications des structures agraires et paysagères décrites cidessus. En effet, au cours de la période printanière, alors que les cultures d’été ne sont pas encore suffisamment développées, le Lauragais subit des précipitations orageuses souvent violentes capables de décaper localement de 20 à 300 tonnes de terre (Sicoval, 2000). Le rôle des fortes pluies dans l’érosion hydrique du Terrefort a été soulignée par les travaux de Brunet dès les années 1950 (Brunet, 1957): l’auteur a observé l’apparition de ravinements sur sol nu à partir de chutes d’environ 20 à 30 mm en 24 heures Ces phénomènes sont fortement aggravés lors de pluies de 50 mm en 24 à 72 heures et ils sont accompagnés de glissements de terrain à partir de 70 à 80 mm. Environ 10% des pluies journalières sont supérieures à 30 mm, et ce chiffre atteint 20% pour le mois de juin, période à laquelle les parcelles de cultures d’été sont encore nues (Brunet, 1957). L’impact des pluies ne dépend pas exclusivement de la hauteur d’eau journalière, mais aussi de leur intensité (Bruno et Fox, 2004) et de l’état préalable du sol: il n’y a ruissellement que lorsque l’intensité de la pluie est supérieure à la vitesse d’infiltration de l’eau dans le sol. Les intensités de pluie rencontrées dans la région sur 6, 15, et 30 minutes sont indiquées dans le tableau 1, pour différentes durées de retour allant de 2 à 25 ans. Malgré la bonne stabilité structurale de ces sols, les fortes intensités notées suggèrent un ruissellement accentué au moins une fois tous les 2 ans. La situation apparaît particulièrement grave pour des durées de retour de 10 ans ou plus.

Toutes les formes d’érosion sont présentes: détachement et transport par le splash, ruissellement diffus, rigoles, et ravines. Cependant, nous estimons que les quantités de terre transportées par le splash et le ruissellement diffus sont négligeables comparées aux quantités exportées par les rigoles, et ceci pour deux raisons: la première est que la stabilité structurale de ces sols les rendent moins sensibles au splash et à l’érosion diffuse que des sols plus «battants» comme les loess du nord de la France (Fox et LeBissonnais, 1998); la deuxième est que les rigoles sont omniprésentes suite aux orages et atteignent facilement des dimensions décimétriques. Les ravines de dimensions métriques sont relativement rares et, malgré leur volume, nous considérons qu’elles n’affectent que quelques parcelles atypiques lors d’événements pluvieux rares, et qu’elles ne représentent donc pas la forme d’érosion dominante pour l’ensemble des collines du Terrefort lauragais. L’érosion par les glissements de terrain observée par Brunet (1957) est concentrée sur les prairies enherbées, qui ne représentent aujourd’hui qu’une superficie négligeable face aux grandes cultures. Le modèle RUSLE, élaboré sur des placettes situées dans des parcelles agricoles, est parfaitement adapté au contexte érosif des collines du Terrefort lauragais.

2. Topographie du secteur d’étude

En résumé, la conjonction entre système agraire et caractéristiques pluviales est la principale cause d’érosion hydrique des versants. La forme d’érosion dominante dans ce contexte est l’érosion concentrée, où l’exportation de la terre se fait par des rigoles de tailles centimétriques à décimétriques. Les phénomènes d’érosion sont aggravées par les fortes inclinaisons de pente.

Compte tenu de la superficie de la région d’intérêt, un secteur plus restreint (486 km2) a été défini pour l’étude. Il correspond au canton de Villefranche-de-Lauragais et aux cantons qui lui sont limitrophes. Les caractéristiques physiques et humaines de ce secteur sont typiques du reste du Terrefort. La figure 2 en montre la topographie. Cet espace se compose de deux groupes de collines légèrement différents l’un de l’autre, répartis de part et d’autre de la vallée alluviale de l’Hers orientée SE-NO. Les coteaux du sud sont plus élevés en altitude et sont aussi marqués par des pentes plus fortes (les pentes supérieures à 7% occupent 37% de cet ensemble contre 16% au nord de la vallée de l’Hers). Les vallons de ce secteur sont aussi plus encaissés et plus étroits.

