Sommaire du numéro
N°77 (1-2005)

L’intérêt de l’usage des cartogrammes:
l’exemple de la cartographie de
l’élection présidentielle française de 2002

Dominique Andrieu

Atelier de Cartographie, Université de Tours, MSH-Villes et Territoires, UMS 1835, BP 60449, 33 rue Ferdinand de Lesseps, 37 204 Tours.

Résumés  
Version en pdf



Durant ces vingt dernières années, l’informatique a révolutionné les méthodes de travail en cartographie. Du dessin assisté par ordinateur, qui a informatisé notre «rotring», aux systèmes d’information géographique en passant par la cartographie assistée par ordinateur, ces moyens techniques ont facilité la production de cartes et permis leur diffusion en grande quantité, tout en en facilitant la réalisation grâce à leur grande souplesse d’utilisation. Toutefois, l’informatique ne renouvelle pas profondément les méthodes et les pratiques des cartographes. Ces innovations techniques ont permis, entre autres, d’ouvrir un débat inconcevable il y a plus de vingt ans, sur le réel représenté dans les cartes. Malgré cette critique épistémologique dont Brian Harley (Bailly, 1995) a été l’un des principaux initiateurs, la cartographie reste souvent confinée dans un rôle illustratif et non dans celui d’instrument scientifique. À partir d’une présentation de la construction de cartogrammes, cet article se propose de souligner les possibilités offertes à la cartographie par l’outil informatique et l’intérêt de cette méthode pour la cartographie contemporaine.

Dans la catégorie des anamorphoses, C. Cauvin définit les cartogrammes comme une «transformation cartographique de poids», qui transforme les surfaces d’entités spatiales de manière à les rendre proportionnelles à une variable quantitative donnée. Afin de mieux mettre en relief l’intérêt du cartogramme, la mise en cartes de l’élection présidentielle française de 2002 permettra dans un premier temps de pointer les limites des solutions graphiques «classiques», c’est-à-dire celles que tout cartographe maîtrisant les règles sémiologiques fixées par J. Bertin utiliserait spontanément.

1. Élection présidentielle 2002: le vote pour l’extrême-droite par commune

À l’occasion de cette élection, de nombreuses cartes ont été réalisées à des échelles traditionnelles comme celle du département. Les résultats au niveau communal ont permis de renouveler la production cartographique et enrichi par-là même le débat, comme le montre notamment l’article de H. Le Bras et J. Lévy, «Les Communes de la France brune», publié dans le quotidien Libération du 25 avril 2002. On y trouve une carte représentant le vote pour les partis de l’extrême-droite (FN et MNR) dans toutes les communes de France (une carte analogue à la figure 1). La richesse de cette carte est d’offrir différents niveaux de lecture, dont l’un concerne la relation entre le phénomène urbain et les votants. Toutefois, cette carte par commune reste difficile à lire, notamment parce qu'il n'est pas possible de situer les limites des agglomérations.

1. Des solutions cartographiques

D’autres méthodes existent pour identifier le vote et le fait urbain, que ce soit par des regroupements de communes ou par un traitement sémiologique adapté.

2. Élection présidentielle 2002: le vote pour l’extrême-droite par aires urbaines.

3. Élection présidentielle 2002: le vote de l’extrême-droite par aires urbaines

a) Les regroupements communaux

Pour étudier ce croisement thématique, les communes françaises ont été rassemblées en fonction de leur appartenance aux aires urbaines telles qu’elles sont définies par l’INSEE (1). Les résultats communaux ont été regroupés selon qu’ils se situent dans un pôle urbain ou une couronne périurbaine définissant une aire urbaine. Les communes situées en dehors de ces zonages ont été rassemblées par département.

Ce dernier regroupement est composé de communes dont le rapport à l’urbain est très différencié. Au sens de l’INSEE, certaines appartiennent à «l’espace à dominante urbaine» comme les communes multipolarisées. Les autres composent «l’espace à dominante rurale» dans lequel l’INSEE comprend entre autres de nombreuses petites et moyennes villes. Le pourcentage de votants s’applique alors à des regroupements de communes urbaines trop disparates: la figure 2 uniformise l’espace et restitue mal l’importance du vote urbain, car les zones situées hors des aires urbaines constituent l’essentiel des surfaces représentées.

