Sommaire du numéro
N° 81 (1-2006)

Pour un système intégré de pré- et post-acheminement
des trafics ferroviaires grandes lignes

Laurent Chapelon a Benoît Jouvaud aSébastien Ramora 

UMR 6012 ESPACE CNRS-Université Montpellier III, Maison de la Géographie, 17 rue Abbé de l’Épée, 34090 Montpellier

Résumés  
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Introduction

La recherche de solutions performantes pour réduire l’usage de l’automobile dans les grandes agglomérations se heurte à une organisation encore trop sectorielle des services de transport en commun. La difficulté d’articuler TGV, Corail, TER et autocars dans le cadre du pré- et post-acheminement des trafics ferroviaires grandes lignes est en outre accentuée par la construction de gares TGV en périphérie des agglomérations. La solution passe par une nouvelle organisation intermodale des services collectifs de transport, qui implique de les appréhender dans leur ensemble et d’en rechercher les complémentarités. Cette nouvelle approche permettrait de revitaliser les transports collectifs interurbains et le transport ferroviaire régional en particulier.

Cet article, qui fait suite à une étude réalisée pour le compte de Réseau Ferré de France (Chapelon et al., 2005b), a pour objectif premier de montrer, en s’appuyant sur l’exemple de Nîmes, que les services TER et autocars dans leur organisation actuelle ne peuvent assurer de manière efficace le pré- et post-acheminement des liaisons ferroviaires majeures. Leur potentiel est pourtant élevé, pour peu qu’une réorganisation des services soit menée dans cette perspective. L’article s’attachera donc à défendre cette idée. La simulation de l’implantation d’une gare TGV nouvelle en périphérie de l’agglomération nîmoise a pour but de montrer l’importance de cette question dans le cadre des nouveaux projets de lignes à grande vitesse. Or les études relatives à ces derniers n’accordent généralement qu’une place secondaire aux modalités de pré- et post-acheminement des gares nouvelles, ce qui est regrettable.

Un autre objectif de l’article est de montrer l’intérêt d’une évaluation fine et désagrégée de la qualité du pré- et post-acheminement par TER et autocars des gares principales. Il s’agit plus précisément de calculer des accessibilités sur un réseau multimodal en fonction des origines et destinations des déplacements (désagrégation spatiale), et surtout en fonction du moment de la journée (désagrégation temporelle). Pour cela, une méthode spécifique de calcul a été testée. Elle tient compte des fréquences et des horaires de circulation des TER et des autocars ainsi que des cheminements pédestres aux extrémités.

La qualité des services de pré- et post-acheminement

Les transports collectifs ont des horaires de circulation fixes. Il faut tenir compte de cette caractéristique pour évaluer correctement la qualité de service, et donc additionner temps de déplacement stricto sensu et temps d’attente. Un parcours d’une heure peut en effet correspondre à 30 minutes de déplacement et 30 minutes d’attente ou 45 minutes de déplacement et 15 minutes d’attente.

Si l’on utilise les transports collectifs, on est tributaire des grilles horaires: l’accessibilité d’un lieu varie fortement selon le moment de la journée. Des indicateurs synthétiques de type «meilleur temps de parcours» ou «temps moyen de parcours» masquent cette variabilité. Un indicateur désagrégé comme le temps total de pré- ou post-acheminement à un instant donné (heure de référence) est nettement plus pertinent. Il traduit la qualité réelle des services de transport collectif aux extrémités et leur capacité à proposer une desserte performante vers ou depuis les gares principales (Appert, Chapelon, 2002).

Une analyse détaillée de l’utilisation des temps de parcours pour évaluer la performance des chaînes intermodales de transport a été proposée (Chapelon, 2003). Concernant le concept d’intermodalité, le lecteur pourra se référer utilement à Bozzani (2005), Varlet (2000), Goulet-Bernard et Gollias (1999) ou Menerault et Stransky (1999).

Le choix des heures de référence pour les calculs est rendu difficile par l’abondance de l’offre quotidienne sur les grandes lignes et par la diversité des motifs de déplacement et des activités des usagers. Afin d’accroître la pertinence de l’analyse, les heures de référence doivent cependant s’adapter aux différents types de déplacements pouvant être réalisés au cours de la journée et notamment:

  • distinguer les trajets aller vers la gare principale, généralement effectués le matin (pré-acheminement) et les trajets retour depuis la gare effectués le soir (post-acheminement),
  • montrer les écarts d’accessibilité entre la période de pointe, pendant laquelle l’offre interurbaine TER et autocars est maximale, et la période creuse, caractérisée par des services plus réduits,
  • couvrir les principaux motifs de déplacements ferroviaires grandes lignes, notamment pour affaires et loisirs.

