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Du risque inondation en France

La gestion du risque inondation

Le (trop) gros ouvrage proposé par Bruno Ledoux(1) s’adresse avant tout — il l’écrit et le répète — aux praticiens des collectivités territoriales et des services déconcentrés de l’État. Ce n’est ni un manuel, ni une thèse, mais il est certain qu’ils y trouveront bien des réponses aux questions que la gestion des inondations ne manquera pas de leur poser; ils y seront également confrontés à l’imprécision des textes de référence, à celle de nombre de données et, plus généralement, aux limites d’une (ou des) politique(s) publique(s) en la matière, comme à celles des méthodes employées. Contrairement à ce que laisse entendre l’auteur, cet ouvrage n’est en rien coupé du monde de la recherche scientifique.

Selon diverses sources, ce sont environ 4,5 millions de personnes qui vivraient en France sur des terres inondables, celles-ci couvrant seulement à peu près 3 à 4% du territoire national. Plus d’une commune sur trois serait concernée au moins partiellement par le risque inondation. L’aléa inondation est de loin le plus fréquent et il représente 80% du coût global des catastrophes naturelles; rapporté à une moyenne annuelle, celui-ci atteint 460 millions d’euros. Cette situation correspond à ce que l’on observe plus généralement en Europe(2).

L’ouvrage est construit autour de deux parties d’importances relatives bien différentes.

  • La première traite de la connaissance du risque inondation au long de quelque 150 pages et 5 chapitres (y compris la synthèse introductive générale);
  • La seconde, reprenant mot pour mot le titre de l’ouvrage, porte sur la gestion du risque et couvre plus de 550 pages et 12 chapitres.

L’exposé se développe à partir de ces chapitres, chacun agrémenté d’une «synthèse introductive», court mais complet résumé pédagogique des pages qui suivent. Chaque chapitre répond à une question ou à un problème particulier, et est conçu comme un dossier en soi d’une dizaine à quelque quatre-vingts pages: autonome, chaque dossier peut être lu et utilisé séparément et comporte ses indications bibliographiques en notes infrapaginales. Si ce système permet en effet de bien sérier les questions, il est toutefois à la source de nombreuses répétitions de références bibliographiques, mais également d’éclaircissements et de développements de l’auteur, le thème traité se laissant difficilement couper en tranches.

L’effort ambitieux réalisé par B. Ledoux, de couvrir l’ensemble de la problématique inondation, depuis l’évaluation du risque jusqu’à son assurance, permet au lecteur de disposer d’une masse d’informations, de définitions, de données, de documents et de discussions. Géographe, spécialiste du risque, il distingue et souligne très justement la différence entre aléa, vulnérabilité et risque, ce qui n’est hélas parfois pas le cas dans nombre de travaux «académiques».

Même si la préoccupation est ancienne (cf. l’extrait de circulaire du ministre de l’Agriculture du milieu du XIXe siècle, mis en exergue au début de l’ouvrage), ce n’est qu’au début des années 1980 qu’une politique systématique de prévention contre les inondations se développe en France, celle-ci passant d’abord par la lutte contre les crues pour se poursuivre actuellement par une gestion globale du risque mettant en avant les enjeux et leur vulnérabilité. Dans ce sens, l’auteur propose d’utiliser à nouveau le vieux terme de «mitigation», largement employé dans le monde anglo-saxon et en espagnol, et récemment mis à la mode au ministère de l’Écologie et du Développement durable.

Cette gestion se fait plus précisément à l’échelle du bassin-versant (loi Risques de juillet 2003), à partir d’une démarche globale où tout ce qui est représentation et construction sociales devrait occuper pleinement sa place. La culture du risque, ou plus souvent son absence en France, illustre ces aspects. Les plans de prévision des risques (PPR) constituent un élément de base de la stratégie globale, notamment pour le développement urbain. Une étroite collaboration entre les divers acteurs concernés, l’État, les collectivités locales, les communes et les particuliers (en tenant compte de leurs comportements) devrait permettre de mettre au point cette stratégie pour laquelle, souligne l’auteur, les sciences humaines ont à jouer tout leur rôle à côté des sciences de la terre et de l'ingénieur. La communication, la diffusion de l’information et la transparence pour les décisions prises (p. ex. pour la cartographie) constituent quelques exemples de cette nécessité.

Cinq types classiques d’inondations sont distingués: inondations de plaine (temps de montée des eaux > 12h00), inondations par crues torrentielles (montée des eaux < 6h00), inondations par ruissellement urbain ou rural, inondations par remontée de nappes phréatiques, inondations marines. Si la distinction entre laves torrentielles et crues torrentielles est parfaitement justifiée, je ne suivrai pas l’auteur qui fait remonter uniquement au début des années 1990 (p. 33) la connaissance des crues torrentielles alors que de nombreuses études sont bien antérieures à cette date (cf. le Riou Bourdou entre autres). Dans les causes de l’inondation, l’auteur montre bien à l’aide d’exemples choisis, le rôle de l’urbanisation, celui des pratiques agricoles et de l’absence d’entretien des lits.