b) Une solution sémiologique

Afin de moins attirer l’attention sur les zones où le phénomène urbain est dilué, une solution sémiologique consiste à leur affecter une couleur moins saturée. Malheureusement l’utilisation de deux variations de valeur, l’une pour représenter le pourcentage des votants et l’autre pour le repérage des aires urbaines, ne peut se concevoir. Ces variations interfèrent au détriment de l’efficacité de la carte. En affectant à l’une d’entre elles une variation chromatique qui doit préserver leur caractère ordonné, il est envisageable de produire une carte distinguant visuellement les zones définies comme urbaines des zones hors de ces aires. La légende de la figure 3 est composée:

  • d’une progression ordonnée poly-chromatique représentant les résultats du vote;
  • d’une progression ordonnée de valeur (saturation de la couleur) représentant l’appartenance de la précédente progression à une aire urbaine ou non: valeur forte de la couleur dans un cas et valeur faible dans le second cas.

Une variation poly-chromatique ne caractérise pas en soi une relation d’ordre entre des individus statistiques (ici des regroupements de communes), d’où la difficulté du choix des couleurs pour une bonne perception des pourcentages de votants.

c) L’interprétation

La carte 3 peut susciter deux niveaux d’interprétation possibles:

  • le premier caractérise les comportements électoraux de groupes bien identifiés: les urbains et les périurbains;
  • le second est relatif au vote des électeurs résidant dans des ensembles géographiques sans caractéristiques sociales ou spatiales nettes: on veut par là désigner l’agrégat des communes situées hors des aires urbaines de chaque département, mais dont les habitants peuvent être aussi bien des ruraux que des urbains.

Les ensembles géographiques caractérisés par un vote important de l’extrême-droite se situent dans le Nord-Est, en région Rhône-Alpes et dans une large zone méditerranéenne allant de l’Hérault à la Côte-d’Azur.

Dans les aires urbaines, le vote pour l’extrême-droite est mieux implanté dans la couronne périurbaine que dans le pôle. Mais il n’y a souvent guère de différence entre le vote des espaces hors aires urbaines et celui des couronnes périurbaines. Les pôles urbains, auxquels s’agrègent parfois leurs couronnes périurbaines, forment des «clairières» (Vendôme, Auxerre, Laon…). En Alsace et sur la côte méditerranéenne (de Narbonne à Menton), dans les «bastions» du FN/MNR, l’importance du vote est générale du centre-ville jusqu’à la campagne, sauf dans quelques villes traditionnellement à gauche comme Alès, Montpellier ou Strasbourg (cette ville a été gagnée récemment par la droite).

d) Les limites de l’objet cartographié

La solution cartographique ne procure pourtant pas entière satisfaction. La structure de l’information spatiale, la nature du maillage et le choix sémiologique effectué permettent difficilement d’interpréter le comportement électoral des Français. Ce choix est la conséquence directe de l’imperfection des données à cartographier: dans notre sujet à traiter, il s’agit du maillage communal et des définitions urbaines.

Comment dépasser ces contraintes récurrentes? Géographes et cartographes sont conscients du problème méthodologique que constitue l’emploi dans leur recherche d’un maillage défini à d’autres fins. Mais la difficulté de créer un zonage ad hoc les conduit en général à réutiliser découpages et zonages à définition administrative, sauf à entrer dans une démarche scientifique visant à débattre précisément de ces définitions (Lévy, 2003).

Il ne s’agit pas ici de critiquer le maillage communal en tant que tel, mais de poser la question de la fonction du fond communal dans la représentation cartographique des données. Comme le souligne Patrick Poncet (Lévy, Poncet, Tricoire 2004): «Dans bien des cas ce qu’il est convenu d’appeler le fond de carte n’a rien à voir avec le fond du problème traité». Ce cadre administratif est réutilisé systématiquement, puisque le cartographe n’est pas en mesure de produire une solution alternative.

Or on sait que la seule hétérogénéité des surfaces des communes pose problème. La commune de Montargis correspond à la seule population de l’hypercentre, tandis qu’ailleurs les limites des communes englobent des éléments disparates, allant du centre à la périphérie, jusqu’à à l’espace rural: c’est surtout vrai dans les communes les plus vastes comme Fontainebleau ou Arles. Certaines méthodes cartographiques tentent d’atténuer cette contrainte du niveau communal comme, par exemple, les cartes par carroyage (Lajoie, 1992).