C’est pourquoi, dans le cas de Nîmes, et en accord avec le commanditaire de l’étude, le meilleur temps de parcours a été calculé:

  • pour une heure d’arrivée sur le quai de la gare de Nîmes à 8 heures: trajet aller en période de pointe du matin;
  • pour une heure d’arrivée sur le quai de la gare de Nîmes à 11 heures: trajet aller en période creuse du matin;
  • pour une heure de départ du quai de la gare de Nîmes à 18 heures: trajet retour en fin de période de pointe du soir.

Trois profils types de déplacements différents sont ainsi considérés:

  • les individus prenant un train grande ligne à Nîmes peu après 8 heures (dont le TGV vers Valence et Paris à 8 h 06), pour arriver à destination en milieu ou en fin de matinée: déplacements d’affaires ou de loisirs;
  • les individus sans contrainte d’heure de départ ou d’arrivée voyageant en période creuse et partant de Nîmes après 11 heures (dont le TGV de 11h 02 vers Montpellier, Béziers et Narbonne), notamment pour bénéficier de tarifs réduits: déplacements de loisirs principalement;
  • les individus effectuant un trajet retour en fin d’après-midi et arrivant à Nîmes vers 18 heures (dont le TGV de Montpellier): déplacements d’affaires ou de loisirs.

Ainsi, le matin, le temps total de pré-acheminement correspond à l’intervalle de temps entre l’heure de départ effective de la gare TER ou de l’arrêt d’autocar de la commune d’origine et l’heure de référence (8h ou 11h). Le soir, le temps total de post-acheminement est l’intervalle de temps qui sépare l’heure de référence (18h) de l’heure d’arrivée effective à la gare TER ou à l’arrêt d’autocar de la commune de destination.

Les pré- et post-acheminements TER et autocars sont multimodaux dès lors que l’on intègre les déplacements d’extrémité effectués à pied. Ainsi, concernant le calcul des temps de parcours optimaux, les chaînes de transport mobilisées combinent des déplacements pédestres (déplacements initiaux ou terminaux depuis ou vers les quais), pour lesquels l’accessibilité est évaluée à partir de durées de parcours, et des déplacements en transports collectifs (TER et autocars interurbains munis d’horaires de circulation) pour lesquels l’accessibilité depuis ou vers la gare principale se décline respectivement en termes:

  • d’heure de départ du domicile, sous contrainte d’une heure d’arrivée à ne pas dépasser (8h ou 11h);
  • ou d’heure d’arrivée à destination, sous contrainte d’une heure de départ donnée (18h).

Des principes spécifiques de modélisation à partir des propriétés des graphes ont été développés pour tenir compte de ces deux logiques de calcul (méthode).

L’articulation entre la gare centrale de Nîmes et la gare routière contiguë est modélisée sous la forme de deux arcs pédestres reliant les quais (figures 1 et 2). Le matin, à l’heure d’arrivée des autocars sont ajoutées 5 minutes de marche vers le quai de la gare. Seuls les services qui arrivent avant 7h 55 ou 10h 55 sont explorés. L’algorithme extrait ensuite celui qui offre le départ le plus tardif de la commune d’origine. À 18 heures, on ajoute le trajet pédestre inverse jusqu’à la gare routière (5 minutes). Ainsi, seuls les départs d’autocars postérieurs à 18h 05 sont explorés. L’algorithme recherche celui qui permet de minimiser l’heure d’arrivée dans la commune de destination.