Méthode de cartographie du risque érosif

L’équation RUSLE a été établie d’après les travaux de Wischmeier et Smith (1965). Il s’agit d’un modèle empirique dans lequel l’érosion (A), exprimée en t ha-1 an-1, est le produit de 6 facteurs: érosivité de la pluie (R), inclinaison de pente (S), longueur de pente (L), érodibilité du sol (K), couverture végétale (C), et mesures de prévention (P). Ce modèle s’applique normalement à des profils topographiques et permet de connaître l’érosion à l’échelle de la parcelle agricole. Il est cependant possible de l’extrapoler pour cartographier l’érosion sur des espaces plus vastes tels que des régions agricoles entières (Bonn, 1998 cite Spanner et al., 1982). La méthode consiste à appliquer chaque facteur de RUSLE à des données spatiales géoréférencées. La multiplication de toutes les couches d’information obtenues donne une carte du risque érosif renseignée pour chaque cellule d’une valeur d’érosion exprimée en t ha-1 an-1.

Bonn (1998) a comparé, pour le bassin versant du Tleta (182 km2) au Maroc, les résultats de la spatialisation de l’équation de Wischmeier et Smith (1965) avec trois autres méthodes de quantification de l’érosion. Les résultats obtenus par ces quatre techniques diffèrent de moins de 20%.

L’érosivité des pluies (R)

En premier lieu RUSLE s’appuie sur les conditions climatiques responsables de l’érosion. Ce premier facteur (R) intègre dans son calcul l’intensité de la pluie, l’énergie délivrée durant l’épisode pluvieux et le volume d’eau mobilisable pour le ruissellement. Pour tenir compte de ces éléments, il est nécessaire de connaître la pluie totale ainsi que les intensités maximales sur 30 minutes des épisodes pluvieux sur une période de 30 ans. Ce second paramètre étant rarement disponible, il est souvent impossible de calculer R selon la méthode décrite dans RUSLE. Renard et Freimund (1994) proposent une méthode de substitution établie sur une relation entre R et la hauteur de pluie annuelle moyenne (P), exprimée en mm:

R = 0,04830 P 1,610

Cette relation est calculée à partir des données de 132 stations réparties sur l’ensemble des États-Unis. Elle offre, malgré les importantes variations climatiques inhérentes à la superficie couverte, un coefficient de détermination de 0,81.

Spatialiser le facteur R nécessite de connaître la répartition spatiale des précipitations moyennes annuelles. Sa réalisation implique de disposer de données pluviométriques sur plusieurs stations à un pas de temps de l’ordre de la minute sur une période d’au moins 30 ans. Faute d’informations nécessaires, R est calculé pour une seule valeur de P puis est appliqué de façon indifférenciée à l’ensemble de la zone. Cette manière d’intégrer R ne permet pas de réaliser les distinctions inhérentes aux variations spatiales des pluies mais est nécessaire pour estimer l’érosion en t ha-1 an-1. Revel (1982) donne P = 664,3 mm (moyenne de 30 années d’observations pour la station de Toulouse-Blagnac), dans ce cas, R = 1690,3.

La topographie (S et L)

3a. Inclinaison des pentes
3b. Longueur des pentes

Le facteur topographique comporte deux éléments: inclinaison (S) et longueur (L) de pente. Dans le cas de pentes faiblement inclinées, l’érosion sous forme de «splash» et l’érosion diffuse est due surtout à l’énergie cinétique délivrée par la pluie (Roose, 1994). Au-delà d’une pente supérieure à environ 2%, l’érosion connaît une croissance exponentielle (McCool et al., 1987; McIsaac et al., 1987; Fox et Bryan, 1999) due à la formation de rigoles et à l’augmentation, avec la vitesse de ruissellement, des taux d’érosion diffuse. La forte augmentation des taux d’érosion avec la pente résulte donc principalement de l’effet de l’inclinaison sur la vitesse de ruissellement qui peut devenir suffisante pour arracher les sédiments et former des rigoles. L’action de l’inclinaison de la pente sur le ruissellement est amplifiée par la longueur de la pente, même si l’impact de ce dernier demeure limité.

