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Le Géoportail

L’animation provoquée par le lancement officiel du Géoportail est aujourd’hui retombée, ce qui nous permet de pouvoir faire le point sur ses fonctionnalités, annoncées, disponibles et à venir. Il est enfin possible aussi d’y avoir accès dans des conditions convenables de navigation. (voir aussi «Les timidités du Géoportail»)

Les origines

Le géoportail est un projet qui a été lancé dans le cadre de la modernisation de l’administration française, plus particulièrement de l’Agence pour le développement de l’administration électronique, et son programme ADELE (Administration ELEctronique), démarré en 2004. Ce programme a été doté d’un volet «Systèmes d’information géographique», et la décision de s’orienter vers un «géoportail» a été prise en octobre 2005. En comité de pilotage, la volonté de profiter de «l’effet Google Earth» est affichée (1).

Présentant ses vœux à la fonction publique pour l’année 2006, Jacques Chirac a confirmé le lancement «d’un géoportail de l’administration permettant l’accès, sur une base territoriale, à toutes les informations relatives au service public». Le projet à été confié à plusieurs structures administratives, et placé sous la direction de l’Institut géographique national.

Les promesses

Le lancement effectif le 23 juin 2006 dernier a été précédé d’une campagne publicitaire très forte, même pour un projet gouvernemental. Les principaux médias nationaux s’en sont fait l’écho, ainsi que certains sites Internet anglo-saxons, tant la rivalité avec les produits de Google était évidente. La «présentation presse» du géoportail, en février 2006, le voit clairement comme une réponse aux attentes du public en matière de découverte géographique. La barre était donc, pour la cartographie française, placée assez haut.

Dans les faits, on s’aperçoit que les données proposées par l’IGN et consultables à l’été 2006, sont en effet complètement inédites, en accès libre et illimité. On peut donc avoir accès dans cette première étape à:

  • la couverture nationale des plus récentes photographies aériennes,
  • la carte topographique au 1/25 000e,
  • un moteur de recherche des communes.

L’IGN annonce «à partir de 2007», une série de données et de fonctionnalités originales:

  • la représentation du relief en réalité virtuelle et la navigation 3D,
  • des données SIG vectorielles, issues des bases du Référentiel géographique européen et de numérisation des bâtiments de villes entières,
  • la possibilité d’interroger les données et de les télécharger,
  • la possibilité de mettre en ligne des informations.

La lecture du dossier de presse permet de se rendre compte de l’existence d’une disproportion marquée entre les possibilités offertes dès le lancement du site et celles simplement programmées.

Or la communication n’a pas été très claire sur ce point. L’IGN a bâti sa stratégie média autour d’une version interne, expérimentale, intégrant notamment des fonctionnalités de représentation 3D: survol du relief et des bâtiments.

La confusion en a été augmentée d’autant: les informations, les visuels — copies d’écran diffusées au printemps sur différents supports: articles sur des sites Internet professionnels (Interview du Directeur de l’IGN sur le site iBatiment ), grand public, le site même de l’IGN— ont bien sûr retenu l’attention des médias, qui ont négligé de rappeler que la mise en ligne des différentes fonctionnalités du Géoportail serait progressive. Les images «plates» de la version qui serait effectivement disponible pour le grand public au mois de juin 2006 ont été un peu occultées.

En avril, un nouvel élément de communication est largement diffusé sur Internet: une démonstration filmée des possibilités du Géoportail, réalisée par le responsable du projet à l’IGN, Patrick Lebœuf, interviewé par le «blogueur» Jean-Michel Billaut. Ce petit film montre une version apparemment fonctionnelle du Géoportail, deux mois avant son lancement. Les données et les fonctionnalités avancées (3D par exemple) y sont toujours présentées… laissant présager une disponibilité rapide aux usagers.

Le lancement

Le 23 juin 2006 le Géoportail est officiellement présenté au Président de la République (avec une connexion spéciale…) et trois ministres procèdent à son lancement public. L’événement est largement couvert par les médias nationaux, qui diffusent des images préenregistrées données par l’IGN. Les fonctionnalités annoncées les mois précédents ne sont pas disponibles, mais le public n’en sait encore rien. De plus, lorsque les internautes tentent d’accéder au Géoportail, le système prévu se révèle incapable de tenir la charge, et s’effondre immédiatement. Pas moins de treize millions de tentatives de connexion ont été enregistrées en deux jours, alors que le système était prévu pour cinq cent mille connexions par jour.

La déception du public est grande, d’autant plus que la campagne de communication avait été très large, et avait joué sur le classique argument de vente de la photographie aérienne: pouvoir voir sa maison. La page d’accueil du Géoportail, qui affiche un moment de sibyllins messages d’erreur informatique, présente finalement une phrase d’information et des excuses.