Figure 1. Pré-acheminement TER et autocar vers la gare centrale de Nîmes
Figure 2. Post-acheminement TER et autocar depuis la gare centrale de Nîmes

 

L’échec du pré- et post-acheminement TER et autocars

1. Délimitation de l’aire d’étude

Les principes d’évaluation qui viennent d’être exposés ont été testés sur les transports collectifs interurbains de la région nîmoise. L’aire d’étude, définie conjointement avec le commanditaire, s’étend sur 4 départements (Gard, Vaucluse, Bouches-du-Rhône et Hérault) et regroupe 212 communes localisées dans un rayon d’une quarantaine de kilomètres autour de Nîmes (carte 1). La population concernée représente près de 730 000 personnes (carte 2). 19 communes sont desservies par TER (carte 3). 6 lignes SNCF sont concernées:

  • Cerbère-Montpellier-Avignon
  • Toulouse-Montpellier-Marseille
  • Montpellier-Nîmes-Avignon
  • Nîmes-Alès-Clermont-Ferrand
  • Nîmes-Le Grau-du-Roi
  • Montpellier-Mende-Clermont-Ferrand.
2. 730 000 personnes réparties dans 212 communes

123 communes sont desservies par les 25 lignes régulières d’autocars (carte 3) impliquant 8 sociétés de transport. La base de données utilisée comprend la totalité des horaires TER et autocars d’un jour ouvrable de base, c’est-à-dire ceux d’un mardi ou d’un jeudi ordinaires.

3. Organisation des transports collectifs interurbains dans
la région nîmoise
4. Accessibilité TER et autocar à la gare centrale de Nîmes à 8 heures

Les services TER et autocars sont avant tout conçus pour répondre aux besoins de déplacements de types domicile-travail et domicile-études. Ces déplacements impliquent une arrivée à Nîmes en tout début de matinée (carte 4). Cela explique que 37% des communes desservies disposent d’un temps de pré-acheminement inférieur à une heure pour une arrivée en gare de Nîmes avant 8 heures. Ces communes tirent ainsi bénéfice d’une offre élaborée pour d’autres besoins. Lunel et Caissargues sont à moins de 30 minutes du quai de la gare centrale; Beaucaire, Tarascon, Caveirac, Vauvert ou Saint-Gilles à moins d’une heure. L’accessibilité se structure principalement de manière radio-concentrique. Les communes appartenant à la classe 30-60 minutes s’inscrivent dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres autour de Nîmes. À titre de comparaison les temps de parcours en automobile (comprenant 10 min de connexion entre le parking de la gare et le quai) sont de 35 min pour Lunel et Vauvert, 20 min pour Caissargues, 30 min pour Beaucaire et Saint-Gilles, 35 min pour Tarascon et 25 min pour Caveirac.

Reste que le rôle des TER et des autocars est globalement limité. Pour plus du quart des communes desservies, les horaires de circulation des TER et des autocars interurbains ne permettent pas d’accéder à la gare de Nîmes avant 8 heures. Ces communes sont localisées principalement à l’est et au nord de l’aire d’étude. Uzès, Bagnols-sur-Cèze ou Saint-Chaptes en font partie. La voiture est, pour leurs habitants, l’unique moyen de rabattement. En outre, près de 37% des communes desservies sont à plus d’une heure de la gare de Nîmes: sont concernées des villes importantes comme Alès, Sommières, Arles, Saint-Hippolyte-du-Fort ou La Grande-Motte. Collias, Gallician et la région d’Anduze offrent quant à elles des temps de parcours supérieurs à 1 h 30, temps très largement supérieurs à ceux permis par la voiture, soit respectivement 50 min (Alès), 40 min (Sommières), 35 min (Arles), 60 min (Saint-Hippolyte-du-Fort), 50 min (La Grande-Motte), 40 min (Collias), 42 min (Gallician) et 55 min (Anduze).

5. Accessibilité TER et autocar à la gare centrale de Nîmes à 11 heures
6. Accessibilité TER et autocar depuis la gare centrale de Nîmes
à 18 heures

Ainsi, même sur les créneaux horaires a priori les plus favorables, TER et autocars sont difficilement en mesure de concurrencer la voiture pour répondre aux besoins de pré-acheminement. En effet, la concordance des horaires des différents moyens de transport collectifs relève plus du hasard que d’une réelle coordination. La situation tend encore à se dégrader en heures creuses (carte 5). Les temps de parcours sont particulièrement médiocres.