Le facteur S est traité à partir du MNT (pas de 50 m) converti en carte des pentes. Il est estimé grâce à deux régressions simples appliquées en fonction de l’angle d’inclinaison de la pente (θ).

  • S = 10.8 sin θ + 0.03 si la pente est inférieure à 9%.
  • S = 16.8 sin θ − 0.50 si la pente est supérieure ou égale à 9%.

L’emploi d’un seul paramètre (sin θ) pour calculer S rend sa répartition spatiale très proche de celle des pentes. Les secteurs les plus pentus présentent donc des valeurs de S élevées (fig. 3a). Alors que 58,5% de l’espace est occupé par la première classe de valeur de S (correspondant aux pentes ≤ 4%), les cinq dernières classes cumulées (représentant les pentes supérieures à 15%) n’occupent que 0,6% de la superficie totale.

Théoriquement, les longueurs d’écoulement sont intégrées dans le modèle en rapportant la longueur λ (m), calculée entre le sommet du versant et le début de la zone concave (Renard et al., 1997), à la longueur de la parcelle expérimentale de RUSLE (22,1 m). L’ensemble est élevé à l’exposant m, sans dimension, intégrant l’inclinaison de la pente (θ) et la rugosité du sol (0,5 < ξ < 2) aux calculs du facteur:

Dans la spatialisation du modèle par l’application à des cellules de 50 m, seulement deux possibilités de longueur existent: 50 m pour les axes horizontaux et verticaux (nord, sud, est et ouest) et 70,7 m pour les diagonales des pixels (4 directions intermédiaires). Le facteur L évolue entre 1 et 2,1 (fig. 3b).

L’érodibilité des sols (K)

Le facteur K est fonction de la texture des sols (M), de la teneur en matières organiques (MO), de la structure du profil (1 < b < 4) et de la capacité d’infiltration (1 < c < 6):

Avec : M = (% limons + % sables) (100 - % argiles)

Tab. 2 : texture des sols du secteur d’étude et facteur K associé

La spatialisation du facteur K nécessite une carte des sols renseignée par les informations citées précédemment. Aucune carte n’est cependant disponible pour cette région. Les informations nécessaires (tableau 2) sont extraites d’études réalisées précédemment par Charruyer (1996) et Klein (1997). La représentation cartographique des sols correspond donc au découpage du MNT suivant les quatre ensembles qui ressortent de ces études. Compte tenu des paramètres disponibles, les valeurs de K obtenues sont comprises entre 0,043 et 0,076. Les valeurs les plus fortes correspondant aux sols les moins résistants à l’érosion. Ainsi, les sols limoneux battants des vallées alluviales ont un indice K plus élevé. En revanche, les collines, composées de sols à fortes teneurs argileuses ont un indice plus faible.

Le couvert végétal (C)

Pour faire figurer ce facteur dans l’étude, une carte du couvert végétal est créée à partir de photographies aériennes (IGN, 1998) et cartes topographiques (1/50 000). Cette couche d’information ne comporte que deux éléments: les espaces boisés (4,2% du secteur d’étude) et les zones agricoles (95,8% du secteur d’étude). En ce qui concerne les zones agricoles, elles sont considérées dans le modèle comme protégées si elles sont occupées par des cultures d’hiver et nues lorsque l’espace est occupé par des cultures d’été. Les observations des itinéraires techniques des cultures montrent que, pour une parcelle donnée, l’alternance des cultures se fait en moyenne une année sur deux. Roose (1973 in Roose 1977) estime que C = 1 pour les sols nus. Afin de prendre en compte la rotation inter-annuelle des cultures, la valeur attribuée au facteur C pour les espaces agricoles est donc de 0,5. Roose considère les espaces boisés comme des freins à l’érosion. Il estime qu’en présence de ce type de couverture végétale, C = 0,001. Cette valeur est donc attribuée aux espaces boisés du secteur d’étude.

