N°107

Structure des navettes domicile-travail et polarités secondaires autour de Montpellier

La périurbanisation et, plus généralement, l’allongement des trajets domicile-travail (Talbot, 2001) a progressivement mais radicalement modifié la forme des villes. Entre la fin des années 1960 et le début des années 1980 selon les régions (Baccaïni, Sémécurbe, 2009), les agglomérations ont éclaté pour devenir des «archipels urbains» (Beaucire, Emangard, 1995): une multitude d’îlots à dominante résidentielle gravitant autour de continents qui concentrent la majorité de l’emploi et des services. Cette opposition entre un pôle attracteur (l’agglomération) et des espaces polarisés est mobilisée pour étudier les dynamiques (Le Jeannic, 1997) et les caractéristiques spatiales (Drevelle, 2011) du phénomène de périurbanisation à l’échelle nationale. Elle a aussi servi de base à la représentation graphique du phénomène: les cartes des aires urbaines (1999 puis 2010) produites par l’INSEE [1].

Toutefois, l’éclatement de l’habitat depuis les années 1970 a été suivi du desserrement des emplois. Ainsi, la croissance de l’emploi dans les communes de banlieue et les couronnes monopolarisées (Beaucire, Chalonge, 2011) remet partiellement en cause le modèle monocentrique, et ouvre la voie à la recherche de polarités secondaires dans les espaces sous influence urbaine. Ces dynamiques modifient le schéma classique des navettes domicile-travail et imposent de nouveaux modes de représentation pouvant rendre compte des relations complexes entre communes.

En étudiant les navettes domicile-travail structurantes autour de Montpellier, ce travail poursuit donc deux objectifs. Il s’agit, grâce à l’utilisation de méthodes issues de l’analyse des réseaux sociaux, de mettre en évidence l’existence de polarités secondaires dans les espaces dominés par une grande agglomération et de comprendre l’organisation spatiale des navettes domicile-travail dans les espaces multipolarisés. L’association de cartes et de graphes permet de proposer une visualisation graphique de ces polarisations multiples.

Repérer et hiérarchiser les flux structurants

Avantages et limites de l’analyse en aire urbaine

Il existe plusieurs approches pour comprendre la structuration spatiale des navettes domicile-travail. Celle de l’INSEE consiste à définir les pôles au préalable (selon leur nombre d’emplois) et à construire la couronne périurbaine autour de ces pôles. Cette méthode permet de créer une typologie simple du territoire français, partagé entre pôles d’emplois, espaces monopolarisés ou multipolarisés et espaces ruraux. Si elle permet une partition claire du territoire, la classification de l’INSEE est fortement dépendante des choix méthodologiques dans la définition des pôles et des couronnes. La notion de pôle urbain, fondée sur une définition morphologique, englobe des périmètres beaucoup plus larges que le «cœur économique» de l’agglomération. Des communes ayant une structure périurbaine (peu de services et d’emplois, habitat individuel…) sont incluses dans ces pôles urbains. Cette définition morphologique entraîne une croissance régulière du périmètre des pôles urbains, sans que cela soit forcément en lien avec l’évolution de la structure de l’emploi. L’idée émerge alors de recentrer la notion de pôle urbain autour de son «cœur économique», de définir des «agglomérations restreintes» (Wiel, 1999).

La classification «commune monopolarisée» de l’INSEE tend à présenter une structure binaire centre/périphérie simple quand bien même les définitions induisent l’existence de polarités secondaires dans les couronnes périurbaines. En effet, selon la définition de l’INSEE, une commune monopolarisée est une commune où «au moins 40% de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans des communes attirées par celui-ci». De plus, la progression de l’emploi dans les couronnes monopolarisées depuis 1982 (Beaucire, Chalonge, 2011) laisse présager l’émergence de polarités secondaires dans ces espaces périurbains monopolarisés.

Faire émerger les polarités à partir de l’analyse des flux majeurs et du blockmodeling

Notre approche de l’analyse de la structure spatiale des navettes domicile-travail est aussi dépendante d’un parti pris méthodologique fort: celui de ne pas définir les pôles a priori mais de les faire émerger au cours de l’analyse. Notre méthode est fondée sur la théorie des graphes et l’analyse des réseaux sociaux. Il faut donc voir les navettes domicile-travail comme un graphe où les nœuds sont les communes et les liens sont les flux de navetteurs entre les communes.

