N°78 (2-2005)
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Les ports commerciaux d’Afrique du Sud
Université de la Réunion, Département de géographie, 97 715 Saint-Denis |
Introduction Sept ports de commerce jalonnent les 2 900 km de côtes sud-africaines: Richards Bay et Durban dans la province du KwaZulu-Natal, East London et Port Elizabeth dans la province orientale du Cap, Mossel Bay, Cape Town et Saldanha Bay dans la province occidentale du Cap (carte 1). Au service d’un vaste et riche arrière-pays et connectés à des routes maritimes fréquentées, ils forment une véritable «façade portuaire» (D’Angio, Mauduy, 1997).
Si le port de Cape Town date de la colonisation hollandaise, ceux de Port Elizabeth, East London et Durban ont été aménagés sous domination britannique. Ces ports coloniaux ont aujourd’hui une activité relativement diversifiée, alliant des installations pour les vracs et les marchandises conditionnées (1); ils sont qualifiés, exception faite de Cape Town (2), de ports plurifonctionnels. Ils disposent d’une gamme de terminaux spécialisés dans les fruits, les minerais, les hydrocarbures ou les conteneurs. En revanche, les ports en eau profonde de Richards Bay, Saldanha Bay et Mossel Bay, créés au cours des années 1970, sont de simples ports vraquiers pour l’exportation de ressources brutes. Les complexes portuaires «coloniaux» ont donné naissance à des agglomérations, dont les plus grandes ont plus de trois millions d’habitants et qui sont devenues des pôles industriels dynamiques; au contraire, les ports récents n’ont engendré que de petites cités associées à des zones industrialo-portuaires. Cet article propose un essai de schématisation portuaire de l’Afrique du Sud. Six modèles, exprimant l’évolution de la façade portuaire sud-africaine et définissant les composantes portuaires majeures du pays, ont été élaborés. Les premières mises en valeur portuaires
Les sites des quatre premiers ports sud-africains, soit d’ouest en est, la baie de la Table à Cape Town, la baie d’Algoa à Port Elizabeth, l’embouchure du fleuve Buffalo à East London et la baie du Natal à Durban (figure 2) ont servi de têtes de pont aux Hollandais (Boers ou Voortrekkers) et aux Britanniques dans la conquête du pays. En décidant d’établir une station de ravitaillement à Cape Town au cours du XVIIe siècle, les Hollandais ont fait de la baie de la Table, équipée d’un appontement en 1658, le premier site portuaire sud-africain. Cape Town resta pendant près de deux siècles le seul établissement portuaire du pays, les autres n’étant lancés qu’au milieu du XIXe siècle. À la fin de ce siècle, la découverte de champs diamantifères et aurifères dans le Transvaal bouleversa la donne. Durban, malgré la barre de sable qui courait en travers de sa baie, réussit à voler la vedette au port de Table Bay, trop excentré par rapport à Johannesburg, la cité de l’or. Le port de la baie du Natal s’imposa ensuite comme la fenêtre maritime (3) de Johannesburg, ville à laquelle il fut relié par voie ferrée en 1895. Dans un même temps, son arrière-pays s’enrichit de bassins charbonniers, dont l’exploitation débuta à partir de 1888 au Natal. La première expédition de charbon, via le port de Durban, survint en 1893. Cette nouvelle activité permit au port d’asseoir définitivement son pouvoir. Depuis, Port Elizabeth, East London et Cape Town vivent dans l’ombre du géant Durban. L’agrandissement de la façade portuaire
Les deux ports en eau profonde de Richards Bay et de Saldanha Bay entrèrent en activité en 1976 pour l’expédition de minerais. Le premier est relié par une voie ferrée de 500 km aux bassins charbonniers du Mpumalanga, le deuxième par une voie ferrée (4) de 800 km aux mines de minerai de fer de Sishen dans la province Nord du Cap. Deux raisons ont motivé ce choix gouvernemental: le manque de profondeur des établissements de la première génération et un début de saturation de leurs équipements (Lamy, 2003). Le troisième port en eau profonde, Mossel Bay, fut mis en service en 1987 en vue d’exporter des carburants et alcools anhydres; simplifié à l’extrême, il ne se compose que de deux bouées de mouillage, situées au large de la baie éponyme. La façade portuaire sud-africaine est donc en cours d’agrandissement (figure 3). Le site retenu pour l’édification du nouveau complexe est l’embouchure de la rivière Coega, à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Port Elizabeth. Ce nouveau port, qui devrait être ouvert en septembre 2005, est censé aider au développement d’une région, la province de l’Est du Cap, relativement indigente. Il est associé à un projet de zone franche. Il devrait s’agir d’un port plurifonctionnel, en eau profonde, mariant vracs (manganèse) et marchandises générales (conteneurs). Natures des arrière-pays
