N°104

Un espace: l’Eufrasie

Le géohistorien a pour habitude d’ausculter le passé des sociétés humaines dans leurs relations à l’espace, aux milieux et aux territoires: il aime également se laisser aller à retracer l’archéologie des découpages spatiaux pour mettre en lumière l’historicité d’une géographie que certains voudraient éternelle; plus rarement se tourne-t-il vers l’avenir. Pourtant, dans L’Invention des continents, Christian Grataloup termine son étude sur le constat de l’obsolescence du découpage actuel du monde et prend le risque, comme il le dit lui-même, d’esquisser une nouvelle carte (Grataloup, 2009). C’est également à cet exercice prescriptif que je voudrais ici m’essayer en plaidant l’utilisation d’un nom nouveau pour désigner l’ensemble constitué de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie: l’Eufrasie.

On le sait, le découpage géographique du monde résulte d’une histoire pluriséculaire remontant au-delà du milieu du Ier millénaire avant J.-C. Hérodote lui-même, qui, dans son Histoire, est pourtant le premier à témoigner de cette épistémè, fait l’aveu de son ignorance: il ne sait pas qui a divisé l’écoumène en trois parties, ni pourquoi. Quant à savoir comment, les géographes grecs se sont disputés pendant des siècles, disputes dont se faisait l’écho Ératosthène (IIIe s. av. J.-C.) dans un ouvrage aujourd’hui perdu, mais dont Strabon laisse entr’apercevoir des pans à travers ses commentaires:

«Il traite ensuite des continents, évoquant les multiples discussions qu’ils ont fait naître: c’est tantôt par les fleuves qu’on les divise, Nil et Tanaïs, tantôt par les isthmes, celui qui sépare la Caspienne du Pont et celui qui va de la mer Rouge à l’Ecregma, ce qui en fait des péninsules. Pour sa part, il ne voit pas, dit-il, à quel résultat pratique peut aboutir pareille recherche: ce ne sont que des discussions pour passer le temps dans le style de Démocrite.» (Géographie, I, 4,7).

1. La division antique de l’écoumène, reprise par les clercs de la chrétienté latine

Finalement le consensus s’est fait sur trois zones: la Méditerranée, le Don et le Nil; c’est le découpage qu’Orose (Ve s.) et Isidore de Séville (VIe s.) ont transmis aux clercs de la Chrétienté latine. Comme le rappelait François de Belleforest dans son Histoire universelle, parue en 1572, «suivant la sentence d’Orose, nos prédécesseurs ont figuré le monde terrestre être entouré par l’Océan en figure trigonaire ou triangulaire, et de quoi ils ont fait trois parties, à savoir l’Afrique, l'Asie et l'Europe». Le monde était ternaire; le schéma convenait bien, notamment au regard de la tradition biblique relative aux trois fils de Noé, père de l’humanité post-diluvienne (fig. 1).

Cependant, lorsque les Espagnols, sur le chemin occidental des Indes, accostèrent sur une terre inconnue, il fallut adapter ce schéma. Deux possibilités se présentèrent alors: soit on ajoutait une quatrième partie, soit on ajoutait un nouveau continent, lui-même divisé en deux ou trois parties (encadré).

Les deux propositions ont en réalité coexisté. Le fait principal était la divergence majeure entre les deux mondes: l’un avait un nom, l’Amérique, l’autre paradoxalement n’en avait pas — c’est précisément le problème qui nous préoccupe ici.

La synthèse dressée par Guillaume Sanson (1633-1703), géographe du roi, est assez éclairante sur les pratiques toponymiques, savantes et populaires, à la fin du XVIIe siècle:

«Entre les quatre continents, il y en a deux de connus, et deux dont l’on n’a que peu de connaissance.
Le premier et le plus grand des deux continents est celui que nous appelons, le Nôtre, l’Ancien, le Supérieur, Oriental et Ptolémaïque.
Le Nôtre parce que nous y demeurons. Ancien de ce qu’il nous est connu par l’histoire depuis plusieurs milliers d’années. Supérieur suivant l’opinion du vulgaire qui le croit occuper la partie supérieure du globe. Oriental, à cause que dans la carte terrestre en deux hémisphères on le met à l’orient du premier méridien. Et enfin Ptolémaïque du nom de celui de tous les anciens qui en a donné la description la plus exacte.
Nous appelons le deuxième continent connu, l’Autre, Nouveau, Inférieur, Occidental, Amérique, et Indes occidentales.