Si, contrairement à la situation précédente, toutes les communes possèdent un service permettant d’atteindre la gare centrale avant 11 heures, rares sont celles qui offrent des temps de parcours inférieurs à 1h 30. Seules les lignes d’autocars depuis Sommières, Manduel, Bellegarde et les lignes ferroviaires en provenance de Lunel et Beauvoisin le permettent. Bouillargues est la seule commune à moins de 30 minutes de la gare. À l’exception de Bellegarde, toutes les communes appartenant à la classe 30-60 minutes sont localisées à la périphérie de l’agglomération nîmoise. Sommières et Lunel sont à plus d’une heure. Comparativement, la voiture offre des temps d’accès nettement inférieurs: Sommières 40 min, Manduel 20 min, Bellegarde 30 min, Lunel 35 min, Beauvoisin 40 min et Bouillargues 20 min.

Ces résultats médiocres pour les transports collectifs en milieu de matinée sont, là encore, le reflet de stratégies d’organisation des horaires visant à adapter l’offre à la demande de transport. Les transports interurbains régionaux et départementaux répondent à une logique d’organisation favorisant les pointes du matin et du soir. L’émergence de nouveaux rythmes urbains (Bailly, Heurgon, 2001) liée notamment à la déstructuration des horaires de travail, ne crée pas une demande suffisante pour envisager un accroissement significatif des fréquences en heures creuses. En dehors des périodes de pointe, et contrairement aux transports collectifs urbains, les transports interurbains ne sont pas en mesure de maintenir un service de qualité tout au long de la journée.

Ce résultat est fondamental. Il montre clairement la forte variabilité de l’accessibilité selon le moment de la journée et illustre à nouveau l’absence d’alternative à l’automobile pour le rabattement des flux interurbains sur les services ferroviaires grandes lignes. Au-delà des potentialités physiques de correspondance, l’inadéquation des horaires ne permet pas de tirer pleinement partie des plates-formes intermodales d’échanges.

Ce constat d’échec des pratiques intermodales en transports collectifs pour assurer le pré-acheminement des passagers est également valable pour le post-acheminement. Après 18h, 44% des communes ne sont plus accessibles en TER ou en autocar, notamment dans la moitié nord de l’aire d’étude (carte 6). Les services, calés sur les relations domicile-travail, n’ont pas une amplitude suffisante pour capter les personnes arrivant en gare de Nîmes à 18h. Les lignes de Saint-Hippolyte-du-Fort, Anduze, Vallérargues ou Bagnols-sur-Cèze sont notamment dans ce cas.

Ce résultat est d’autant plus décevant que la performance de la chaîne de transports collectifs est réelle et sa capacité à concurrencer la voiture avérée. Il en est pour preuve les bons résultats obtenus par certaines villes à 18 heures, notamment les villes les plus peuplées. Lunel et Arles sont à moins de 30 minutes, Alès, Beaucaire ou Saint-Gilles à moins de 45 minutes, soit des temps proches ou inférieurs à ceux permis par l’automobile (Lunel et Arles 35 min, Alès 45 min, Beaucaire et Saint-Gilles 30 min). Au nord, les communes bien desservies par les lignes TER et autocars vers Alès font figure d’exception. Il en est de même d’Uzès plus à l’est.

Plaidoyer pour une nouvelle logique d’organisation des services

Actuellement à Nîmes, l’automobile est massivement utilisée pour se rendre à la gare. En l’absence d’étude spécifique sur la question, nos propres relevés, réalisés sur plusieurs jours et à différents moments de la journée, montrent la saturation du stationnement (gratuit) dans les zones résidentielles situées au sud de la gare dès le début de matinée, ce qui occasionne de nombreux conflits d’usage avec les riverains. Le parking souterrain de la gare de Nîmes (800 places) accueille entre 20 000 et 25 000 personnes par mois, ce qui représente près de 800 véhicules/jour (source: société gestionnaire du parc de stationnement). S’ajoute à cela la dépose minute, saturée à chaque départ et arrivée de TGV.

