Des images, de la carte aux chorèmes: comprendre notre environnement
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On le sait, les blancs d’une carte attirent l’attention et les questions, ou, au contraire, renvoient l’observateur vers les secteurs bien remplis, connus. En dehors des espaces vides d’hommes, ils ont été comblés au cours du temps, et ceci pour de nombreuses raisons qui n’ont parfois rien à voir avec le désir de connaissance. C’est sur l’évolution de ces blancs, sur le pourquoi et le comment de leur comblement et sa signification, qu’est construit un intéressant apport à l’histoire de la cartographie(1). La carte montre évidemment ce que l’on veut, en dehors de ce que l’on peut: valable pour les illustrations de la Bible avant 1600, le même souci se retrouve dans les réalisations et les projets de géoramas(2) au XIXe siècle. Les blancs sont parfois des enjeux de connaissance, qui sont remplis, à défaut de relevés de terrain, par l’illustration d’une théorie: c’est le cas des cartes de Buache au XVIIIe siècle où la charpente du monde repose sur des chaînes de montagne en grande partie inexistantes mais dont l’observation en quelques endroits a au moins eu le mérite de faire apparaître la notion de bassin-versant. C’est une époque où la géographie est une science d’érudition et non de voyage et d’observation, raison pour laquelle, absente de l’Académie royale des sciences, elle attendra 1793 pour y faire son entrée. Plus tard, au XIXe siècle, les blancs des cartes africaines vont constituer les enjeux d’expéditions, d’aventures et évidemment de colonisation; c'est ainsi que paraît en 1902 la première carte de la Guinée au Service géographique de l’Armée, carte exprimant la domination politique de la région. À la même époque, on retrouve la même chose pour le Pacifique, ses îles et surtout leur approche, la carte, comme pour les Antilles aux XVIIe et XVIIIe siècles, devant permettre de voir ce qu’il faut coloniser, ce qui est habité et par qui. Mais la carte sert aussi dans les négociations de traités et de frontières, belle démonstration pour Venise et ses possessions dalmates au XVIIe siècle. L’expédition du Mexique de Napoléon III a été aussi à l’origine de cartes d’abord pour rendre plus facile le déplacement des militaires évidemment, mais ensuite, et après la fin de l’empire, en 1874, d’une carte générale du pays qui en était alors dépourvu. Enfin, dernier avatar concernant les cartes du Chaco argentin, c’est la nouvelle apparition de blancs à la fin du XIXe siècle, et donc l’affirmation d’un vide démographique, uniquement pour préparer un lotissement pour de grandes propriétés.
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C’est à une vision plus complète et plus moderne que nous convie le petit ouvrage simple et rigoureux de Roger Brunet(3), passant de l’examen critique de la carte aux figures du territoire et aux modèles explicatifs qui en rendent compte. Ce démontage dynamique de la production de territoires, ici restituée dans toute sa profondeur historique, mais également à l’intérieur d’un environnement naturel qui n’est pas oublié, illustre, on ne peut mieux, les spécificités de la géographie. L’exemple détaillé de la région Nord-Pas-de-Calais et les changements liés à une intégration progressive dans le cadre européen confirment toute la richesse de cette démarche quant à la recherche prospective.
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