1. Découpage en aires urbaines 2010 autour de Montpellier

L’objectif de faire apparaître les structures de polarisation à partir du graphe brut sans choisir les pôles au préalable nous a conduits à utiliser le blockmodeling (ou équivalence structurale). Cette méthode de partitionnement de graphe, développée par des sociologues (Lorrain, White, 1971), permet de regrouper les «sommets d’un graphe en se basant uniquement sur les propriétés relationnelles des différents acteurs» (Beauguitte, 2011). En d’autres termes, il s’agit de regrouper les différentes communes au sein de blocs (groupes) en se basant sur leurs relations mutuelles (envoi de navetteurs vers les mêmes communes et réception de navetteurs en provenance des mêmes communes). Il est alors possible de créer une typologie des communes et de comprendre les relations hiérarchiques entre les différents blocs. La spatialisation des résultats permet d’analyser les logiques territoriales des navettes domicile-travail.

Quelques travaux récents ont montré l’intérêt de la méthode, qui reste peu utilisée en géographie, notamment pour étudier les rivalités territoriales des gangs à Los Angeles (Radil, 2010) ou pour créer une typologie des pays à partir de leurs flux commerciaux (Grasland, 2011). De plus, le blockmodeling fonctionne selon une logique assez similaire à la matrice de Bertin, mieux connue des géographes.

2. Importance des effets de bord dans la zone d’étude
Les cartes présentées ne tiennent pas compte des polarités extérieures et ne peuvent donc pas être interprétées comme une représentation de l’organisation régionale de la multipolarisation (surtout dans la frange est de la zone d’étude). Une analyse à l’échelle régionale aurait en effet vraisemblablement fait ressortir les pôles d’Avignon, Marseille, Narbonne…

Notre méthode d’analyse se basant uniquement sur les propriétés relationnelles des nœuds et ne prenant pas en compte la valeur des liens (un flux d’une personne a le même poids qu’un flux de 1000 personnes), nous avons sélectionné les liens les plus structurants. Pour cela, à partir du fichier détaillé de mobilités professionnelles du recensement de 2007, nous avons simplifié les relations entre communes en ne retenant que les trois flux majeurs sortants supérieurs à 20 travailleurs. L’analyse par flux majeurs est fréquemment utilisée en géographie pour mettre en évidence des structures hiérarchiques (Cattan, 2004). Nous avons choisi de retenir les trois flux majeurs en nous basant sur l’hypothèse d’une structuration selon la théorie des lieux centraux: une commune pourrait ainsi être sous l’influence d’un pôle principal, d’un pôle intermédiaire et d’un pôle de proximité. Le seuil de 20 navetteurs permet de limiter le biais statistique (l’incertitude est très importante sur les très petits flux) tout en gardant la majorité de l’information. En effet, dans la zone d’étude (fig. 1), les flux supérieurs à 20 navetteurs concernent près de 80% des navetteurs (tableau 1).

Le parti pris d’utiliser les flux majeurs minimise de facto les liens nombreux de la ville-centre vers la couronne (Beaucire, Chalonge, 2011) mais facilite l’apparition de polarités secondaires et la compréhension de la hiérarchie entre groupes de communes. Ainsi, après sélection des flux majeurs, notre graphe ne représente plus que 58% du total des navetteurs. Cependant, il conserve les flux les plus structurants puisque ces 58% de navetteurs sont concentrés sur seulement 8% de liens.

La zone d’étude retenue se compose de l’ensemble des communes situées à moins de 65 km du centre de Montpellier, afin d’y inclure les pôles de Nîmes et de Béziers. Toutefois notre analyse n’a pas vocation à étudier la multipolarisation à l’échelle régionale à cause d’importants «effets de bordure». Bien qu’il existe des flux sortants de la zone d’étude (environ 21 500 sortants sur les 258 000 navettes internes à notre secteur) principalement vers l’est (Bouches-du-Rhône et Vaucluse), ils n’ont que peu d’incidences sur l’organisation de la multipolarisation autour de Montpellier. Le périmètre de 65 km est suffisamment large pour neutraliser l’effet autour de la ville (fig. 2). Au total 501 communes (nœuds) et 849 liens ont été retenus pour notre analyse. Certaines communes ne possèdent pas de flux sortants supérieurs à 20 personnes et se présentent donc sous forme de nœud isolé. Tout au long de l’article, nous appellerons ce graphe «graphe de départ» (fig. 3).