La discussion est bien balancée, ne masquant ni les interrogations ni les incertitudes sur le rôle de la végétation et du milieu physique en général, sur la fréquence et l’intensité des pluies et des crues. Les apports de la cartographie et de l’histoire sont soulignés, donnant à l’examen de terrain un rôle fondamental après les travaux précurseurs de J. Tricart et les études actuelles d’hydrogéomorphologie de J.-L. Ballais et de M. Masson (p. 61).

À côté de l’aléa, B. Ledoux donne à la connaissance des enjeux et à leur vulnérabilité — ce qui caractérise notre époque — toute son importance alors que, jusqu’à présent, ils sont en effet peu ou pas pris en compte, y compris lors des phases préparatoires à l’établissement d’un PPR, voire même à l’occasion de l’établissement d’un plan local d’urbanisme (PLU). Or cette connaissance est fondamentale dans le développement de projets de territoires où la seule cartographie des secteurs inondables est insuffisante. Des exemples éloquents sont exposés où sont listés aussi bien des indicateurs relevant de l’hydraulique, de la gestion de crise ou du bâti, l’accent pouvant être mis selon les cas sur l’une des caractéristiques ou sur l’ensemble, sans oublier le contexte socio-économique régional, non limité ni aux secteurs inondables, ni aux limites communales. Par ailleurs, les méthodes employées, y compris la modélisation hydraulique, sont décrites avec toutes leurs limites.

En revenant sur l’évaluation du risque pour conclure cette première partie (qui s’ouvrait sur le pourquoi et le comment de l’évaluation du risque), l’auteur ne peut éviter des répétitions malgré l’accent mis sur l’information de méthodes pratiquées à l’étranger; un plan plus simple où la connaissance de l’aléa aurait occupé la première place dès le départ, suivie par les enjeux et la vulnérabilité, et précédant les débats sur le risque aurait peut-être permis de réduire le problème, mais il faut bien reconnaître que la complexité de cette problématique de l’inondation ne facilite guère l’exposé.

La seconde partie, près de quatre fois plus grosse, constitue l’essentiel de l’ouvrage. Dans cet ensemble, le chapitre consacré à la planification urbaine et aux démarches territoriales pèse le plus avec ses quelque quatre-vingt pages. L’introduction sur le risque acceptable et le principe de précaution, notamment à partir des propositions du rapport Dauge (1999) bien connu, donne lieu à d’intéressants débats enrichis encore par des exemples étrangers, où les rapports techniciens/scientifiques et politiques tiennent toute leur place, y compris avec l’utilisation du changement climatique global. À ce sujet, le lecteur aurait certainement apprécié que soient cités certains travaux «anciens», à commencer par ceux de E. Le Roy Ladurie, qui se référaient à des oscillations climatiques bien avant les dix dernières années comme l’écrit l’auteur p. 192.

Très justement, et c’est également un gros chapitre, B. Ledoux montre comment l’approche de l’inondation doit être globale, et sa gestion intégrée dans le système d’un bassin-versant (à partir de la directive cadre sur la politique de l’eau, DCE, de 2000) en rapport, si possible, avec l’aménagement du territoire. À côté des collectivités locales, le préfet reste l’acteur clé de la prévention des risques. Les longs développements de l’ouvrage sur les textes, et à partir d’exemples choisis, illustrent les démarches et les engagements des partenaires comme les tergiversations des divers acteurs face à la gestion de la rivière et à l’aménagement de son bassin-versant.

Il est évident, au cours de ces vingt dernières années et au-delà, que la planification urbaine, ou ce qui aurait dû en tenir lieu, a échoué devant l’urbanisation en zone inondable; la production d’inondations destructrices a conduit, depuis les années 1990, à la rédaction de textes législatifs sur la gestion du risque, dispositif complété par la loi Risques de 2003. Or celle-ci ne remet pas en cause une couverture assurance reposant sur le principe de solidarité et n’oblige pas clairement à une réduction de la vulnérabilité. Les comparaisons avec l’étranger montrent que si les dispositifs de prévention existent et sont très élaborés, les difficultés de mise en ?Suvre restent encore très fortes, notamment du côté des collectivités locales.

Dans ce lourd exposé administratif, un point particulier peut être critiqué: c’est l’assertion selon laquelle les sinistrés reprocheraient aux pouvoirs publics de ne pas avoir anticipé les événements exceptionnels, de réagir toujours après les catastrophes et jamais avant (p. 357); les exemples de comportements différents sont pourtant nombreux (cf. les récriminations contre le rôle de barrage du remblai SNCF dans la région de Nîmes). En ce qui concerne les mesures structurelles de protection, on peut également observer que, contrairement à ce qu’écrit l’auteur p. 401, l’évidence de l’endiguement problématique du Mississipi était bien connue avant 1993 (cf. pubications de Hooke des années 1980).