L’Autre à cause que sur la surface du globe, il est séparé de notre continent par la mer. Nouveau parce qu’il ne nous est bien connu que depuis près de deux siècles. Inférieur suivant l’opinion du vulgaire qui le croit au-dessous du nôtre. Occidental de ce qu’il se décrit à l’occident du premier méridien dans la carte du globe terrestre. Amérique du nom d’un des premiers navigateurs qui l’ont découvert. Et enfin le vulgaire lui donne le nom d’Indes occidentales: Indes à cause de ses richesses égales à celles des véritables Indes; et occidentales de ce qu’elles sont à l’occident de l’Europe.» (Sanson, 1681, p. 220-221) [1].

Soulignons que la notion de «continent» était alors réservée pour désigner «des parties de la terre de fort grande étendue» (Sanson, 1693). Ce n’est que progressivement que l’usage du mot a évolué vers son sens actuel et que l’Europe, autrefois simple partie, est devenue continent. Ainsi, encore au début du XIXe siècle, lorsque Conrad Malte-Brun «invente» l’Océanie, il concevait celle-ci comme étant la cinquième partie du monde: «Au milieu du plus vaste bassin aquatique s’élève la Nouvelle-Hollande, que plusieurs géographes appellent le troisième continent, quoiqu’il paraisse plus exact de n’y voir que la plus grande des terres auxquelles restera le nom d’îles, et qu’on nomme archipel lorsqu’elles se trouvent groupées ensemble en nombre considérable. Le vaste archipel qui s’étend à l’est de l’ancien continent, et au centre duquel la Nouvelle-Hollande éclate comme une reine au milieu de son cortège, semble mériter d’être considéré comme une nouvelle partie du monde, que nous désignerons sous le nom d’Océanique.» (Malte-Brun, 1812). Quelques décennies plus tard, elle devint un continent, au risque du non-sens.

Par ailleurs, à la fin du XIXe siècle, on commença à regrouper l’Europe et l’Asie en un seul continent: l’Eurasie. Le nom apparaît pour la première fois sous la plume d’Eduard Suess dans Das Antlitz der Erde (1885-1888). Eduard Suess est un géologue et l’Eurasie est d’abord un concept géologique servant à expliquer la formation du globe. Mais le nom est repris assez rapidement et dans des domaines très différents [2]. Il n’est pas impossible que l’expansion russe à travers les steppes asiatiques au cours du XIXe siècle et la construction du Transsibérien aient pu jouer un rôle dans cet subsumption toponymique. Cependant, on peut penser que cette fusion se fit au détriment de l’Afrique, continent déjà jugé quasi-insulaire au début du siècle et que le percement du canal de Suez en 1868-1869 finit de couper du reste de «notre» continent.

Cette mise à l’écart de l’Afrique n’était pas nouvelle. Les géographes latins faisaient traditionnellement dériver le nom Africus d’un roi Afer. Au début du XVIe siècle, Léon l’Africain introduisit une nouvelle étymologie, issue de l’arabe: faraca, couper.

«L’Afrique en langage arabesque est appelée Ifrichia, de ce mot, Faraca, qui veut autant à dire en langage des Arabes, comme en vulgaire, “divisée”. Et il y a deux opinions pourquoi elle est ainsi appelée: l’une pour ce que cette partie de la terre est séparée de l’Europe par la Méditerranée, et de l’Asie par le fleuve du Nil; l’autre que tel nom serait descendu d’Ifricus, roi de l’heureuse Arabie, lequel fut le premier qui s’y achemina pour y habiter. Celui-ci aurait été défait en bataille, et déchassé des rois d’Assyrie, perdit tout moyen de retourner en son royaume, par quoi, avec ce peu qui lui restait de ses gens, à grand’hâte, passa le Nil; puis dressant son chemin du côté du Ponant, ne fit aucun séjour que premièrement il ne fût parvenu jusques auprès de Carthage. Et de là est venu que les Arabes par toute l’Afrique ne tiennent quasi religion que celle de Carthage, et pour toute l’Afrique comprennent seulement la partie occidentale.» (Léon l’Africain, 1556, p. 20-21)