La façade portuaire sud-africaine est adossée à un riche arrière-pays, auquel elle est reliée par voies ferrées et par routes (figure 4). Cet hinterland se compose d’une vaste dorsale minière qui recouvre la moitié septentrionale du pays. Les bassins charbonniers sont surtout vers l’est, les mines de chrome et de phosphates au nord-est. Les gisements de minerai de fer, de manganèse, de cuivre et de plomb, sont plutôt au nord-ouest. Cet arrière-pays comprend également de riches régions agricoles: la province Ouest du Cap si réputée pour son arboriculture, le KwaZulu-Natal pour ses champs de canne à sucre et le Mpumalanga pour ses agrumes et fruits tropicaux. Cet arrière-pays s’articule autour d’un centre économique correspondant à peu près à la province du Gauteng, vers lequel toutes les voies de communication convergent; il représente un vaste marché de consommation de neuf millions d’habitants, et le premier centre industriel du pays. En Afrique du Sud, cependant, le relief gêne considérablement les liaisons entre les ports et leurs arrière-pays. Or une grande partie des richesses minérales sont sur les plateaux intérieurs d’une altitude variant entre 1 200 et 2 000 m. Séparés des plaines côtières par des chaînes montagneuses (Drakensberg, Balelesberg, Biggarsberg), ces plateaux ne sont pas aisément accessibles. Certaines voies ferrées, comme celles reliant les mines du Mpumalanga aux ports du KwaZulu-Natal, qui traversent les contreforts du Drakensberg, ont nécessité des travaux pharaoniques (5). L’arrière-pays de Richards Bay renferme, outre des bassins charbonniers, des gisements de chrome, d’andalousite, de phosphates et de titane dans les provinces du Mpumalanga, du Limpopo, du Nord-Ouest et du KwaZulu-Natal. L’arrière-pays de Saldanha Bay est nettement moins étendu et moins riche que celui de Richards Bay. Mossel Bay est connecté par un réseau d’oléoducs aux gisements de gaz naturel situés à une centaine de kilomètres au large des côtes: une sorte d’«arrière-pays sur l’eau». Les complexes plurifonctionnels drainent et desservent des arrière-pays souvent plus étendus et variés que les ports vraquiers et sont au service de vastes marchés de consommation: villes situées dans l’aire de rayonnement immédiat du port, bassins largement tributaires comme Johannesburg par rapport à Durban, ou encore régions plus lointaines comme les pays frontaliers du Botswana et du Zimbabwe ou les États enclavés du Lesotho et du Swaziland. Ces quatre ports rayonnent aussi sur un riche arrière-pays agricole, notamment fruitier. Enfin, deux des établissements plurifonctionnels, Durban et Port Elizabeth, ont en sus une fonction minière: une partie du charbon exploité au KwaZulu-Natal est évacuée par le port de Durban et Port Elizabeth est le seul expéditeur de manganèse du pays, à partir de mines situées à plus de 800 km au nord-est du port. «Ces ports qui créèrent des villes»
En Afrique du Sud, deux types de villes portuaires se distinguent (figure 5). D’un côté, des métropoles, filles de la colonisation, de l’autre des petites cités souvent «immatures». Durban occupe le sommet de la hiérarchie urbaine provinciale du KwaZulu-Natal avec trois millions d’habitants; Cape Town atteint aussi ce niveau, et Port Elizabeth ainsi que East London se présentent comme les deux principales métropoles de la province orientale du Cap avec respectivement 1 000 000 et 500 000 habitants. À l’image de Lagos, Cotonou ou Dakar, ces quatre aires métropolitaines sont nées de leur rôle portuaire. En comparaison et en dépit de son essor fulgurant, Richards Bay n’a encore que 92 500 habitants (6). Saldanha Bay n’a que 25 500 habitants, Mossel Bay 74 000. Ces petites villes ont été créées de toutes pièces parallèlement à l’édification du port (Richards