N°114

Étude chrono-chorématique: Bordeaux

Dossier Chrono-chorématique urbaine

Introduction

La modélisation de la trajectoire urbaine de Bordeaux s'est inscrite dans le prolongement de la réalisation de l'Atlas historique de Bordeaux (Lavaud, Jean-Courret, 2009) qui a fourni le socle des données historiques et cartographiques. Première ville agglomération à être traitée par l'atelier chrono-chorématique, sa nature de ville de fleuve majeur et de ville-tête de grande taille a conduit à nourrir le modèle élaboré par l'atelier du CNAU en 2010 (Boissavit-Camus et al., 2012) de nouveaux outils, tant théoriques que sémiologiques [1].

La trajectoire urbaine est restituée par les douze phases temporelles (colonne gauche du poster) qui ont été identifiées. Lui succède l’analyse de la confrontation des chorotypes bordelais aux épisodes théoriques (colonne de droite).

Descriptif des phases [2]

Site: autour d’un estuaire post-würmien (fig. 1 et 2)

1. Phase - 1. Schémas de situation et de site

À 20 km en amont de la confluence entre Garonne et Dordogne, le site de Bordeaux est caractérisé par le contexte estuarien du plus vaste ensemble fluvio-maritime d’Europe où les marées remontent loin en amont (marnage de 5 m à Bordeaux). La forte dissymétrie de dénivelé entre les deux rives du fleuve (faille tectonique) est accusée par la présence d’un large méandre: en rive gauche, des terrasses graveleuses de faible relief et une berge bordée de palus et de marais; en rive droite, des coteaux calcaires dominant des bancs alluviaux, des îles et des palus dus à la transgression flandrienne (maximum vers - 200).

La vallée glaciaire où coule le système affluent Peugue-Devèze (bassin versant de 25 km2) est remodelée et partiellement colmatée par des alluvions (à partir de - 5 800). Devèze et Peugue y ont conflué en un réseau en tresses constituant une lagune puis un seul estey [3] à l’approche de l’embouchure. Ce réseau draine les abords du méandre à l’extrémité de la terrasse qui forme un promontoire proche du fleuve, dernier site sec au contact de la Garonne jusqu’à l’embouchure de l’estuaire.

2. Rapports estey-Garonne

Vers - 500, l’établissement «proto-urbain» (phase 0) (fig. 3)

3. Phase 0. L'établissement «proto-urbain»: modèle spécifique
4. Phase 1. La ville ouverte: modèle spécifique et chorotype

Sur le promontoire, une forme d’agglomération (emprise estimée à 4 ou 5 ha) est attestée dès le début du VIe siècle avant J.-C. Déjà bien structuré (continuité stratigraphique, permanence des axes, densité de l’habitat), ce «premier» établissement – d’où l’appellation «proto-urbain» – ne peut être assimilé à un oppidum (ni relief remarquable, ni fortification). Strabon le qualifie tardivement d’emporium.

Vers 150, la ville ouverte (phase 1) (fig. 4)

La transformation de l’agglomération semble commencer par un afflux de population (Bituriges Vivisques) et se fait en deux temps: colonisation des marges de palus vers - 40 avant J.-C., puis création d’une ville «à la romaine» (quadrillage viaire à l’origine des grands axes urbains actuels) au début du Ier siècle après J.-C. Planifiée sur 140 ha de part et d’autre de la Devèze, cette «flaque» se densifie rapidement; cet état perdure jusque vers 150-200. En périphérie, des quartiers artisanaux, en rapport avec l’arrière-port, et des nécropoles.

Au nord-ouest, un ensemble monumental est interprété comme sanctuaire impérial julio-claudien; au nord-est, plusieurs monuments suggèrent la proximité du forum sans le démontrer; l’amphithéâtre pourrait dater de l’embellissement du début du IIe siècle. L’essor de l’emporium est attesté par des entrepôts et un marché, en rive gauche de la Devèze.

Vers 400, la ville enclose (phase 2) (fig. 5)

5. Phase 2. La ville enclose: modèle spécifique et chorotype

Après 270, la ville est dotée d’une forte enceinte rectangulaire avec glacis, calée sur la trame viaire, axée sur l’estey et ouverte à son embouchure. La ville enclose (32 ha), qui exclut le centre monumental antérieur concentre un habitat dense, souvent riche. À l’est, le port intérieur est réaménagé; à l’ouest, où le rempart coupe l’estey, se forme un marécage. Un complexe épiscopal se développe après 370 dans l’angle sud-ouest.