Un long développement bien documenté est justement réservé à la restauration des champs d’expansion des crues, mécanisme nommé ralentissement dynamique (RD); la filiation avec la circulaire de 1856 du ministère de l’Agriculture (en exergue à l’ouvrage) est rappelée, tout comme le double poids des acquisitions foncières et/ou de la conservation d’une végétation de prairie apte à favoriser l’infiltration de l’eau. Soulignons encore que cette préoccupation, loin d’être seulement un phénomène récent, a fait l’objet de tentatives de mise en ?Suvre au moins dans les années 1950 en amont de la ville de Hanoi afin de mieux contrôler les crues du fleuve Rouge.

De manière plus rapide, l’auteur met l’accent sur l’information et la communication, composantes majeures des dispositifs de gestion, où l’apport des sciences sociales est particulièrement précieux. À ce titre (p. 518 et suivantes), il insiste sur l’insuffisance de l’information pouvant être donnée à de futurs acheteurs; après avoir vérifié un certain nombre de sites internet de villes et de villages audois à la suite de la grande crue de 1999, nous avons également constaté que rien ne figurait quant à la probabilité d’inondations, seule étant mentionnée l’abondance et l’assurance de disposer d'eau potable.. Culture et mémoire des inondations se rattachent aussi à l'information: on y apprend que désormais la pose de repères de crues est maintenant correctement gérée.

Les démarches de concertation et de négociation et la gestion de crise, toute la médiation, représentent de forts chapitres à lourde consonance administrative. On en retiendra que tous les acteurs, y compris les élus, sont tout à fait favorables à un maximum de médiation et de concertation, mais à la condition de laisser à l'Etat le soin de prendre les décisions, surtout si elles sont contraignantes (p. 572). On voit apparaître à ce niveau le néologisme proxy (p. 578) venu de l'anglais et déjà très utilisé par nos collègues des sciences de la terre dans le sens de proche («Dans ce cas, la réduction des dommages est un proxy des bénéfices attendus d'une politique de prévention»). De nombreux exemples sont détaillés, donnant lieu à de courtes monographies bien écrites, qui auraient toutefois mérité des illustrations. C'est ainsi qu'est proposé par exemple un «diagnostic territorial orienté inondation».

Au moment de la crise, l'auteur relève l'importance particulière d'une véritable planifications des secours qui rend notre pays particulièrement performant à partir de la loi d'Août 2004. En ce qui concerne la post-crise et la reconstruction, B. Ledoux souligne la richesse du retour d'expérience (REX) pendant lequel sont analysés les épisodes et les décisions pris avant et pendant la crise; les résultats permettent d'améliorer nettement les dispositifs pour l'avenir.

C'est sur l'assurance du risque inondation que se termine l'ouvrage, en remarquant à titre d'exemple, que l'État prend en charge, jusqu'à présent, les dégâts produits sur des cultures pratiquée sur des terres maintenant vulnérables, alors qu'elles n'étaient auparavant pas cultivées parce qu'inondables. Mis en place en 1982, combien de temps tiendra le système mixte reposant sur la solidarité nationale et l'assurance privée? Pour certains, ce système n'inciterait pas des mesures de prévention. Par ailleurs, l'auteur remarque que la loi Risques de 2003 n'a pas posé la question du risque inondation en terme d'enjeu de société.

La longueur de cette analyse laisse entrevoir la richesse du volume, mais aussi sa complexité qui n'a d'égale que celle de la gestion du risque inondation. Il aurait été vraisemblablement possible de produire un ouvrage plus court et plus clair, en évitant nombre de redites. Il aurait été aussi souhaitable d'y trouver plus d'illustrations de cas, bien référencées dans le texte: ce n'est pas en rajoutant, en milieu de volume, un petit cahier de cartes en couleurs jamais référencées, difficilement lisibles et à la légende incomplète ou inexistante que le problème est réglé; mieux vaut alors les regarder sur le web. Quant aux répétitions, elles sont parfois complètes comme si un copier-coller avait été effectué ou oublié. A côté, attirent l'attention nombre d'imperfections qui vont des fautes de frappe à des fautes d'accords, d'orthographe ou de français. Que penser de la date du texte mis en exergue au début du volume: 1856, confirmée p. 462, mais infirmée en conclusion p. 747 (1846)? Des kilomètres deviennent des kilomètres carrés ou l'inverse, même chose pour des mètres carrés ou des mètres cubes. La liste des sigles en début d'ouvrage est incomplète et classée alphabétiquement de manière curieuse; certains sont développés dans le texte avec des erreurs. Il est vrai que ces remarques ont un certain poids pour un volume dont le prix est élevé; les éditions Lavoisier nous avaient habitués autrement.

Je ne voudrais pas terminer cette chronique sur une note négative car j'apprécie vivement le travail présenté et je ne doute pas de son utilité non seulement pour les gestionnaires de risques, mais aussi pour nombre de chercheurs «académiques». Arriver à présenter une telle synthèse représente une charge considérable de travail que B. Ledoux a peut-être un peu précipitée.

Pierre Usselmann

1. LEDOUX Bruno (2006). La Gestion du risque inondation. Paris: Lavoisier, 770 p., ISBN: 2-7430-0829-6

2. Le site CATastrophes NATurelles.net, malheureusement payant, permet de se renseigner avec tous les détails sur l'ensemble des risques naturels.