Au début du XIXe siècle, Conrad Malte-Brun s’y réfère encore. L’Afrique est le continent sans histoire, en marge du monde. Carl Ritter et Élisée Reclus trouvaient une sorte de perfection dans «la forme si régulière du continent africain» (Reclus, 1885), mais une perfection en réalité bien négative: «l’Afrique se présente comme un tronc sans branches» (Ritter, 1835). Par sa forme et ses contours, l’Afrique apparaissait comme un continent isolé du reste des civilisations d’Europe et d’Asie. Autrement dit, sa géographie privait l’Afrique d’histoire.

«L’Afrique, entourée de tous côtés par la mer, se présente comme un tout isolé, comme une forme de terre complètement séparée des autres et n’existant pour ainsi dire que par elle-même.» (Ritter, 1835)

«Aucun accident aux contours de l’Afrique, qui offre un développement de côtes moindre que toute autre partie du monde; cette disposition éloigne le plus possible l’intérieur des terres du contact vivifiant de l’Océan. Toute individualité de pays ou de nation a été ainsi refusée à cette masse uniforme dont toutes les extrémités également distantes du centre sont soumises à peu près à la même chaleur tropicale.» (Léon l’Africain, 1556)

Immense île, le continent africain serait, en somme, le continent par excellence, une terre massive et compacte, sans îles ni presqu’îles; un espace fermé sur lui-même, déconnecté du reste de l’Eufrasie. Il faudra attendre le XVIe siècle pour assister à un «déblocage du continent» (Mauny, 1965). Et encore! Jusqu’au XIXe siècle, l’Afrique est davantage contournée qu’explorée. Jacques Weulersse ne voit qu’«une étroite lisière d’humanité sur ses bords»:

«L’Afrique, défendue comme nous venons de le voir, était bien par excellence le “continent obstacle”, qui n’attire point, mais repousse. Aussi, par une singulière ironie du sort, ce pays aux côtes inhospitalières ne vécut longtemps que par elles. L’Afrique fut essentiellement, jusqu’à nos jours, un “continent périphérique”, ne rayonnant point par lui-même, mais empruntant lumière et vie aux continents voisins; la lisière Nord-Africaine refléta le monde méditerranéen; la lisière Est-Africaine, le monde arabe et indo-persan; comme plus tard les lisières Ouest-Africaine et Sud-Africaine s’animèrent au contact de nos grandes civilisations mercantiles d’Europe; l’intérieur restait immobile et comme mort à l’humanité.» (Weulersse, 1934)

Fernand Braudel, qui, lui, ne prenait en considération que l’Afrique Noire, enfermée «entre deux Océans et deux déserts», avait une autre métaphore, qu’il affectionnait d’ailleurs particulièrement:

«L’Afrique noire, en somme, s’est ouverte mal et tardivement sur le monde extérieur. Ce serait tout de même une erreur d’imaginer que ses portes et fenêtres ont été verrouillées à longueur de siècles. La nature qui, ici, commande de façon impérative n’est cependant jamais seule à dicter ses ordres: l’histoire a souvent eu son mot à dire.» (Braudel, 1963)

2. Les États «des deux rives»: les sutures d’une discontinuité mineure

Or cette histoire, celle de ses barrières qui n’en ont pas toujours été, a été, est toujours peut-être, difficile à écrire. En 1986, Jean-Pierre Chauveau interpellait la communauté des historiens: «Une histoire maritime africaine est-elle possible?». Interrogation reprise en 1989 par Jean Devisse dans un article intitulé «Les Africains, la mer et les historiens». Plus récemment, dans un court ouvrage en forme de manifeste, Catherine Coquery-Vidrovitch s’efforce de sortir l’Afrique de sa place de périphérie de l’histoire de la mondialisation pour la remettre au centre (Coquery-Vidrovitch, 2011).