À l’heure où le système automobile atteint ses limites dans le centre des grandes agglomérations en raison des coûts externes qu’il engendre, des solutions doivent être trouvées pour rendre plus attractives les alternatives à la voiture. Dans ce contexte, le rôle des transports collectifs est essentiel. Il devient de plus en plus urgent d’intégrer leurs services dans une logique d’organisation qui soit véritablement intermodale, c’est-à-dire basée sur des chaînes complètes de transport et non plus seulement sur des bouts de celles-ci. Or, les résultats précédents ont clairement montré que le rapprochement physique des modes collectifs sur un même site était une condition nécessaire mais non suffisante. C’est l’organisation horaire des services TER et autocars (fréquences, positionnement, amplitude, arrêts desservis…) qui doit être pensée en complémentarité des services TGV et Corail. Il ne s’agit pas de remettre en cause la logique actuelle qui vise à répondre au mieux aux besoins de déplacements quotidiens vers et depuis le lieu de travail ou d’études, mais de compléter l’offre soit en ajustant certains services, soit en créant des services supplémentaires (Chapelon et al., 2005a). La difficulté tient à ce que les correspondances entre les trains grandes lignes et les TER et autocars doivent être facilitées à la fois le matin et le soir pour pouvoir concurrencer efficacement l’automobile. L’inadaptation de l’une de ces deux composantes compromet fortement l’utilisation des transports collectifs à l’aller et au retour.

Les contraintes d’une gare nouvelle en périphérie d’agglomération

Opportunité d’implantation d’une gare TGV à l’Est de Nîmes

Le contournement ferroviaire de l’agglomération nîmoise par le sud pose la question de la pertinence d’une gare TGV nouvelle à Nîmes et de son éventuelle localisation. Ce projet de ligne nouvelle entre dans le cadre du prolongement de la LGV «Méditerranée» en direction de l’Espagne (carte 7). Complément indispensable du projet franco-espagnol «Perpignan-Figueras-Barcelone», il est un maillon essentiel des réseaux de transports rapides en Europe.

7. Le réseau TGV actuel et futur

La branche languedocienne de la LGV Méditerranée est raccordée, en son extrémité sud, à la ligne Tarascon-Nîmes, ce qui permet la desserte de la gare centrale de Nîmes par les TGV en provenance ou à destination de Paris (carte 8). Le raccordement entre les deux lignes s’effectue à hauteur de la commune de Manduel localisée à l’est de Nîmes.

8. Projet de contournement ferroviaire à grande vitesse de Nîmes et de Montpellier

Le débat national sur la question de la localisation des gares TGV est encore très largement ouvert. Les positions varient d’un projet à l’autre. La desserte des centres est un atout majeur du rail par rapport à l’avion, mais cela occasionne des altérations des temps de parcours sur les trajets à longue portée en raison de l’abaissement des vitesses commerciales à l’approche des gares historiques. C’est ce qui a conduit la SNCF à construire des gares nouvelles en périphérie des agglomérations (Mannone, 1997).

Or, dans de nombreux cas, la desserte terminale en transports collectifs vers les centres villes, lorsqu’elle existe, est fortement pénalisante pour les usagers. Depuis Avignon-TGV une navette bus relie toutes les 30 minutes le centre ville en une dizaine de minutes. Si l’on considère qu’il faut environ 10 minutes pour relier à pied le quai TGV à l’arrêt de bus, la connexion avec le centre prend entre 30 et 50 minutes. À Valence, la liaison entre la gare TGV et la gare centrale s’opère en 8 minutes par TER et en 20 minutes par autocar avec une fréquence TER/autocar comprise entre 15 minutes et 1 heure selon le moment de la journée. La connexion entre les deux gares peut ainsi varier de 15 minutes à plus d’une heure. En ce qui concerne Aix-TGV, la liaison avec le centre ville est effectuée en 15 minutes par autocar avec une fréquence variant de 15 à 20 minutes, soit un temps total depuis le quai TGV compris entre 25 et 45 minutes. Pour de nombreux usagers, l’accès vers ou depuis la nouvelle gare TGV représente une part conséquente de leur temps de trajet total.

Actuellement, le projet de contournement de Nîmes ne prévoit pas la création d’une gare nouvelle. L’orientation retenue par Réseau Ferré de France est de maintenir la desserte de la gare actuelle afin de favoriser l’accès au centre-ville. La SNCF apparaît également favorable à cette solution qui permettrait d’attirer une clientèle plus nombreuse. Cependant, des dispositions techniques ont été prises par RFF pour réaliser, si nécessaire, une gare nouvelle à Manduel et une réflexion a été lancée pour en évaluer la pertinence. Les résultats présentés par la suite s’inscrivent dans cette perspective, à la demande de RFF.