Bay) ou à sa suite (les deux autres). Une industrie diversifiée s’est développée autour des quais des ports anciens. À Port Elizabeth et East London, l’industrie automobile, qui connaît un regain d’activité, domine; à Durban et à Cape Town, l’industrie est plus diversifiée dans la pétrochimie, l’agroalimentaire, le textile et la papeterie. Toutes ces activités dépendent du port pour leur importation de matières premières (alumine, potasse ou pétrole brut) et l’exportation de produits semi-finis (aluminium, acier, pâte à papier ou propylène) et finis (automobiles, engrais, textiles synthétiques ou matières plastiques). Les nouveaux ports sont plus spécialisés: Richards Bay et Saldanha Bay ont reçu des industries lourdes (alumineries, aciéries, fabrique d’engrais et de pâte à papier), Mossel Bay, sorte de company town, est liée à l’usine pétrochimique Mossgas. Relations d’avant-pays
Les ports sud-africains sont situés sur une des principales voies de communication maritimes de la planète, la route du Cap. Ils prennent donc part plus ou moins activement, en fonction de leur spécialisation, aux échanges maritimes internationaux de marchandises. Leurs flux se dirigent essentiellement vers l’Asie (Japon, Taiwan et Corée du Sud) et l’Europe (Allemagne, Espagne et Pays-Bas) et sont souvent unidirectionnels pour les ports récents, plus complexes pour les autres (figure 6). Les échanges du port «généraliste» de Cape Town et des établissements plurifonctionnels se font en revanche aussi bien à l’importation qu’à l’exportation. L’avant-pays de Cape Town se compose essentiellement de trois zones géographiques: l’Europe (Royaume-Uni, Allemagne), l’Asie (Taiwan, Japon) et le Moyen-Orient (Iran, Émirats Arabes Unis). Les deux premières attirent l’essentiel des exportations de Cape Town (fruits, vins et spiritueux) et engendrent quelques importations (produits électroménagers, matériel audiovisuel). La troisième est un fournisseur d’hydrocarbures. Les liens que East London et Port Elizabeth ont noués avec leur avant-pays dépendent avant tout des flux créés par l’industrie automobile. Les importations et exportations de voitures et de pièces détachées pour automobiles ont conduit à une relation quasi exclusive avec l’Europe (Allemagne, Espagne, Belgique) et l’Asie (Japon, Corée du Sud). Enfin, Durban est le seul port sud-africain qui peut se targuer de disposer d’un avantpays de dimension planétaire. Du port du KwaZulu-Natal rayonnent ou convergent des faisceaux de voies maritimes le reliant à l’Europe (exportations de fruits, de sucre ou de granite), à l’Asie (importations de produits électroménagers et de textiles), au Moyen-Orient (importations de pétrole brut) ou encore à l’Amérique du Nord (exportations de produits sidérurgiques et importations de céréales). Trois groupes de ports
Au sommet de la hiérarchie portuaire sud-africaine siègent un port vraquier, Richards Bay, et un complexe plurifonctionnel, Durban (figure 7). À eux deux, ils réalisent plus de 70% du trafic portuaire national. Richards Bay affiche un trafic annuel de 90 Mt. Il se présente comme le plus gros port exportateur de minerais (charbon, chrome, phosphates) du continent africain. Durban, quant à lui, réalise un trafic annuel de 52,4 Mt. Il se pose comme le premier port plurifonctionnel africain. Son trafic conteneurisé s’élève à 16 Mt, soit environ 1,2 million d’équivalent vingt pieds (EVP). Dans un groupe intermédiaire se distinguent les établissements de Saldanha Bay, de Cape Town et de Port Elizabeth. Ces trois ports, qui souffrent de leur excentricité par rapport au centre économique, n’ont qu’une influence régionale. Avec un trafic de 9,9 Mt, dont 71% de marchandises générales, Cape Town peut être défini comme un port «généraliste», en d’autres termes il est spécialisé dans les marchandises générales et son trafic vraquier apparaît relativement modeste (moins de 30% du trafic total). Les deux fers de lance du port sont le terminal fruitier (14% du trafic total) et l’installation pour les conteneurs (51,5% du trafic total), dont l’activité a été amplifiée par la saturation du port de Durban. Port Elizabeth, dont le trafic annuel se monte à 6,7 Mt, connaît, comme son homologue Cape Town, un regain d’activité grâce à la conteneurisation. Il