Il serait temps aujourd’hui d’en finir avec la vision géohistorique d’une Afrique en marge de l’Eurasie. L’Afrique appartient à l’Ancien Monde, comme l’Europe et l’Asie. Constatons d’abord l’absence de rupture spatiale. Le détroit de Gibraltar ne sépare le rocher de Gibraltar de la côte marocaine que d’une dizaine de kilomètres; la Manche est plus large. Les empires almohade et almoravide n’ont eu cure de cette distance pour se déployer en Andalousie et au Maghreb. La mer Méditerranée dans son ensemble? — L’Empire romain l’a faite sienne, Mare Nostrum. Plus à l’est, le Sinaï fut certes le désert de la désolation pour les Hébreux qui y errèrent, mais pendant des siècles la Palestine fut l’exutoire de l’impérialisme nilotique. Quant à la mer Rouge, elle n’était considérée par les géographes grecs que comme un golfe, au même titre que le golfe Persique, une intrusion maritime au milieu du territoire arabe. Au IIIe siècle, le royaume éthiopien d’Aksoum s’étend sur le Sud de l’Égypte, sur la Tihama (plaine littorale de l’Arabie occidentale), sur le Yémen. Les détroits d’Ormuz et de Bab al-Mandel ne sont que des trouées dans le littoral de l’océan Indien, qu’il faudrait au contraire appréhender davantage dans sa continuité, de l’Inde jusqu’au Mozambique, et presque dans sa «méditerranéité». Ainsi, au XVIIIe siècle, le sultanat d’Oman étendit sa domination sur la côte méridionale de l’Arabie et le long de l’Afrique orientale; en 1840, Zanzibar en devint même la capitale. Plus au sud, pensons aux sultans shiraziens qui s’installèrent dans l’archipel des Comores au XVIe siècle. Enfin, parmi ces «États des deux rives», une place particulière peut être accordée à l’Empire omeyyade, qui s’est étendu des Pyrénées au Pamir et dont la capitale, Damas, se situait à la confluence de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique (fig. 2).

3. Le système eufrasien aux XIIIe et XIVe siècles (d’après Beaujard 2007)

L’analyse de Janet Abu-Lughod (1989) sur le système-monde entre 1250 et 1350, c’est-à-dire avant l’expansion européenne, a fait date, mais elle en reste en grande partie à l’Eurasie, peinant à intégrer l’Afrique, à l’exception de l’Égypte, qui était un des pôles majeurs de ce système. Il faudrait pourtant évoquer les relations anciennes entre la côte orientale de l’Afrique et les rivages persique, indien, javanais de l’Asie, lorsque ce ne fut pas avec la lointaine Chine (Mollat, 1981). C’est donc toute la question des interactions à l’intérieur de l’Ancien Monde qui se pose ici. Jerry H. Bentley parle de «l’intégration de l’hémisphère oriental» (Bentley, 2009), se référant à un découpage apparu au XVIIe siècle et très prisé aux États-Unis; Philippe Beaujard utilise concomitamment deux expressions strictement synonymes: «système-monde afro-eurasien» et «système-monde eurasien et africain», révélant ainsi la difficulté linguistique à nommer en un seul mot ce qu’il se refuse à diviser (Beaujard, 2007, 2009). Pour prendre l’exemple de la période des XIIIe et XIVe siècles, il distingue à l’intérieur du système-monde qu’on qualifiera ici d’eufrasien, quatre sous-systèmes qui en constituent les «cœurs»: la Chine des Yuan, le Nord de l’Inde au temps du sultanat de Delhi, les plateaux irano-anatolien unifiés par l’Empire ilkhanide, l’Égypte des Ayyoubides (fig. 3). C’est cet espace qu’Ibn Battūta, né à Tanger en 1304 et mort à Marrakech en 1369, parcourt entre 1325 et 1354, suivant les réseaux tissés par les marchands musulmans et les pèlerins (fig. 4).