Figure 3. Pré-acheminement TER et autocar vers la gare nouvelle de Manduel
Figure 4. Post-acheminement TER et autocar depuis la gare nouvelle de Manduel

Une simulation de l’implantation d’une gare nouvelle à Manduel, à l’intersection de la ligne à grande vitesse et de la ligne Nîmes-Tarascon, intègre la création, sur cette dernière, d’une navette ferroviaire (15 minutes) entre la gare centrale et la gare nouvelle (Chapelon et al., 2005b). Pour la plupart des communes de l’aire d’étude, le pré- et post- acheminement TER ou autocar vers ou depuis la future gare de Manduel implique l’utilisation de la navette, calée sur les départs et arrivées des TGV. Le rabattement sur la gare centrale devrait très largement rester la règle dans ce schéma éventuel pour que les usagers puissent espérer bénéficier d’un pré- et post-acheminement efficace. Les simulations tiennent également compte d’une réorganisation des dessertes et horaires de la ligne TER Avignon-Tarascon-Nîmes et de la ligne d’autocars Nîmes-Redessan-Beaucaire-Tarascon-Avignon. Chaque ligne bénéficie désormais d’un arrêt dans ou devant la gare nouvelle (Chapelon et al., 2005b). Le cheminement pédestre entre l’arrêt d’autocar et le quai TGV est estimé à 5 minutes. Il est de 4 minutes entre le quai TER et le quai TGV (figures 3 et 4). Cependant, on perçoit clairement ici la difficulté de mener une analyse prospective poussée à partir d’indicateurs désagrégés en raison du manque d’informations sur la restructuration des horaires à l’échéance du projet.

De nouvelles contraintes pour le pré- et post-acheminement

En obligeant les utilisateurs des TGV à partir plus tôt de chez eux pour pouvoir effectuer la connexion gare centrale-gare de Manduel en navette, on prend le risque de réduire le nombre de communes desservies. Les résultats de la simulation réalisée montrent clairement qu’à l’exception d’Alès et de la ligne d’Anduze, les habitants des communes d’un grand quart nord-ouest de l’aire d’étude ne pourraient plus, en l’état, accéder à la gare de Manduel et donc aux services TGV avant 8 heures (carte 9). Il s’agit là d’une perte complète d’accessibilité pour Sommières, Caveirac, Quissac ou Saint-Hippolyte-du-Fort.

9. Accessibilité TER et autocar à la future gare de Manduel à 8 heures
10. Accessibilité TER et autocar à la future gare de Manduel à 11 heures

D’autres communes voient leur accessibilité se dégrader par rapport à la situation précédente. C’est le cas de Lunel, Saint-Gilles, Caissargues ou Tarascon. L’heure d’arrivée maximale en gare centrale étant avancée de 8h à 7h 45 (TER) ou 7h 40 (autocar) pour cause d’utilisation de la navette, les services collectifs interurbains arrivant après 7h 45 (ou 7h 40) ne peuvent plus être utilisés. Les services précédents, s’il en existe, arrivent souvent trop tôt en gare centrale, ce qui implique des temps d’attente élevés et un accroissement du temps total de parcours. La concurrence de la voiture est donc accrue. Celle-ci permet un accès à Manduel en 40 minutes (incluant 10 minutes de connexion entre le parking et le quai) depuis Lunel, en 35 minutes depuis Saint-Gilles, en 20 minutes depuis Caissargues et en 30 minutes depuis Tarascon.

La desserte TER et autocar de la gare TGV de Manduel directement à partir de l’axe Nîmes-Tarascon-Avignon ne profite pas aux communes concernées puisque, là aussi, l’écart entre l’arrivée du TER ou de l’autocar et le départ du TGV à 8 heures est trop grand pour faire entrer le temps total de parcours dans la classe 0-30 minutes. C’est notamment le cas de Rodilhan, Redessan, Jonquières, Beaucaire ou Tarascon, alors que toutes sont à moins de 30 minutes de la gare nouvelle en voiture. Ceci plaide en faveur d’une réorganisation complète des horaires de desserte de la gare et notamment d’un accroissement du nombre de TER en provenance d’Avignon s’arrêtant à Manduel TGV.

En milieu de matinée (carte 10), l’effondrement des fréquences des transports collectifs fait que seules deux communes, Caveirac et Saint-Cézaire, sont à moins d’une heure du quai de la gare de Manduel (contre 32 et 27 minutes en voiture) et seules 13 autres sont à moins de 1h 30. Au regard des temps de parcours plus que dissuasifs, le rôle des TER et autocars en pré-acheminement du trafic TGV en milieu de matinée devrait être considéré comme nul si la situation devait rester en l’état.