Enfin, au-delà de la variété des superficies des communes, la majeure partie de l’information statistique se concentre dans les communes urbaines. Sur la figure 3, les surfaces situées hors des aires urbaines représentent ainsi les deux tiers de la superficie nationale, mais n’abritent que 20% de la population.

On proposera ici non pas de remettre en cause le maillage communal ou les zonages de l’INSEE, mais d’utiliser ce fond de carte comme une information géographique à part entière et non comme un simple cadre de repérage.

2. Le cartogramme

Certaines méthodes alternatives permettent en effet d’affiner la visualisation et de pallier les imperfections tant des sources que des techniques utilisées. C’est le cas des cartogrammes.

a) Le script

4. Transformation cartographique des communes des Pays de la Loire
et de la Région Centre.

Données de population: recensement 1999

De nombreuses méthodes permettent de rendre les surfaces des entités spatiales proportionnelles à une variable quantitative donnée. Sans détailler ces méthodes et leurs résultats (voir par exemple Kocmoud, 1997), nous nous proposons ici d’appliquer l’une d’entre elles, accessible à tout utilisateur de la géomatique. Il s’agit d’un script développé pour Arc View. Pour mieux faire voir l’intérêt de la méthode, nous l’appliquons aux communes de deux régions: Pays de la Loire et Centre, en fonction de leur population (figure 4).

Le script a été développé une première fois par Charles Jackel en langage Avenue pour Arc View 3, puis amélioré par Andy Agena: cette dernière version, téléchargeable (2), a été utilisée pour créer les cartogrammes de cet article. L’algorithme à l’origine de ce script a été conçu par Dougenik, Chrisman et Niemeyer en 1985. Le principe de transformation consiste à exercer des forces partant du centre du polygone (centroïde) vers les points définissant sa bordure. La distance du centroïde de polygone au point le définissant est prise en compte dans la transformation. Ces forces représentent l’écart entre la surface initiale du polygone et la surface qu’il devrait avoir si toutes les surfaces étaient proportionnelles à la quantité à représenter:

  • si la surface d’origine est trop petite par rapport à la quantité à représenter, la force repoussera les points et agrandira l’entité spatiale;
  • si la surface d’origine est trop grande par rapport à la quantité à représenter, la force attirera les points et réduira l’entité spatiale.

La transformation préserve les contiguïtés des entités spatiales et s’effectue par étape ou itération: le traitement des communes des régions Centre et Pays de la Loire, en comporte 10. À chaque itération, le script transforme et déforme de plus en plus la carte jusqu’à la dixième où les surfaces des polygones doivent avoir les mêmes proportions que la quantité considérée. Il est bien évident que les premiers pas de la transformation engendrent des surfaces faiblement proportionnelles aux quantités, aussi a-t-on été amené naturellement à vérifier la qualité de cette transformation.

b) Le cartogramme produit

Le script n’apporte aucune information sur la qualité du cartogramme produit, ni aucune signification quant au rapport des surfaces qu’il faudrait logiquement indiquer en légende: il manque une «échelle» indispensable à la lecture de cette image.

Par la méthode statistique de régression linéaire entre les quantités représentées et la nouvelle superficie des entités spatiales, le coefficient de corrélation donne un bon indice pour apprécier la bonne représentation des proportions de la quantité par les nouvelles superficies. Sur les 3 344 communes des deux régions testées, les coefficients de corrélation sont les suivants:

  • deuxième itération = 0,869
  • cinquième itération = 0,976
  • dixième et dernière itération = 0,986

Ces trois coefficients montrent la relative stabilité de la qualité de la transformation audelà de la cinquième itération où la corrélation n’évolue que très peu. Le cartogramme de la figure 4 est issu de la cinquième itération et son taux de 0,976 indique que la transformation est à «moins de 3% de sa version optimale», ce qui signifie que les communes peuplées sont plutôt sous-estimées, elles devraient être plus vastes, et les communes moins peuplées sont surestimées, elles devraient être plus petites. Au-delà de la cinquième itération du cartogramme (cf. animation 2), la transformation n’améliore pas significativement la perception des rapports des surfaces produites.

L’appréciation de la transformation est précieuse, puisqu’elle nous permet de réduire le temps de calcul qui s’accroît exponentiellement en fonction du nombre d’entités à gérer.

c) Le temps de calcul

Le temps de calcul est le frein le plus manifeste au développement et à l’utilisation des cartogrammes. Pour obtenir les dix itérations relatives aux 3 344 communes des régions Centre et Pays de la Loire, il faut un peu plus de trente-trois heures. Nous estimons que le traitement de toutes les communes françaises aurait monopolisé pour une seule itération, un micro-ordinateur pendant cent trente jours.