Le Géoportail ne sera en fait accessible, difficilement, qu’à partir du 29 juin, et plus régulièrement à partir du 10 juillet, dans une version allégée. Car, pour faire face à la demande de connexion, les images les plus volumineuses (donc les plus précises), sont retirées des serveurs. Elles ne seront réellement disponibles que bien plus tard (alors que l’on peut déjà les consulter sur le site des Pages Jaunes…). Le décalage entre les images promises et la réalité (sans compter les difficultés d'accès) est très grand, et certains médias changent de ton pour passer à la critique.

Le couac est rapidement médiatisé, d’autant plus qu’il fait suite à un problème équivalent connu lors de la mise en ligne des archives télévisuelles de l’Institut national de l’audiovisuel (sans parler des vicissitudes de la déclaration des revenus en ligne quelques années plus tôt…). Le défaut de prévision, de coordination entre administrations, le manque de tests de dimensionnement sont pointés du doigt. On indique, en outre, que pour des raisons de «calendrier politique», le lancement avait été avancé d’une semaine, ce qui aurait fortement perturbé la mise en ligne.

Le Géoportail aujourd’hui

Durant l’été, le Géoportail a été remanié pour l’adapter à une fréquentation réelle estimée à environ cent mille visites par jour en juillet (chiffres Médiamétrie), ce qui en fait le trentième site le plus visité en France.

L’infrastructure informatique a été revue, ainsi que l’interface du site, qui a été optimisée pour réduire la charge. L’affichage des repères de coordonnées a par exemple été supprimé.

Aujourd’hui, le Géoportail est un moyen simple de visualisation de la quasi-intégralité de la couverture aérienne française (DOM-TOM inclus), mais aussi de consultation des différentes échelles de la carte topographique et routière de l’IGN. C’est un instrument très intéressant pour comparer ces deux types d’information, et évoquer les méthodes de généralisation et de simplification cartographiques. Si l’on songe aux procédures et aux coûts nécessaires pour aboutir à une telle visualisation auparavant, le Géoportail est une avancée certaine.

Cependant, le Géoportail actuel reste difficile d’accès et d’utilisation:

  • difficile d’accès car il reste incompatible avec certains types de navigateurs Internet (les utilisateurs de Mac n’ont que récemment pu en profiter, par exemple). Les normes de création et de design Internet utilisées sont assez datées.
  • difficile d’utilisation car l’interface actuelle est assez encombrée. Les pictogrammes, logos et éléments de texte sont très nombreux et dispersés sur toute la surface de la page, certains sont même animés. On trouve aussi certaines incohérences. Par exemple, si l’on se place dans la situation d’un quidam recherchant les vues disponibles sur sa commune, la page d’accueil propose deux solutions: cliquer sur un planisphère (a) ou cliquer sur le bouton «rechercher» (b).
    a) Cliquer sur le planisphère, c’est se lancer dans une série d’opérations d’agrandissement qui supposent un repérage géographique, car l’image par défaut est la photo aérienne… et un clic sur la France métropolitaine vous amène directement sur la région parisienne… (que vous n’identifierez en outre qu’en étant un familier de cette représentation, car le repérage sur la petite carte de localisation n’est pas facile).
    b) Cliquer sur le bouton «Rechercher» de la page d’accueil, grand classique de la navigation Internet, ouvre une nouvelle page de navigateur, contenant un long texte, et qui s’avère être une impasse: «ouverture en octobre 2006». Pourtant cette possibilité existe d’ores et déjà, mais n’est disponible que lorsque l’on a déjà cliqué sur le planisphère de la page d’accueil.

Des éléments de cette page d’accueil mènent vers d’autres impasses: la Polynésie, les îles Saint-Paul et Amsterdam. Enfin, l’utilisation d’une échelle numérique comme indicateur du niveau de zoom est forcément fausse, la taille des pixels variant notamment selon la résolution d’affichage de l’écran d’ordinateur utilisé. L’échelle graphique, discrète, en bas à gauche de l’image, est à la fois plus juste et plus utile au visiteur.

Soutenir la comparaison avec Google Earth et Google Maps reste un objectif un peu lointain, et le «caviardage» de certains sites militaires (cf. la présentation d’Hervé Théry à ce sujet) sur les photos aériennes du Géoportail est toujours aussi inutile… L’IGN déclare d’ailleurs aujourd’hui que le Géoportail n’a pas «vocation à s’affronter avec les produits Google» (2) .

Le Géoportail, projet d’envergure, a donc connu quelques mésaventures de jeunesse, mais demeure un outil inestimable pour la visualisation de l’information géographique française. Les fonctionnalités à venir renforceront son rôle d’intégration et de mise en commun. La réflexion sur le contenu du Géoportail se poursuit, des nouveautés sont prévues pour cet automne: des possibilités de téléchargement (payant) des images, une version adaptée aux assistants personnels et aux téléphones mobiles. On se prend à espérer que les concepts de diffusion, de mise en cohérence, d’accessibilité de l’information géographique se répandent de manière transversale dans les diverses administrations concernées.

Laurent Jégou, Sébastien Le Corre

Notes

1. Présentation du projet en comité de pilotage le 7 décembre 2005: site

2. Le Monde du 16 septembre 2006 : «Les tâtonnements du Net français».