4. Ibn Battūta, un voyageur de l’Eufrasie (entre 1325 et 1354)

Au final, la seule vraie césure majeure reste le Sahara (fig. 5). Certes, les échanges transsahariens sont anciens, mais on ne saurait minimiser cette distance et l’aridité de cet espace. Cependant, elle est à l’intérieur même de l’Afrique, et non entre l’Afrique et l’Europe. La grande balafre désertique qui se poursuit en fait à travers toute l’Asie, la «diagonale aride de l’Ancien Monde», est ici plus large, plus marquée, ainsi que la décrivait Élisée Reclus:

«À une grande distance au sud de cette zone de landes, de prairies, de steppes et de toundras qui se prolonge en un demi-cercle irrégulier de France en Sibérie, se recourbe parallèlement une autre zone de plaines et de plateaux déserts d’un aspect encore plus monotone et formidable. Cette zone, traversée par la ligne idéale que Jean Reynaud a nommée l’équateur de contraction, comprend le grand Sahara d’Afrique, les déserts de l’Arabie, de la Perse et le Gobi de la Mongolie chinoise. Elle est en grande partie dépourvue d’eau et de végétation, et, dans son ensemble, est bien moins accessible à l’homme que les solitudes du nord. Non seulement elle est plus fortement chauffée par les rayons solaires, mais aussi elle reçoit beaucoup moins d’humidité, à cause des chaînes de montagnes qui, sur plusieurs points, arrêtent les pluies au passage, et surtout à cause de la situation qu’elle occupe en diagonale dans la partie la plus massive des deux plus vastes continents, l’Afrique et l’Asie.» (Reclus, 1868)

5. Densités de population en 2005: la diagonale aride apparaît très bien en travers de l’Eufrasie

Pour beaucoup, la véritable Afrique, l’Afrique Noire, est au sud, elle est subsaharienne. Pour exemple, c’est le découpage adopté par les auteurs de la Géographie universelle publiée au cours des années 1990. L’Afrique du Nord est traitée dans le même tome que le Moyen-Orient et le Monde indien; quant à l’Afrique subsaharienne, elle occupe un tome spécifique.

6. L’Eufrasie

L’idée d’un Ancien Monde intégré n’est pas nouvelle. Christian Grataloup a proposé les noms d’«Eurasafrique» ou d’«Eurafrasie» (Grataloup, 2010), Patrick Boucheron celui d’«Afriqueurasie» (Boucheron, 2009). Le nom d’«Eufrasie» a pour lui la simplicité d’une crase courte, l’euphonie et l’évocation d’un prénom, dans la lignée de la tradition antique. Je l’avais forgé au cours de mon travail de doctorat (Capdepuy, 2010); depuis, j’ai découvert que l’écrivain Boris Gamaleya avait également créé le nom d’Eufrasie pour désigner la Réunion, cette île surgie dans l’histoire au croisement de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie, mais il lui préférait le terme d’«Afrasie», par rejet de l’Europe et de la colonisation [3]. Ce n’est qu’un nom, mais il peut aider à formuler autrement et à simplifier certaines locutions comme «système afro-eurasien», où l’Afrique reste toujours à distance. La géohistoire cède ici le pas à la métagéographie: sur quels fondements géographiques voulons-nous écrire cette histoire globale, à la fois mondiale, réticulaire et polycentrique?

Il n’est pas possible d’être prescriptif. Certains jugeront même que l’expression «Ancien Monde» fait très bien l’affaire. N’est-elle pas cependant terriblement eurocentrée à une époque où il nous faut inventer une nouvelle manière d’écrire l’histoire (Grataloup, 2011)? Le nom d’«Eufrasie» est une réponse de géographe à cette question. L’Europe, l’Afrique et l’Asie ne font qu’un. Hérodote s’interrogeait déjà: «Pourquoi diviser en trois la terre qui n’est qu’une?» Ne divisons plus inutilement cette masse continentale, réintégrons l’Afrique dans l’Eurasie et appelons ça l’Eufrasie!

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Le début de la citation fait référence aux continents Arctique et Austral, qui ne sont alors que des hypothèses, comme le souligne l'auteur.
Le mot apparaît pour la première fois en français dans le compte rendu de Fr. Priem, Annales de géographie, Tome 1, n° 2, p. 234. Il est ensuite très régulièrement utilisé.
Boris Gamaleya, article du journal Témoignages, 28 novembre 1978, cité par Jean-François Sam-Long, De l'élégie à la Créolie, Saint-Denis: éd. Udir. 1989, p. 193 sq.