En périphérie, dès le début du IVe siècle, des sépultures sont établies sur le glacis de l’enceinte alors qu’un ensemble funéraire, au nord-ouest, serait la première implantation du christianisme naissant. Jusqu’à la fin du VIe siècle, quelques quartiers prolongent les installations du Haut-Empire ou occupent des terrains libérés par la rétraction.

Vers 900, la ville recentrée (phase 3) (fig. 6 et fig. 7)

6. Phase 3. La ville recentrée: modèle spécifique et chorotype

Malgré la rétraction du tissu bâti, un pôle de pouvoir laïc est installé, au cœur de la cité, à côté du port sur la Devèze. Comtal ou ducal, ce pôle contrebalance le groupe épiscopal en opérant un véritable recentrage de la ville. Si l’estey s’est envasé en amont, le port reste actif en aval (accueil des hivernages vikings) et une basilique veille sur son entrée. À l’extérieur, se développent plusieurs monastères, dotés d’enclos.

Vers 1175, la ville «encellulée» [4] (phase 4) (fig. 8) 

L’équilibre urbain antérieur bascule alors en faveur du secteur méridional axé sur le cours urbain du Peugue apparu aux alentours du Xe siècle. Cet estey et les berges adjacentes de la Garonne constituent un espace portuaire très dynamique alimentant le nouveau marché. À la migration des activités marchandes répond, vers 1070, le déplacement du pôle ducal à l’embouchure du Peugue, à l’angle sud-est de la cité. Le suburbium, au réseau viaire dense, couvre alors un tiers de la tache urbaine; au-delà s’étend le vignoble.

7. Proposition d'épisode ville recentrée

Densification du bâti et grands chantiers (groupe épiscopal en particulier) suscitent un profond renouvellement de la cité. Attestée en 1173, la constitution du réseau d’églises paroissiales est un enjeu pour les trois institutions ecclésiastiques majeures qui territorialisent leur pouvoir («encellulement»), la Devèze devenant ligne de partage des ressorts paroissiaux.

8. Phase 4. La ville encellulée: modèle spécifique

Vers 1250, la ville multiple (phase 5) (fig. 9)

9. Phase 5. La ville multiple: modèle spécifique et chorotype

Au milieu du XIIIe siècle, la commune s’affirme comme nouvel acteur du jeu territorial avec la construction de l’enceinte du bourg (1205-1225), à doubles courtines, sur laquelle se greffe l’hôtel de ville. Au sud, la nouvelle fortification n’englobe pas toutes les zones loties. Au nord de la cité, un lotissement accompagne le développement du nouveau port vinaire en lien avec l’obtention des privilèges du vin et l’essor du vignoble qui s’étend désormais jusqu’à 4 km extra-muros.

Les stratégies d’implantation des couvents des ordres mendiants aux entrées de ville, à proximité des grandes voies, soulignent l’extension dissymétrique de la ville: un au nord et quatre au sud. La ville grandit à un rythme tel qu’une enquête de 1262 conduit à réglementer l’usage public des espaces viaires, portuaires, commerciaux et défensifs. La capitale des possessions continentales des Plantagenêts affirme son rôle «métropolitain» par la très forte extension de son emprise (100 ha), par son vignoble citadin et par la multiplicité des jeux de pouvoirs dont elle est l’objet.

Vers 1470, la ville réunie (phase 6) (fig. 10)

10. Phase 6. La ville réunie: modèle spécifique et chorotype

Les derniers siècles du Moyen Âge confirment les dynamiques antérieures, mais la conjoncture de crise (pestes, guerre de Cent ans) pèse sur le développement de la ville tout en renforçant son rôle de capitale ducale et son autonomie municipale. Les pulsations démographiques et spatiales ont transformé la forme urbaine qui, avec la construction de l’enceinte de réunion (1302 - vers 1550), s’apparente à une ellipse appuyée sur la Garonne. Le port est désormais totalement fluvial et sectorisé (produits du Haut-Pays ou marché atlantique).

Le polycentrisme religieux s’accentue avec l’achèvement de l’implantation des ordres mendiants et du réseau des hôpitaux, notamment au sud, la construction de deux campaniles et la rénovation des églises. La conquête française de 1453 modifie la répartition des pouvoirs: deux nouveaux pôles militaires et royaux, au nord et à l’ouest, contrôlent la ville et ses accès.

Pilier de l’économie locale, le vignoble limite l’extension de l’espace urbain, sauf au nord, où l’essor du quartier des Chartrons donne naissance au port de la Lune.