traite 3,2 Mt de marchandises conteneurisées (225 000 EVP) et il est surtout au service de l’industrie automobile. Saldanha Bay, troisième port du pays en termes de trafic (29,9 Mt), se présente surtout comme un expéditeur de minerai de fer et comme un importateur de pétrole brut. Enfin, le dernier groupe concentre les ports secondaires de East London (2,2 Mt) et de Mossel Bay (1 Mt). Ces deux établissements ne réalisent, en comparaison avec les autres complexes nationaux, qu’un faible trafic portuaire. Néanmoins, ils demeurent indispensables au bon fonctionnement de la façade maritime sud-africaine. Le premier se pose comme le seul expéditeur d’alcools et de carburants du pays. Son activité est intimement liée à l’usine pétrochimique Mossgas. Le second qui arborait fièrement une bannière agricole ne jouit plus aujourd’hui d’aucune prérogative en la matière. En contrepartie, il a su faire de l’industrie automobile sa planche de salut. De telle manière qu’aujourd’hui, le port travaille presque exclusivement pour ce secteur. Conclusion
Le schéma final (figure 8), combinaison des six structures réalisées, fait bien ressortir le poids et le rôle des ports du KwaZulu-Natal. Il s’agit des deux établissements les plus actifs de la façade portuaire sud-africaine: le port vraquier de Richards Bay épaulant le port plurifonctionnel de Durban. Ils sont à moins de 500 kilomètres du centre économique et des grandes régions minières et agricoles du pays. Les autres établissements, trop éloignés de Johannesburg, sont plutôt des ports de rayonnement régional. Mais ils ont un potentiel intéressant: aucun des pays littoraux voisins ne peut se targuer de disposer d’un réseau organisé de ports. La Namibie a hérité de sa période coloniale de deux ports de commerce (Walvis Bay, Lüderitz) mais manque de moyens; le Mozambique a trois ports de commerce (Maputo, Beira, Nacala); quoique en voie de rénovation, ils apparaissent encore exsangues au sortir de plus de vingt ans de guerre civile. Références bibliographiques BRUNET R. (1987). La Carte, mode d’emploi. Paris: Fayard, Reclus, 270 p., ISBN: 2-213-01848-0. D’ANGIO R., MAUDUY J. (1997). Les Rivages asiatiques du Pacifique. Paris: Armand Colin, 144 p., ISBN: 2-200-01587-9. DUBRESSON A., MARCHAL J.-Y., RAISON J.-P. (1994). Les Afriques au sud du Sahara. Paris: Belin/Reclus, collection Géographie universelle, 480 p., ISBN: 2-7011-1669-4. Harbour Reference Book for the Ports of Southern Africa and Mauritius. (2001). Sunnyside: Pharmaceutical Printers and Publishers, 320 p. LAMY M.-A., FOLIO F. (2003). «La ville nouvelle portuaire de Richards Bay en Afrique du Sud: un destin assujetti à la métropole de Durban». In Travaux & Documents, «Espaces, sociétés et environnements de l’océan Indien», numéro spécial de géographie, p. 147-170. LAMY M.-A. (2003). Les Sept Ports de commerce sud-africains, de Richards Bay à Saldanha Bay. Saint-Denis: Université de La Réunion, thèse, 460 p. VIGARIÉ A. (1979). Ports de commerce et vie littorale. Paris: Hachette, collection Hachette Université, 496 p. Notes 1. On appelle divers, ou marchandises générales, toutes les marchandises transportées en colis séparés (caisses, fûts ou conteneurs), par opposition aux vracs, transportés à même les cales du navire (Vigarié, 1979). 2. L’activité vraquière du port de Cape Town étant peu développée, on ne peut donc pas le définir comme un établissement plurifonctionnel. En revanche, son trafic se compose pour une grande part de marchandises générales, il peut donc être décrit comme un port «généraliste» (Lamy, 2003). 3. Il partageait alors cette prérogative avec le port de Lourenço-Marques (actuel port de Maputo). 4. Il faut 19 heures pour qu’un train tractant 200 wagons rallie le port de Saldanha Bay. Chaque wagon peut contenir jusqu’à 80 tonnes de minerai de fer. 5. Par exemple, la voie ferrée, d’une longueur de 500 km, courant entre les bassins charbonniers du Mpumalanga et le port de Richards Bay a nécessité la construction de 258 ouvrages d’art (dont 234 ponts). Huit années furent nécessaires à la réalisation de cette ligne entièrement dédiée au transport du charbon. 6. Le taux de croissance de la ville de Richards Bay entre 1969 et 1999 s’est élevé à 133 957%, soit un taux de croissance moyen annuel de 27,12%. |