Sommaire du numéro
N°74 (2-2004)

Évolution récente de la population de Russie
(1979-2002): cartographie interactive

Denis Eckert Laurent Jégou 

D. Eckert: chargé de recherche CNRS, CIRUS-Cieu
(Centre Interdisciplinaire d'Études Urbaines),
UMR 5193, Toulouse

Résumés    
L. Jégou: cartographe, Département de Géographie,
Université de Toulouse Le Mirail.
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L'objectif de cet article est double. Tout d'abord faire le point sur les dynamiques de peuplement, par le biais de cartes interactives, présentées ci-dessous et commentées directement en regard de la carte dynamique SVG.

Ensuite, exposer par l'exemple les possibilités de cartographie interactive en ligne offertes par le format SVG, les aspects techniques étant présentés dans un texte distinct, accessible par ce lien: 


Carte 1: Évolution relative de la population, 1989-2002.

Carte 2: Évolution relative de la population, 1979-1989.

Carte 3: Évolution relative de la population, 1979-2002.

Carte 4: Évolution brute de la population, 1989-2002.

Carte 5: Évolution brute de la population, 1979-1989.

Carte 6: Évolution brute de la population, 1979-2002.

Carte 7: Population totale en 2002.

Carte 8: Population totale en 1989.

Carte 9: Population totale en 1979.

Sous l'URSS, la population avait fait l'objet de recensements réguliers depuis la fin des années 1950. Les recensements de 1959, 1970, 1979, 1989 ont ainsi permis de suivre finement l'évolution générale de la population et d'apprécier les dynamiques démographiques très variables des régions. En Russie proprement dite, on a pu mesurer la dépopulation des zones rurales de la Russie centrale, l'urbanisation rapide, le peuplement des fronts pionniers (notamment en Sibérie occidentale).

Population totale aux recensements:

1959
117 240 000
1970
129 941 000
1979
137 410 000
1989
147 022 000
2002
145 182 000

Source: Goskomstat

Jusqu'en 1989, la population totale augmentait régulièrement. La disparition de l'URSS est marquée par un changement démographique aussi spectaculaire que la mutation politique: la population se met à décroître d'année en année, essentiellement du fait d'un décalage important entre la fécondité, faible, et une mortalité très forte, particulièrement élevée chez les hommes adultes. Le pays vieillit sur fond de dégradation très sensible de la situation sanitaire et d'augmentation de la mortalité accidentelle. Il ne faut pas surestimer le rôle des facteurs conjoncturels: la dégradation était entamée bien avant la fin du régime soviétique (Blum 2004). Les années 1990 sont marquées par des mouvements migratoires importants qui bénéficient à la Russie (en provenance des autres ex-républiques soviétiques), mais elles ne compensent pas l'évolution négative du solde naturel.

Dans ce contexte de bouleversements, la nouvelle Fédération de Russie a grand mal à organiser un recensement. Selon les recommandations internationales et dans la continuité de la pratique soviétique, il aurait fallu réaliser cette opération en 1999 ou 2000. La crise budgétaire chronique et la désorganisation du pouvoir central expliquent sans doute le retard de plusieurs années (Mespoulet 2004). Au final, le premier recensement organisé par la Russie a eu lieu à l'automne 2002, treize ans donc après le dernier recensement soviétique (Blum et Gousseff 2003).

Ce délai a fait que, pendant une longue décennie de turbulences sociales, démographiques et politiques, ce sont les registres de l'état-civil ainsi que ceux servant à la déclaration de résidence qui ont été utilisés pour mesurer année par année l'évolution de la population. Ces techniques d'estimation ont, si l'on excepte 1994 où fut mené un micro-recensement, été la seule source des annuaires de population publiés régulièrement depuis 1993. Ces annuaires, d'une grande précision géographique en apparence, offraient des chiffres de population par district rural, par ville et par région: on avait un tableau de la population à une échelle très détaillée. Mais ces données se sont avérées de plus en plus approximatives à mesure que l'on s'éloignait du recensement de 1989. Les registres de population résidente sont sujet à caution, car dans de nombreuses grandes villes soumises à autorisation de résidence (propiska) les migrants récents ne se déclarent pas.

Le recensement de 2002 est donc un événement. Certes, la publication complète des résultats est lente: elle s'étale sur toute l'année 2004. Mais les données provisoires publiées en 2003 permettent déjà d'analyser l'ampleur des modifications survenues dans la distribution de la population par régions.

On n'est certes pas totalement surpris, à la première lecture des tableaux de données, (tableau de données 2002) par certains résultats, assez bien anticipés par la statistique courante des années précédentes. La diminution rapide de la population dans les régions périphériques de l'Extrême-Orient ou du Grand Nord par exemple, évidente sur le terrain, est confirmée. L'ampleur de l'évolution laisse néanmoins parfois rêveur: le Tchoukotka a perdu les deux-tiers de sa population en treize ans alors, que, comme nombre de régions sibériennes, sa population était auparavant en croissance!

Le recensement a, à côté de la confirmation de ces évolutions connues, apporté son lot de surprises. La plus spectaculaire est la correction des chiffres de population de la ville de Moscou. La population de la capitale était estimée jusque là à 8,5 millions (8,546 en 2001). Les agents recenseurs de 2002 ont compté 10 360 000 habitants, soit un écart de 20% ! Ce résultat, qui est en contradiction avec les données recueillies selon des procédures strictement administratives (registres de police en particulier), a suscité de fortes critiques, du fait des conditions dans lesquelles les données ont été recueillies. Ce résultat est jugé invraisemblable par certains démographes (S. Zakharov p.ex). La population de Moscou ayant certainement augmenté, mais pas dans les proportions indiquées par le recensement.

Un autre résultat exceptionnel a attiré l'attention: la population de la République de Tchétchénie aurait légèrement augmenté depuis 1989, malgré presque dix ans d'état de guerre ponctués de deux campagnes militaires (1994 et 1999), accompagnées de multiples destructions et pertes civiles, mais avant tout d'une très forte émigration. La publication de ces résultats obtenus dans une république interdite à la presse et quadrillée par les troupes des Ministères de force ont suscité un scepticisme généralisé en Russie. L'exode de réfugiés est en effet évident aussi bien dans les républiques voisines (surtout en Ingouchie) que dans des zones beaucoup plus éloignées, notamment à Moscou. Comme dans d'autres domaines (les résultats électoraux par exemple), les informations démographiques relatives à la Tchétchénie ne peuvent être valablement prises en compte. Les chercheurs V. Tichkov et V. Stépanov ont récemment évoqué ces cas et d'autres éléments litigieux du recensement, tout en reconnaissant sa validité globale (Тишков, Степанов 2004).

Nous faisons dans cet article le point sur l'évolution de la population des régions de Russie en utilisant les résultats des trois derniers recensements (1979, 1989, 2002). Il faut en effet resituer les dernières évolutions dans un temps un peu plus long que le dernier intervalle intercensitaire, afin de mieux mesurer l'ampleur des mutations qui affectent le peuplement du territoire russe. Pour approfondir la réflexion sur les causes de ces mouvements, on pourra se référer, outre la bibliographie, aux multiples informations démographiques disponibles sur les sites proposés dans la section Références.