À une époque où l’on exige que les traitements informatiques soient rapides, de tels temps de calcul imposent des choix sur le fond et les données à traiter. Ainsi nous avons choisi pour l’instant de développer des cartogrammes sur la population de 1999 (population sans double compte). On pourrait certes envisager un traitement en fonction d’autres variables quantitatives comme le nombre de votants. Mais l’avantage de la population communale est d’être utilisable pour des thématiques géographiques variées.

Dans cette même logique, la transformation des communes françaises utilisée dans la figure 6 s’appuie sur des regroupements pour réduire le nombre d’entités spatiales. Les communes non urbaines (n’appartenant pas à un espace à dominante urbaine pour l’INSEE) de moins de 500 habitants ont été regroupées par canton. Cette transformation permet de faire passer le nombre d’unités de 36 500 à 25 000. La durée de traitement pour ce nouveau fond est de quarante-cinq jours pour une itération, ce qui est encore une contrainte majeure. L’image résultante n’est plus une carte aux formes connues et encore moins reconnues.

d) La lecture d’un cartogramme

5. Les formes urbaines mises en image par le cartogramme

Pour comprendre ces cartogrammes, il importe d’oublier les réflexes cartographiques traditionnels. Ces images perturbent nos repères visuels. Il est peut-être plus difficile de faire admettre ces transformations aux géographes et aux cartographes, habitués aux représentations usuelles qui s’appuient sur des surfaces euclidiennes, qu’au citoyen lambda qui a une approche des cartes moins rigoureuse et en lit moins fréquemment.

Les cartogrammes traitent des surfaces, il faut par conséquent étudier celles-ci plus attentivement que les formes. Elles sont la conséquence des contraintes de contiguïté à préserver entre les communes malgré les contrastes de peuplement. Les communes sont «grandes» lorsque leur nombre d’habitants y est important. Les surfaces qui attirent le regard sont les masses urbaines, elles «poussent» les communes moins peuplées de proche en proche.

Les formes créées par ces contrastes de population ne manquent pas d’un certain intérêt graphique. Elles sont en effet très expressives. Dans la figure 5 (voir aussi l’animation 2), les définitions de l’aire urbaine de l’INSEE sont mises en image par le cartogramme:

  • les pôles sont figurés par la rondeur des communes les plus peuplées;
  • les couronnes périurbaines sont figurées par des formes annulaires fines;
  • entre les aires urbaines ou autour d’elles, les communes sont étirées, coincées et subissent la pression urbaine dont on parle tant et qui se révèle en image.

e) Le cartogramme dans la sémiologie graphique

Cette méthode de transformation, basée sur la variation de la surface des zones en fonction d’une variable quantitative, peut trouver une place à part entière dans l’ensemble des solutions cartographiques. Elle s’intègre très logiquement dans la sémiologie de J. Bertin, car elle cartographie une information «quantitative-zonale». Une information «quantitativeponctuelle» ou «quantitative-linéaire» fait varier la taille des points ou des lignes en fonction de la quantité qu’ils représentent. Il apparaît naturel de faire varier la taille d’une zone en fonction de la quantité qui lui est attribuée. Or cette méthode déforme le fond de carte, ce que n’envisage pas un instant S. Bonin: «En implantation zonale, la surface ne variant pas, la variation de taille concerne les éléments ponctuels ou linéaires inscrits dans cette zone». J.-P. Bord et E. Blin admettent pourtant qu’en «implantation zonale, une représentation correcte nécessiterait de modifier la taille de chaque zone». L’intérêt premier de ce choix méthodologique est aussi clairement exprimé par M. Béguin et D. Pumain: comme pour les informations quantitatives en implantations ponctuelles et linéaires, il s’agit de montrer graphiquement le rapport de grandeurs entre elles, les proportionnalités, existant d’un point de l’espace à l’autre. De même que, dans une carte classique, le cercle représentant la population d’une ville de 100 000 habitants a légitimement une surface deux fois grande que celui d’une ville voisine qui ne compte que 50 000 habitants, le cartogramme permet de représenter des rapports de surfaces.