Comme précédemment, les résultats sont plus que décevants pour les communes connectées directement par autocar et TER à la gare nouvelle. La faiblesse des dessertes TER et autocar de la gare de Manduel en milieu de matinée explique cet état de fait.

11. Accessibilité TER et autocar depuis la future gare de Manduel à 18 heures

À 18 heures, il y a plus de communes inaccessibles que de communes accessibles depuis la gare de Manduel (carte 11). L’utilisation de la navette implique un départ plus tardif depuis la gare centrale. Or, certains services partant entre 18h et 18h 15 (TER) ou 18h 20 (autocars) ne peuvent plus être utilisés. Comme il s’agit souvent des derniers services de la journée, les communes concernées ne peuvent plus être desservies. Pour celles qui le sont encore, l’accessibilité tend à se détériorer par rapport à la situation précédente (desserte de la gare centrale).

Seule Caissargues, proche de Nîmes, est à moins de 30 min. Lunel et Arles sont désormais à plus d’une heure (contre 38 min en voiture), au même titre qu’Uzès (40 min en voiture). Alès est accessible, mais en un temps dissuasif, tout comme La Grande-Motte. Là encore, la desserte TER et autocar de la gare de Manduel est insuffisante pour abaisser les temps totaux de parcours vers les communes de l’axe Nîmes-Tarascon-Avignon. L’adoption du scénario Manduel impliquerait un arrêt quasi systématique dans la gare nouvelle des TER circulant entre Nîmes et Avignon.

L’implantation d’une gare périphérique répond à des intérêts nationaux ou internationaux. Elle permet de limiter les pertes de temps liées à la desserte des gares centrales, qui oblige à emprunter des lignes classiques. Pertes qui altèrent la performance du TGV dans le cadre des trajets à longue distance. Or, localement, cette solution montre clairement ses limites. Elle contraint fortement l’usage des transports collectifs pour le pré- et post-acheminement des trafics TGV (double rupture de charge, temps de parcours dissuasifs…) et rend l’utilisation de la voiture quasiment obligatoire et renforce les nuisances qu’elle occasionne. C’est pourquoi l’implantation d’une gare périphérique devrait être conditionnée par l’existence d’un axe ferroviaire de rabattement vers et depuis la gare centrale, par une mise en cohérence systématique des horaires des TGV et des navettes et par la suppression de la seconde rupture de charge en gare centrale en favorisant autant que faire se peut la continuité des services.

Conclusion

Organisés avant tout pour répondre à la demande de transport dans le cadre des migrations pendulaires, les transports collectifs interurbains ne semblent globalement pas en mesure de jouer un rôle majeur dans le pré- et post-acheminement des grandes lignes ferroviaires, notamment en heures creuses. La faible amplitude horaire des services TER et surtout autocars contraint un nombre élevé d’usagers à utiliser leur voiture et tend à accroître leur dépendance vis-à-vis d’elle (Dupuy, 1999). Le nombre d’usagers concernés devrait être encore plus grand avec une gare nouvelle périphérique en raison de l’allongement du temps total de parcours occasionné par la liaison gare centrale – gare nouvelle.

Ces conclusions reposent sur l’analyse actuelle de l’offre intermodale (absence de desserte en transports collectifs avant ou au-delà d’une certaine heure, temps de parcours en transports collectifs dissuasifs). Elles mériteraient d’être complétées par une enquête fine des pratiques de déplacement lors des parcours interurbains initiaux et terminaux, vers et depuis la gare centrale. En effet, aucune donnée de cette nature n’est disponible à ce jour. Il s’agirait d’une perspective de recherche complémentaire du travail présenté ici.

Pour les communes accessibles, les temps de pré- et post-acheminement varient fortement d’une ligne à l’autre. Mais là encore, le scénario «Manduel» entraîne un effritement des accessibilités par rapport au scénario «gare centrale».

Ces résultats confirment qu’au-delà d’une plate-forme commune aux modes collectifs interurbains (TGV, Corail, TER et autocars), c’est toute l’organisation des services qui doit être pensée de manière complémentaire. Ceci implique prioritairement une mise en cohérence des grilles horaires qui ne pourra se faire sans la forte volonté des différents acteurs concernés (collectivités, exploitants…).

Références bibliographiques

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