3. Graphe de départ: navettes domicile-travail à 65 km autour de Montpelllier (3 flux dominants supérieurs à 20 personnes)
Nombre de nœuds = 501; Nombre de liens = 849. Taille des noeuds proportionnelle au degré entrant.
Les noeuds ayant un label sont ceux avec un in-degree supérieur ou égal à 10.
Algorithme de visualisation: ForceAtlas 2 (la place des noeuds dans le graphe est indépendant de leur position géographique)

Ce graphe permet de faire apparaître les nœuds attractifs, c’est-à-dire ceux ayant un fort degré entrant (in-degree). Il confirme la puissance du pôle de Montpellier tout en mettant en évidence des structures assez complexes de multipolarisation. En effet, le nœud de Montpellier partage son attraction avec d’autres nœuds du graphe. L’observation de ce «graphe de départ» apporte certains éléments de réponse à la question de la multipolarisation des navettes domicile-travail autour de Montpellier en identifiant des pôles «concurrents» (Nîmes, St-Jean-de-Védas, Clermont-l’Hérault…). Elle permet aussi de justifier la démarche de blockmodeling qui met en évidence une structure simplifiée de ces navettes et de ces concurrences entre pôles.

4. Structure spatiale des navettes domicile-travail autour de Montpellier
Cluster Dendogram des 21 premiers blocs et regroupement en 6 blocs

Pour faire ressortir des groupes de communes à partir de ce graphe, la méthode de blockmodeling utilisée est basée sur un processus de classification ascendante hiérarchique (CAH). Elle permet donc de couper l’arbre hiérarchique (dendrogramme) à différents niveaux pour faire apparaître des structures de plus en plus détaillées (fig. 4 ; [2]).

Mise en évidence des aires d’influence des grands pôles (1e et 2e partitions)

Une première partition du graphe en six blocs permet d’identifier les principaux pôles de la zone (Montpellier, Nîmes et un système «Béziers, Agde, Pézenas») et les couronnes polarisées par Montpellier et Nîmes (fig. 5). Les couronnes délimitées par le blockmodeling sont beaucoup plus étendues que les couronnes périurbaines définies par l’INSEE en 2010 (Tailhades, 2011) (fig. 1). Elles intègrent, en effet, des zones multipolarisées mais aussi des aires urbaines entières (Sète, Lunel, Alès). On peut donc voir, dans cette première partition, la délimitation des aires d’influence des deux pôles principaux de la zone d’étude et leur domination sur un certain nombre de pôles secondaires. Il est aussi intéressant de noter que, si Nîmes polarise une couronne étendue, la ville est elle-même attirée par Montpellier. Il ressort donc de ce premier découpage l’affirmation de la position dominante de Montpellier sur la région.

Un certain nombre de communes apparaissent comme non polarisées par Nîmes ou par Montpellier. Il s’agit à la fois de communes trop petites pour avoir un flux sortant supérieur à 20 personnes et de systèmes de polarité qui ne sont pas assez importants pour apparaître à ce niveau de regroupement.

5. Structure des navettes domicile-travail à 65 km autour de Montpellier, partition en 6 blocs

Même si la structure mise en évidence est très simple: deux pôles principaux, deux couronnes et un «système urbain», elle explique une partie non négligeable des navettes domicile-travail. En effet, 58% des flux du graphe de départ sont expliqués par cette partition et 33%, soit un tiers, de l’ensemble des navettes de la zone (y compris celles qui font partie d’un flux inférieur à 20 personnes) fonctionnent selon ce schéma. En supprimant l’orientation du graphe issu de la partition en six blocs (afin de pouvoir rendre compte des navettes du pôle vers la couronne), nous expliquons 42% du total des navettes.

Si la partition en six blocs a mis en évidence les pôles principaux et leur aire d’influence, la mise en évidence de structures multipolarisées nécessite d’augmenter le nombre de blocs. Nous avons donc coupé le dendrogramme plus bas pour obtenir une partition en 21 blocs (fig. 4 ; [3]). Cette partition fait apparaître de nouveaux pôles et de nouvelles couronnes à l’intérieur des deux aires d’influence identifiées par la partition en six blocs. Ainsi, à l’intérieur de l’aire d’influence de Montpellier, des polarités s’organisent autour de Lunel, de Clermont-l’Hérault et de Gignac. De plus, certaines communes contigües à Montpellier se distinguent et préfigurent les polarités secondaires de l’agglomération de Montpellier. Dans la couronne de Nîmes, des aires d’attractions apparaissent autour d’Alès et d’Uzes. Le système «Béziers, Agde, Pézenas» se dote lui aussi d’une couronne.