3. Le cartogramme comme fond de carte

En redonnant de l’importance visuelle aux espaces peuplés, le fond de carte prend sa place dans le discours cartographique et géographique. Il n’est plus seulement le cadre formel d’une représentation cartographique, mais apporte son sens à la thématique cartographiée. La figure 6 qui illustrera l’atout du cartogramme, applique la légende de la figure 3 à un cartogramme des communes françaises en partie regroupées (cf. partie 2c). Ces nouvelles «surfaces de populations» permettent d’affiner l’analyse précédemment faite de la carte 3, en facilitant l’interprétation de ce qui se passe dans les espaces fortement peuplés.

a) De la cartographie du vide vers la cartographie du plein

Lors d’une première lecture de la carte 6, Les figurés relatifs aux aires urbaines frappent beaucoup plus l’oeil que dans un fond de carte «classique». L’importance de ces aires rappelle que 80% de la population vit sur un tiers du territoire (surface euclidienne). Nous aurions beau multiplier les mises en garde relatives à l’égard de la répartition contrastée de la population dans la carte 3, elles auraient toujours moins de poids que l’image produite par le cartogramme.

6. Cartogramme de l’élection présidentielle 2002 - le vote de l’extrême-droite.

Les contrastes de population apparaissent tout aussi clairement à l’intérieur des aires, notamment entre pôles et couronnes périurbaines très étendues. Le vote en faveur de l’extrême-droite est, dans le Bassin Parisien par exemple, très nettement périurbain. Le centre de l’aire parisienne s’exprime moins en faveur de ces partis politiques, alors que sa couronne et les espaces adjacents sont marqués par un vote qui franchit facilement le seuil des 20%. En région Rhône-Alpes, un gradient de même type, mais encore plus marqué, peut être observé: entre le pôle urbain de Lyon et les espaces proches des Monts du Lyonnais (moins peuplés et moins urbanisés), les pourcentages de vote en faveur de l’extrême-droite croissent fortement. Un gradient comparable est repérable de Grenoble ou Annecy aux espaces montagneux environnants.

Par contre dans de très nombreuses villes «bastions» de l’extrême-droite (Alsace et Provence), le gradient est inversé: ces régions parfaitement identifiées dans la carte «classique» doivent leur poids dans l’ensemble national grâce au vote des pôles. La région Nord-Pas-de-Calais, très discrète sur la carte 1, est beaucoup plus visible, car le vote d’extrême-droite est particulièrement fort dans les pôles. Ce phénomène est facilité par le fait qu’il est difficile de définir des couronnes périurbaines dans ces régions de conurbation.

Il est évident que l’intérêt du cartogramme est de ne pas cartographier le «vide» relatif. Il l’atténue au profit de ce qui est à mettre légitimement en avant, c’est-à-dire les fortes masses de votants et plus encore d’habitants. Les masses qui apparaissent sur le cartogramme correspondent à des populations urbaines et non à des unités administratives qui rassemblent des espaces peu ou très densément peuplés.

b) Vers un référentiel «topologique»

7. Le tracé de la Loire et le cartogramme.

Un frein, peut-être non négligeable, au développement de l’utilisation de cette méthode et à la lecture des cartogrammes réside dans la difficulté de localiser les lieux, de se repérer comme nous en avons l’habitude sur les cartes euclidiennes. La méthode employée dans le script préserve la contiguïté des entités spatiales, et plus généralement la topologie: ceci permet généralement de localiser les lieux entre eux. La difficulté est plus grande dans les régions où les contrastes sont très forts, autour de la couronne périurbaine de Paris par exemple. Ces contrastes compriment les zones voisines en courbant les alignements latitudinaux ou longitudinaux dont les cartographes ont l’habitude: par exemple les lignes Le Mans/Orléans/Auxerre ou Rouen/Beauvais/Reims. Malgré tout, la position des lieux les uns par rapport aux autres n’est pas trop affectée par ces déformations, ce qui permet de repérer les lieux par leurs positions successives: Le Mans, puis Orléans, puis Auxerre.

On ne peut pas faire l’économie de la description topologique de l’espace et si elle est maîtrisée de façon acceptable, il est concevable d’enrichir le cartogramme grâce aux propriétés topologiques des éléments de l’espace. Par exemple, sur le maillage communal déformé des régions Centre et Pays de la Loire de la figure 7, la Loire peut être localisée non pas en fonction d’une projection, puisque celle-ci n’a plus de sens, mais en fonction de sa position vis à vis des limites communales: en effet son cours coïncide sur la quasi-totalité de sa longueur avec ces limites (voir aussi l’animation 2). Ce principe de «localisation» en fonction de la topologie pourrait être une possibilité de référentiel pour d’autres exploitations cartographiques. Ici, le tracé de la Loire n’est plus à étudier dans sa morphologie, mais dans la relation que l’homme entretien avec son fleuve: on observe davantage une «géo-morphologie urbaine» du tracé.

