N°113

Atlas de la Jordanie

L’Institut français du Proche-Orient (IFPO) a publié en 2013 un Atlas de la Jordanie sous la direction de Myriam Ababsa, fruit d’une riche collaboration avec le Centre royal jordanien de géographie et plusieurs institutions scientifiques et étatiques jordaniennes. Cette collaboration a permis de rassembler de très nombreuses données statistiques et cartographiques dont l’équipe, composée de quarante-huit chercheurs, a su tirer profit en les associant à une bibliographie complète mettant notamment l’accent sur la littérature grise.

Cet ouvrage trilingue (anglais, arabe et français) est le résultat de six années de recherche. Il propose une analyse spatiale des dynamiques sociales, économiques et politiques en œuvre dans le pays, en faisant le pari d’associer données physiques, historiques et études contemporaines.

L’atlas est ainsi divisé en trois parties. La première est consacrée à la description des caractéristiques physiques de la Jordanie, point de départ essentiel à la compréhension des dynamiques spatiales du pays et du poids des contraintes physiques sur l’organisation et l’aménagement de son territoire. La seconde partie balaie toute l’histoire du territoire transjordanien, des premières traces de peuplement au paléolithique jusqu’à la fin des années 1980. La dernière partie s’intéresse aux dynamiques contemporaines en abordant les aspects démographiques, économiques, sociaux et urbains, permettant de bien saisir les profondes transformations à l’œuvre au sein de la société et du territoire jordaniens. En guise de conclusion, le dernier chapitre donne à voir les enjeux et les grands défis que la Jordanie aura à relever au XXIe siècle: l’accès et la gestion durable de la ressource en eau, la question de la dépendance énergétique et des transports.

L’introduction générale de l’atlas, et surtout, les encarts introduisant chacun des chapitres donnent au lecteur les clés de compréhension des sujets traités et sont tout à fait convaincants.

La partie historique (chapitres 2 à 5), passionnante et très réussie, permet de saisir en quelques pages et grâce à des études de cas particulièrement séduisantes les étapes-clés de l’histoire du pays et de la construction de l’État jordanien. On soulignera en particulier l’étude du site hellénistique d’Iraq el Amir par Jean-François Salles au chapitre 2, qui propose, en plus de la qualité du texte, une belle iconographie (p. 137 à 141).

Le chapitre 4 consacré aux époques islamique et ottomane témoigne de l’ancienneté du développement urbain et agricole du territoire  jordanien et montre l’apparition des premières infrastructures de transport à l’échelle de la région proche-orientale. Le territoire jordanien joue, en effet, un rôle pivot dès le XIIe siècle dans les circulations intra-régionales à la fois commerciales et religieuses grâce au contrôle de la route du pèlerinage vers le Hijaz, d’abord par la route puis par la voie ferrée construite sous l’Empire ottoman dans les premières années du XXe siècle. La Transjordanie tisse alors des liens privilégiés avec le territoire palestinien grâce à l’essor des échanges commerciaux notamment. Ces relations économiques entraînent, dès cette époque, l’installation dans les villes jordaniennes de marchands palestiniens qui constituent alors l’élite économique locale, une réalité que l’on trouve amplifiée au XXe siècle avec l’unification des deux rives du Jourdain entre 1948 et 1988 et ses conséquences déterminantes sur les secteurs de l’économie et de la démographie. On donnera à titre d’exemple frappant la croissance d’Amman, dont la population est passée de 60 000 habitants en 1948 à 330 000 en 1967, pour atteindre les 2,3 millions d’habitants en 2009. Ce chapitre détaille également les différentes étapes de la division administrative du territoire proche-oriental impulsée par l’Empire ottoman, ainsi que la mise en place d’une gestion territoriale par des pouvoirs locaux, jetant les bases de l’organisation du territoire national jordanien.

Le dernier chapitre consacré à l’histoire contemporaine de la Jordanie (chapitre 5) constitue enfin un éclairage essentiel sur les grandes problématiques qui traversent le royaume jusqu’au XXIe siècle: construction nationale, question tribale, intégration des différentes vagues de réfugiés, palestiniens mais aussi irakiens, travailleurs émigrés jordaniens et migrations de travail asiatiques et égyptiennes dans le pays.