Vers 1680, la ville surveillée (phase 7) (fig. 11 et 12)

11. Phase 7. La ville surveillée: modèle spécifique et chorotype

Le contrôle monarchique s’affermit, en séparant spatialement ses fonctions de gouvernement (Intendance, au cœur de la ville) de ses fonctions militaires réparties sur trois forteresses qui prennent en tenaille la ville rebelle, notamment à partir de la Fronde.

La Réforme catholique favorise l’implantation de couvents dans les quartiers périphériques. Les Chartreux contribuent de manière décisive à l’assainissement des marais occidentaux. La vocation hospitalière des faubourgs sud est confirmée et requalifiée par la logique de l’enfermement (dépôt de mendicité…).

Le tissu urbain ne change guère malgré l’édification d’hôtels particuliers par les parlementaires. La dynamique urbaine se manifeste plutôt extra-muros: au nord, les Chartrons deviennent une seconde ville avec l’essor du port de la Lune; au nord-ouest, le bâti se densifie également.

12. Proposition d'épisode de ville surveillée

Vers 1780, la ville embellie (phase 8) (fig. 13)

13. Phase 8. La ville embellie: modèle spécifique et chorotype

Devenu l’un des grands ports du commerce atlantique et colonial, Bordeaux connaît une forte croissance démographique (110 000 hab. en 1790). La dynamique portuaire génère de nouvelles activités: constructions navales, corderies, raffineries de sucre, verreries et faïenceries. Les marchés se multiplient.

L’urbanisme programmé du siècle des Lumières développe des «embellissements» facilitant la circulation et répondant aux préoccupations hygiénistes: côté fleuve, réalisation de la place Royale, aménagement de la façade des quais; sur la lice de l’enceinte, carrefours spacieux bordés de façades ordonnancées et entrées de ville reliées par des cours. Des allées plantées et le Jardin-Royal assurent la communication entre ville et riche faubourg du nord. L’enceinte perd sa valeur défensive, mais l’octroi demeure. À la fin du siècle, deux nouveaux ensembles urbains se juxtaposent autour du nouvel archevêché et du Grand-Théâtre.

Vers 1850, la ville ré-agencée (phase 9) (fig. 14)

14. Phase 9. La ville ré-agencée: modèle spécifique

La construction du premier pont sur la Garonne amorce l’urbanisation de la rive droite et pallie l’absence de connexions entre les voies ferrés établies en périphérie, l’une en rive droite, vers Paris, l’autre au sud-ouest vers Arcachon. D’autres aménagements viaires relient les quartiers anciens aux nouveaux.

La migration des activités vers le nord se confirme: construction d’entrepôts, de quais, lotissement des forts et des remparts. Banques, maisons de commerce et lieux de divertissement sont concentrés dans les quartiers nord, tandis que les infrastructures les plus utilitaires sont regroupées au sud (abattoirs, marchés, hôpitaux). Les pôles de pouvoir sont redistribués dans la ville-centre densifiée et réorganisée. À l’extérieur des cours, des lotissements se développent et les deux faubourgs de l’ouest s’accroissent, orientant l’urbanisation future. La création du cimetière général élimine tous les cimetières paroissiaux. Le vignoble n’est plus un obstacle, mais coteaux de rive droite et marais du nord contiennent l’urbanisation périphérique. En 1850, la ville a retrouvé son niveau de population de l’Ancien Régime.

Vers 1914, la ville industrielle (phase 10) (fig. 15)

15. Phase 10. La ville industrielle: modèle spécifique et chorotype

L’agglomération est alors caractérisée par son étalement périphérique, sans gommer les différences entre les deux rives. Dans ses nouvelles limites de commune et d’octroi (1865), la ville-centre compte 267 000 habitants en 1921 et augmente ses équipements en conséquence (paroisses, établissements d’enseignement, marchés, lieux de divertissement…). Les communes de la première couronne se densifient et se dotent d’églises, de mairies et d’écoles. Des casernes sont édifiées après 1870 entre ville ancienne et boulevards. Tandis que les universités se confortent en centre-ville, l’hôpital migre à l’ouest.

L’ouverture des boulevards et l’expansion de trois nouveaux quartiers industriels structurent l’étalement urbain. La création des bassins à flot engendre la modernisation des quais et un nouveau déplacement du port vers le nord, préfigurant celui du Port autonome de 1924. La connexion ferroviaire du port avec le quartier de la gare centrale est assurée par les lignes des quais et de ceinture. La vocation industrielle des secteurs proches du port est confortée, notamment en rive droite.