Conclusion

À travers les différentes images présentées ici, l'intérêt cartographique et géographique du cartogramme est mis en évidence. Ceci ouvre de nouvelles voies dans la représentation des données géographique, même si l’espace en question s’en trouve modifié par rapport à nos représentations conventionnelles. Certes, ces représentations cartographiques existent depuis quelques décennies, mais il apparaît souhaitable que non seulement l’emploi de cette méthodologie se généralise dans le monde universitaire et scientifique, mais qu’elle soit également diffusée auprès de nos concitoyens, auxquels on offre une cartographie souvent simpliste et réductrice. Les capacités des systèmes informatiques actuels et leur évolution très rapide rendent envisageables le développement de l’utilisation de cette méthodologie, le temps de calcul restant pour l’instant une contrainte. Les élections sont des événements pour lesquels les médias produisent et interprètent des cartes: les cartogrammes permettraient d’aller audelà de la simple fonction de localisation. Après avoir réussi à montrer en 2002 l’intérêt de la représentation communale, à l’échelle de la France entière, des résultats du vote, bien plus riche qu’une cartographie par département, pourquoi ne pas proposer désormais des cartogrammes ? L’idée est acquise que la carte est une abstraction du monde réel. Que cette abstraction s’appuie sur des distances euclidiennes ou sur des quantités représentées par des surfaces, il est certain que sa lecture et sa compréhension demanderont un apprentissage et un temps d’assimilation, bref, une véritable pédagogie de la lecture cartographique.

Bibliographie

BAILLY A., GOULD P., éd. (1995). Le Pouvoir des cartes. J. Brian Harley et la cartographie. Paris: Economica- Anthropos.

BÉGUIN M., PUMAIN D. (1994). La Représentation des données géographiques. Paris: Armand Colin, coll. «Cursus».

BERTIN J. (1967). Sémiologie graphique. Paris: Gauthiers-Villars.

BLIN E., BORD J.-P. (1995). Initiation géo-graphique ou comment visualiser son information. Paris: SEDES.

BONIN S. (1975). Initiation à la graphique. Paris: E.P.I.

BUSSI M., coord. (2003). «La mosaïque politique de la France 15 cartes par canton pour comprendre les élections présidentielles 2002». Cybergéo

CAUVIN C. (1997) «Au sujet des transformations cartographiques de position». Cybergéo.

CAUVIN C., REYMOND H. (1986). Nouvelles Méthodes en cartographie. Montpellier: GIP Reclus, coll. «Reclus Mode d’emploi».

DU Ch., LIU L. (1999). «Constructing contiguous area cartogram using ArcView. Geoinformatics and Socioinformatics». The Proceedings of Geoinformatics ‘99 Conference, Ann Arbor.

KOCMOUD, C.J. (1997). Constructing Continuous Cartograms: A Constraint-Based Approach. Master’s Thesis, Texas A&M Visualization Laboratory, Texas A&M University, College Station, Texas.

KOLOSSOV V., PLATÉ A. (1997). «La Russie partagée: géographie des élections». Mappemonde, n° 2.

LÉVY J., LUSSAULT M., dir. (2003). Dictionnaire de la Géographie. Paris: Belin.

LE BRAS H., LÉVY J. (2002). «Les Communes de la France brune». Libération du 25 avril 2002.

LÉVY J., PONCET P., TRICOIRE E. (2004). La Carte, enjeu contemporain. Paris: La Documentation française, coll. «La Documentation photographique», n° 8036.

LÉVY J. (2003). «Quelle France voulons-nous habiter ? Vote, urbanité et aménagement du territoire». Territoire 2020, n° 7.

LAJOIE G. (1992). Le Carroyage des informations urbaines. Rouen: Publications de l’Université de Rouen, coll. «Nouvelles donnes», 238 p.

MONMONIER M. (1993). Comment faire mentir les cartes, du mauvais usage de la géographie. Paris: Flammarion.

Notes

1. Pour ces définitions, voir la page suivante du site internet de l’INSEE.
2. Téléchargeable depuis le site ESRI.