Certains blocs identifiés dans cette partition laissent présager l’émergence d’autres polarités qui apparaissent à un niveau plus fin de découpage. C’est le cas du bloc «communes polarisées par Montpellier et St-Jean-de-Védas» qui est la base d’un système organisé autour de Sètes et Frontignan (séparation des pôles et de la couronne à partir de la partition en 31 blocs) et du bloc «communes faiblement attirées par Béziers» qui devient un système organisé autour de Bédarieux et de Lamalou-les-Bains à partir du découpage en 35 blocs.

6. Structure des navettes domicile-travail à 65 km autour de Montpellier, partition en 21 blocs

Globalement, la carte obtenue à l’issue de la partition en 21 blocs (fig. 6) a une structure assez équivalente à celle des aires urbaines 2010 de l’INSEE (fig. 1). Ce résultat tend à valider la robustesse de la méthode. Toutefois, là où l’INSEE présente des couronnes monopolarisées, notre analyse de blockmodeling présente des polarités secondaires à l’intérieur des aires d’influence de Montpellier et de Nîmes. De plus, le blockmodeling permet d’identifier clairement les pôles d’emplois de la zone d’étude, là où la délimitation des unités urbaines agrège dans un même ensemble des pôles économiques et des communes à vocation résidentielle. Ce second découpage permet de mettre en évidence une structure multipolarisée des navettes domicile-travail, partagée entre deux pôles principaux et plusieurs pôles intermédiaires.

Si la cartographie des blocs est intéressante pour spatialiser les couronnes des différents pôles, l’intérêt majeur du blockmodeling réside dans la lecture des graphes simplifiés qui présentent les relations entre les blocs (fig. 7). Ces graphes sont une représentation synthétique du graphe de départ et permettent de rendre plus visibles les relations entre les communes. Ainsi, alors que le graphe de départ compte 501 nœuds et 849 liens, le graphe simplifié issu du blockmodeling en 21 blocs permet de représenter 80% des flux du graphe de départ et près de la moitié de l’ensemble des flux de navetteurs en seulement 21 nœuds et 36 liens.

7. Graphes simplifiés de la structure des navettes domicile-travail à 65 km autour de Montpellier

L’intensité de la relation entre deux blocs est caractérisée par une densité de liens. Une relation forte suppose qu’au moins deux tiers des liens entre le bloc d’émission et le bloc de réception soient complétés, on parle alors de densité de liens (nombre de liens effectifs/nombre de liens possibles) supérieure à 0,66. En d’autres termes, la quasi-totalité des communes du bloc émetteur doit envoyer un flux vers presque toutes les communes du bloc récepteur. Des relations d’intensité plus faible peuvent aussi être mises en évidence lorsque la densité des liens est comprise entre 0,33 et 0,66.

Cette hiérarchisation des liens par l’intensité des relations est intéressante pour mieux comprendre la structure des navettes et en particulier les logiques de multipolarisation. Ainsi Lunel et sa couronne, bien que faisant partie de la couronne de Montpellier (telle que définie par la première partition), sont aussi partiellement polarisées par Nîmes: en effet, la densité de lien entre les blocs «couronne du Lunel» et «Nîmes» est de 0,39. Cela veut dire que 39% des communes de la couronne de Lunel ont un flux structurant en direction de Nîmes.

On observe aussi des phénomènes de multipolarisation en périphérie de la zone d’étude: au sein de la couronne de Nîmes, les communes définies par la partition en 21 blocs comme «couronne d’Alès» ne sont que partiellement polarisées par le pôle de Nîmes. La densité de lien entre les blocs «couronne d’Alès» et «Nîmes» étant de 0,54. De même, les communes de la couronne de «Béziers, Adge, Pézenas» sont en fait fortement polarisées par Béziers et partiellement par Pézenas et Adge. La densité de liens entre les blocs «couronne de Béziers, Adge, Pézenas» et «Béziers» est de 0,85 alors qu’elle est de 0,37 avec le bloc «Pézenas, Agde». Toutefois, ces structures sont à observer avec prudence dans la mesure où le blockmodeling ne prend pas en compte les pôles extérieurs à la zone d’étude (Marseille, Avignon, Narbonne…). Ainsi, Arles apparaît comme monopolarisées par Nîmes, alors que 20% de ces actifs travaillent en dehors de la zone d’étude.

La seconde partition doit donc être vue comme une étape méthodologique intermédiaire pour comprendre la structure des navettes autour de Montpellier et non comme un panorama de l’organisation régionale des flux domicile-travail.