Il fait ainsi la transition avec le chapitre 6, qui introduit la dernière partie de l’ouvrage, consacrée aux grands enjeux contemporains. Ce dernier chapitre porte sur la démographie jordanienne et analyse très finement les grandes tendances sociétales et sociologiques à l’œuvre. On appréciera là encore son iconographie, très riche en cartes, qui figurent parmi les plus réussies de l’ouvrage, en graphiques, et où les photographies trouvent une place pertinente.

Le chapitre 7 fait ensuite le point de façon claire et synthétique sur la structure de l’économie jordanienne. La mise au point préliminaire sur l’évolution des politiques économiques depuis les années 1970, en lien avec la mondialisation, est particulièrement bienvenue. Le chapitre repose sur des données statistiques très nombreuses et pertinentes qui dressent le portrait de l’économie jordanienne par secteurs d’activités (services, tourisme mais aussi tourisme médical et religieux, agriculture, etc.). Il insiste sur le caractère rentier de cette économie, qui repose très largement sur les remises des travailleurs jordaniens émigrés dans le Golfe (20% du PIB en 2006 et 12% en 2010) et sur l’aide internationale, en particulier saoudienne et américaine.

Le chapitre 8 traite de la question des inégalités sociales, de la pauvreté et des politiques publiques en faveur de l’emploi. On retiendra tout particulièrement les questions de mesure de la pauvreté d’une part et de la classe moyenne d’autre part. En effet, elles constituent de réels enjeux politiques dans la mesure où elles participent à la définition des grandes politiques publiques menées par le royaume hachémite depuis la fin des années 1980. Les cartes accompagnant ce chapitre permettent de faire ressortir très efficacement les territoires les plus touchés par la pauvreté et le chômage. On notera également la partie très complète de Jalal al Husseini sur la structure du marché du travail jordanien et les caractéristiques du chômage qui touche en particulier les jeunes et les femmes (p. 354 à 368).

Enfin, le chapitre 9 aborde la question de la gouvernance locale et des politiques urbaines qui visent à maîtriser la croissance des villes jordaniennes et à développer les services publics. On remarquera l’analyse exhaustive de la conurbation Amman-Ruseifa-Zarqa proposée par Myriam Ababsa. L’auteur y aborde des thématiques nombreuses comme les inégalités sociospatiales, la question de la croissance urbaine, celles de l’activisme urbain, de la participation locale ou encore des politiques d’aménagement urbain (p. 384 à 402). Cette étude de cas s’appuie sur une cartographie très détaillée prenant en compte de très nombreux indicateurs: nationalités et caractéristiques socioprofessionnelles de la population, mais aussi densité du bâti et types de logements. Les cartes venant illustrer cette partie témoignent bien de la richesse des statistiques mises à disposition des auteurs par les institutions jordaniennes.

Malgré toute la richesse et l’exhaustivité de cet ouvrage, on relèvera le fait que certaines photographies sont malheureusement sous-exploitées. Certaines sont en effet peu ou pas commentées, et toutes n’illustrent pas toujours le propos à côté duquel elles sont placées. L’utilisation d’images d’archives datant de l’époque ottomane apporte en revanche une vraie valeur ajoutée à l’ouvrage.

On regrettera aussi que la très riche et très complète cartographie voie son efficacité légèrement atténuée par un manque d’harmonisation des cartes entre elles, au moins à l’échelle des chapitres. Une meilleure homogénéité aurait pu en rendre la lecture plus agréable.

Ces critiques demeurent néanmoins des détails. L’Atlas de la Jordanie constitue, en effet, une référence dans les études consacrées au royaume hachémite. Les objectifs annoncés sont atteints. Cet atlas permet en effet de saisir sur le temps long les dynamiques sociales, économiques et politiques de ce pays marqué par sa relative stabilité au sein d'une région tourmentée, et constitue une véritable déclaration d'amour de la directrice de l'ouvrage à son pays d'adoption.

Référence de l’ouvrage

ABABSA M., dir. (2013). Atlas of Jordan. History, Territories and Society. Beyrouth: Presses de l’IFPO, 485 p. ISBN: 978-2-35159-378-3 (consultable sur IFpo)