La carte du risque érosif

4. Le risque érosif

La carte du risque érosif (figure 4) a été élaborée à partir d’une classification des taux d’érosion (tableau 3). L’érosion, pour ce secteur, varie entre 0 et 260 t ha-1 an-1. Les valeurs obtenues, malgré leur apparente hétérogénéité, présentent une structure spatiale définie par la localisation topo-paysagère dans laquelle elles s’inscrivent. Les versants subissent toujours une érosion plus forte: des valeurs moyennes s’observent pour les parties amont des versants; les valeurs les moins élevées se trouvent sur les replats sommitaux, dans les concavités aval et dans les vallées alluviales. Ce dernier élément doit être nuancé: la concavité aval est, contrairement aux sommets, une zone de dépôts de sédiments et non une zone d’érosion (Renard et al., 1997) comme en témoigne le comblement des ravines de versants (Revel et al., 1990) et la plus forte épaisseur des sols dans ces secteurs (Brunet, 1957). La carte du risque érosif devrait donc fournir en ces lieux des «valeurs négatives d’érosion» pour figurer le fait que les sédiments s’y déposent. La méthode employée ne permet pas de réaliser ce type de distinctions ni de quantifier la proportion de sol susceptible de se déposer dans ces secteurs. Cependant, puisqu’ils apparaissent sur la carte comme présentant de faibles risques de détachement des sédiments, l’erreur introduite n’affecte pas l’identification des zones à fort risque.


Tab. 3: classes d’érosion et superficies représentées

D’une manière générale, il est possible de constater que l’érosion est omniprésente dans les Terreforts du Lauragais: même si 51% de la superficie sont occupés par des valeurs d’érosion faibles, près de 37% de l’espace est soumis à une forte érosion. Cette description générale doit être nuancée. En effet, la vallée de l’Hers présente des valeurs toujours inférieures à 23 t ha-1 an-1. Les classes «< 1 t ha-1 an-1» et «de 1 à 10 t ha-1 an-1» occupent respectivement 60% et 33% de cette entité. Les problèmes d’érosion sont donc marginaux dans ce secteur et essentiellement liés à la présence de microcollines très localisées spatialement. Les coteaux du sud de la vallée, en revanche, sont très fortement soumis à l’érosion. En effet, 81% des valeurs supérieures à 60t ha-1 an-1 et 70% des valeurs comprises entre 31 t t ha-1 an-1 et 60 t t ha-1 an-1 se localisent dans ce sous-ensemble. Ceci représente environ 51% de sa superficie. Hormis les valeurs «< 1 t ha-1 an-1» (11%), induites par la présence de forêts, les classes «de 1 à 10 t ha-1 an-1» et «de 11 à 20 t ha-1 an-1» ne couvrent que 25% de l’espace. Dans ce secteur, les sommets et les parties aval sont en effet très restreints et les versants sont abrupts. Le nord de la vallée de l’Hers est lui aussi soumis à l’érosion mais de manière atténuée. Les pentes sont moins fortes, les vallons et les parties sommitales sont plus larges qu’au sud de l’Hers. Ainsi, les classes «de 31 à 60 t ha-1 an-1» et «> 60 t ha-1 an-1» représentent 27% de l’espace (respectivement 21% et 6%), les classes «de 11 à 20 t ha-1 an-1» et «de 1 à 10 t ha-1 an-1» occupent 49% (16% et 33%, respectivement). Dans ces deux sousensembles, la classe d’érosion «de 21 à 30 t ha-1 an-1» correspond aux parties concaves amont des versants. Ces valeurs occupent 13% de l’espace. Cette répartition est assez homogène puisque 52% des valeurs de cette classe se situent au sud de la vallée de l’Hers et 48% sont au nord.

La carte du risque érosif fournit donc de nombreuses informations concernant le risque de départ de sédiment. Ces informations sont à la fois quantitatives puisque les résultats donnent des mesures d’érosion, exprimées en t ha-1 an-1 pour chacune des cellules de la carte, qualitatives du fait de l’attribution d’une classe de sévérité de risque et spatiales du fait de la connaissance de la répartition du risque de détachement des sédiments sur le secteur étudié.