Polarités multiples à l’intérieur de la couronne de Montpellier (3e partition)

La partition en 21 blocs a permis d’identifier l’existence de polarités secondaires à l’intérieur des couronnes de Nîmes et de Montpellier. Une partition plus fine permet de mieux comprendre ces polarités secondaires. Cependant, la multiplication du nombre de blocs tend à rendre la lecture de l’information de plus en plus complexe. La troisième partition du graphe permet d’identifier 60 blocs. Nous avons utilisé cette partition pour étudier les polarités multiples à l’intérieur de la couronne de Montpellier (définie lors de la première partition). Les résultats présentés sont donc focalisés sur les relations entre blocs à l’intérieur de cette couronne de Montpellier (soit 24 blocs et 33 liens).

Le graphe simplifié de cette troisième partition (fig. 8) met en évidence deux types de polarités secondaires. Le premier type, «polarités secondaires de l’agglomération de Montpellier», fait apparaître quatre pôles adjacents à la commune de Montpellier: Castelnau-le-Lez, Lattes, Mauguio et St-Jean-de-Védas. Ces quatre pôles, qui possèdent des aires d’attraction distinctes, ont des relations fortes les uns avec les autres.

8. Graphe simplifié de la structure des navettes domicile-travail dans la couronne de Montpellier.
Blockmodeling (équivalence structurale) basé sur les trois flux dominants sortants (supérieur à 20) des communes situées à moins de 65 km de Montpellier. Agrégation des blocs selon la méthode de Ward.
Les communes appartenant à la couronne de Montpellier ont été définies grâce à la partition du graphe en six blocs. Le graphe simplifié présenté ici est issu de la partition du graphe en 60 blocs en agrandissant sur les relations des blocs de la couronne de Montpellier. Les relations avec Montpellier ne sont pas représentées car tous les blocs de la couronne de Montpellier ont un lien fort avec Montpellier.

Le second type de polarités, «polarités secondaires de la couronne de Montpellier», regroupe les pôles plus éloignés de la commune de Montpellier. Certains pôles étaient déjà identifiés lors de la seconde partition (Clermont, Gignac, Lunel) alors que d’autres sont révélés par la partition en 60 blocs (Ganges, St-Mathieu-de-Treviers, Sète, Frontignan, «littoral est»). Ces pôles possèdent des couronnes propres ou partagées et sont relativement indépendants les uns des autres, à l’exception des diptyques Sète/Frontignan et Clermont/Gignac. Certaines couronnes subissent l’influence de polarités extérieures à l’aire de Montpellier: comme nous l’avons vu précédemment la couronne de Lunel est partiellement polarisée par Nîmes, quant à la couronne de Ganges, elle est partiellement polarisée par la commune du Vigan.

La cartographie des blocs permet de comprendre comment s’organisent les polarités multiples dans l’aire d’influence de Montpellier (fig. 9). On observe ainsi que les systèmes secondaires de polarisation prennent la forme d’auréoles plus ou moins complètes pour les « pôles de la couronne ». L’aspect non fini des couronnes de Gignac et de St-Mathieu-de-Treviers est grandement dû au seuil minimal de 20 personnes pour les flux retenus. Un abaissement de ce seuil aurait très probablement eu comme effet l’intégration de communes classées «monopolarisées par Montpellier» à ces couronnes.

À l’inverse, en ce qui concerne les polarités secondaires de l’agglomération de Montpellier, la structure spatiale de la multipolarisation répond davantage à une logique de cadran. St-Jean-de-Védas polarise la partie ouest de la proche couronne de Montpellier. Castelnau-le-Lez (et dans une moindre mesure Mauguio) polarise le cadran nord-est. Quand à Lattes, elle polarise le littoral, au sud, même si son influence s’étend à quelques communes au nord.

9. Structure des navettes domicile-travail dans la couronne de Montpellier

La mise en évidence de polarités secondaires à l’intérieur des aires d’influence des grands pôles interroge sur les degrés d’autonomie et d’indépendance de ces polarités secondaires vis-à-vis du pôle principal. La mesure de «l’indice d’attractivité» (encadré 1) de ces pôles met en évidence le rôle de la distance à Montpellier dans leur autonomie (tableau 2). Il apparaît ainsi que les pôles secondaires de la couronne sont plus indépendants que les pôles secondaires de l’agglomération. Au sein même des pôles de la couronne de Montpellier, on distingue clairement une différence d’autonomie selon que le pôle est situé à l’intérieur ou à l’extérieur de l’aire urbaine de Montpellier. Ainsi, l’indice d’attractivité des quatre pôles situés à l’extérieur de l’aire urbaine est compris entre 35% et 49% ce qui suggère une relative autonomie. Avec un indice de 19%, les deux autres pôles secondaires de la couronne, situés à l’intérieur de l’aire urbaine, sont beaucoup moins indépendants. Dans leur couronne respective, pour un navetteur se rendant à St-Mathieu-de-Tréviers ou à Gignac, quatre se rendent à Montpellier. De plus, ces pôles sont bien moins importants en termes de quantité de navettes entrantes que les pôles extérieurs à l’aire urbaine.

En ce qui concerne les pôles secondaires de l’agglomération de Montpellier, on observe un niveau d’autonomie bien plus faible que pour les pôles secondaires de la couronne, malgré la relative importance des flux captés. Ainsi, l’indice d’attractivité de ces pôles est compris entre 8 et 12%. Cela veut dire qu’au sein de leur aire d’attraction respective, lorsqu’un pôle capte un navetteur, entre 8 (pour Lattes et Castelnau) et 11 navetteurs (pour St-Jean-de-Védas et Mauguio) se rendent à Montpellier. La multipolarisation du proche périurbain de Montpellier est certes avérée, mais la ville centre reste relativement hégémonique.

La partition en 60 blocs permet d’expliquer une grande partie des flux structurants à l’intérieur de la couronne de Montpellier. En effet, près de deux tiers des flux générés par la couronne sont expliqués par la partition en 60 blocs. Le tiers restant (43 000 navettes) est le fait de petits flux entre communes voisines ou proches, répondant au modèle gravitaire. Ces petits flux ne peuvent pas ressortir de l’analyse par blockmodeling, il serait toutefois intéressant de savoir dans quelle mesure ils possèdent la même orientation que les flux principaux, même s’ils ne sont pas à destination des pôles identifiés.

Conclusion

L’utilisation du blockmodeling présente plusieurs avantages pour comprendre et représenter la structure des navettes domicile-travail. Premièrement, la relative proximité entre la carte des aires urbaines de l’INSEE et celle de la partition en 21 blocs tend à valider la robustesse de la méthode. Les diverses analyses réalisées à partir des résultats du blockmodeling confirment la tendance à la multipolarisation des espaces périurbains: des pôles secondaires apparaissent clairement en banlieue et en bordure des couronnes périurbaines. Toutefois, dans le cas de Montpellier, la prédominance de la ville centre sur la couronne reste forte.

En plus de confirmer des tendances déjà observées dans d’autres travaux de recherche, l’utilisation du blockmodeling en géographie apporte une véritable plus value en ce qui concerne la représentation graphique des navettes domicile-travail. L’association du graphe simplifié, montrant la structure des navettes, et de la cartographie des blocs permet de représenter l’organisation spatiale des navettes domicile-travail de façon plus lisible qu’une carte des flux. De plus, la possibilité offerte par la méthode de choisir le nombre de blocs, en coupant l’arbre de la CAH plus ou moins haut, permet d’appréhender la structure des navettes à plusieurs échelles: de la délimitation des aires d’influence des grands pôles à l’identification de la multi-polarisation des couronnes périurbaines.

Des applications directes de cette méthode sont envisageables dans le domaine des transports, notamment pour définir des lignes interurbaines structurantes et organiser un système de rabattement autour d’elles (Drevelle, 2012). Une des limites de la méthode, comme de la majorité des méthodes de représentation de flux (Bahoken, 2011), réside dans la simplification du graphe, laissant de côté les petits flux. Or ces flux, qui en masse sont minoritaires, représentent une part très importante du nombre de relations. Le blockmodeling permet de représenter les principales lignes de désir des habitants de la zone d’étude, la poursuite des recherches sur l’utilisation de cette méthode en géographie permettra de montrer dans quelles mesures cette méthode pourrait rendre compte de flux moins importants et plus diffus.

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Dans la suite de l'article, la notion d'aire urbaine se référera à la définition de 2010.
Ces analyses ont été réalisées avec le logiciel [R]. Le package statnet (Mark et al., 2003) a été utilisé pour le blockmodeling.
Les numéros des blocs représentés sur le dendrogrammes (de 1 à 21) correspondent aux numéros des blocs donnés en sortie du logiciel [R]. Ces numéros sont repris et définis dans le graphe simplifié de la seconde partition (fig. 5).