Validation

Une validation rigoureuse nécessite la mise en correspondance de mesures d’érosion obtenues sur le terrain avec les estimations du modèle sur quelques pixels représentatifs et sur une durée d’au moins quelques années. Cependant, peu de mesures d’érosion ont été effectuées en Lauragais. Charruyer (1996) et Klein (1997) ont estimé l’érosion, à partir du volume évidé dans les rigoles, pour huit parcelles. Parmi ces parcelles, six se situent aux environs du village de Montesquieu (fig. 2), dans le secteur d’étude; mais, sans la localisation précise des parcelles de mesure, il est impossible de faire une comparaison directe entre valeurs mesurées et prédites. Cependant, les valeurs citées de 3, 7,5, 24, et 112,5 t ha-1 pour 1996 et de 39 t ha-1 et 282 t ha-1 pour 1997 sont du même ordre de grandeur que les valeurs estimées par la carte du risque érosif dans le même secteur, comprises entre 6 t ha-1 an-1 et 124 t ha-1 an-1. Bien entendu, ces valeurs sont calculées à partir de précipitations moyennes pour une période de 30 ans contrairement aux deux études où l’érosion est mesurée à la suite d’évènements pluvieux ponctuels. Malgré tout, les résultats fournis par ces méthodes différentes sont cohérents. Même les valeurs les plus fortes de 260 t ha-1 se rapprochent du taux de 300 t ha-1 an-1 observé par Couffin en 1954 pour un seul orage (cité par Brunet, 1957).

En l’absence d’un programme de suivi intensif, il est impossible de quantifier la précision des estimations, au-delà de dire qu’elles paraissent «raisonnables». Cette situation regrettable est relativement typique de travaux similaires dans le domaine de l’érosion des sols où les mesures de terrain sont longues et difficiles à obtenir et où la variabilité climatique font que plusieurs années de suivie sont nécessaires pour obtenir une valeur représentative. La seule exception à cette règle connue par les auteurs est la publication de Jetten et al. (1999) qui résume trois années de comparaisons rigoureuses de plus d’une douzaine de modèles d’érosion: la conclusion générale est qu’aucun des modèles ne prédit l’érosion absolue d’une manière satisfaisante, mais que la plupart donnent des estimations relatives acceptables. Dans notre cas, nous pensons que, si les valeurs absolues fournies par le modèle ne sont pas exactes, elle sont toutefois acceptables et que la répartition spatiale proposée est probablement juste.

Au-delà des difficultés de validation, la méthode présente des limites et gagnerait à être améliorée. La première est liée à la méthode de calcul de l’érosivité des pluies. Elle se fonde sur des valeurs mensuelles: un long travail de calcul de l’énergie cinétique de chaque événement pluvieux sur une moyenne de 30 ans serait évidemment plus précis. Une deuxième limite est que la carte du risque érosif présente uniquement les secteurs à risque de détachement des sédiments, les zones de dépôt n’apparaissant pas. Ce problème est lié à l’absence de connaissance sur les écoulements (en terme de quantité et de direction) à l’échelle du versant. Une partie des sédiments détachés reste à l’intérieur de la parcelle et n’atteint pas les cours d’eau (Brunet, 1957; Bruno et Fox, 2004). L’intégration, à la méthode de cartographie, d’un modèle d’écoulement remplaçant (ou complétant) le facteur L semble être une piste à suivre pour affiner ces résultats.

Conclusion

L’étude décrite ci-dessus présente la première carte des risques d’érosion des collines du Terrefort lauragais, où les enjeux agricoles et environnementaux sont élevés. L’adaptation du modèle d’érosion RUSLE a permis d’identifier les secteurs les plus affectés et la méthode peut facilement être adaptée à l’ensemble des coteaux du Sud-Ouest. Malgré ses limites, la méthode de cartographie du risque érosif est donc un nouvel outil de gestion permettant aux décideurs de mieux cibler leurs stratégies d’interventions préventives.

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