Vers 1980, la ville agglomérée (phase 11) (fig. 16)

16. Phase 11. La ville agglomérée: modèle spécifique et chorotype

En 1956, Bordeaux devient capitale administrative de la «Région de programme d’Aquitaine» puis métropole d’équilibre en 1964. En 1968, la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB) réunit 27 communes des deux rives de la Garonne (552 460 hab.) (Lerat, 1969). Projets municipaux et communautaires d’ampleur convergent pour moderniser l’agglomération au profit de la circulation automobile: aménagement des quais, nouveaux ponts (1965, 1967), rocade (1962-1993), autoroute vers Paris (1981). L’extension spatiale se restructure selon un modèle radioconcentrique, avec effet centrifuge de délocalisation d’activités: parcs d’industries en zones portuaires et autour de l’aéroport (1959), aires de commerces. Grands ensembles et ZUP, associés à des équipements publics et de service, sont aussi réalisés en périphérie.

La rupture urbaine majeure reste la fin du port de la Lune (1980) – et «l’oubli» du fleuve – au profit de la rive droite et d’un avant-port en aval. La patrimonialisation du centre historique (secteur sauvegardé, 1967) contribue au tassement de la population (200 000 hab. en 1982) et de l’activité mais renforce la dimension culturelle. Certaines fonctions sont déplacées en périphérie communale (MIN, parc des expositions, CHU, cité administrative) ou dans la CUB (campus universitaire). Agrandie vers l’ouest (1965), Bordeaux tente de rééquilibrer les nouvelles polarisations par l’aménagement de deux nouveaux quartiers, en péricentre et autour du lac artificiel drainant les marais du nord (Travaux et recherches du CESURB, 1973) (fig. 17).

17. Poster général

Comparer les modèles

Lecture verticale diachronique des chorotypes de Bordeaux

L’exploitation portuaire du système hydrographique du site originel a joué un rôle majeur dans la fabrique urbaine. Un hydrosystème spécifique (la confluence de petits cours d’eau en rive concave de méandre) et son contexte géomorphologique (une terrasse alluviale drainée et cernée de palus) sont à l’origine d’une empreinte éco-spatiale. Celle-ci s’est ainsi manifestée au cours des siècles, à la fois dans le jeu de la localisation même de l’activité portuaire (rythmes, déplacements) et par la prégnance des formes induites de structuration et de croissance urbaine (orientation de la voirie, fixation d’activités économiques, phénomènes de partition et/ou d’asymétrie urbaines).

Si l’établissement proto-urbain (phase 0) s’est établi au nord de l’aire de confluence, c’est bien autour d’un premier estey que s’est ensuite développée la ville (phase 1, phase 2, phase 3). Le nouvel estey du Peugue cristallise un second noyau urbain, en même temps que le port se déplace vers le fleuve le long duquel la ville se déploie (phase 4, phase 5). Cet étalement ripuaire induit la forme elliptique de la flaque urbaine (phase 6, phase 7, phase 8), accentuée par la contrainte d’extension qu’exerce, à l’ouest, la barrière du vignoble. La construction du premier pont crée une rupture en mettant fin à la vigoureuse asymétrie des rives: désormais la ville (phase 9, phase 10, phase 11) s’étale de part et d’autre du fleuve, alors que le port est transféré vers l’aval.

Au regard du modèle théorique, en épousant la dimension «littorale» des lieux à partir de la phase 4, Bordeaux se singularise comme une ville de front de fleuve apparentée aux villes de front de mer. C’est la construction de nouveaux ponts qui permet à la ville de s’accorder au modèle et de devenir progressivement une métropole circulaire; une conformité qui se marque également dans la permanence du carrefour entre deux axes: l’un méridien (péninsule Ibérique/mer du Nord) et l’autre latitudinal (Atlantique/Méditerranée), ce dernier combinant voies fluviale, routière, puis ferroviaire, en un faisceau d’itinéraires parallèles au fleuve. Toutefois la connexité maritime demeure une spécificité bordelaise.

Lecture horizontale synchronique : écart ou conformité des chorotypes de Bordeaux aux épisodes théoriques

1. Tableau comparatif
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Deux phases de la trajectoire urbaine de Bordeaux lui sont spécifiques et relèvent d’un effet héritage: la ville «encellulée» (phase 4) et la ville «ré-agencée» (phase 9). Deux autres, au contraire: la ville «recentrée» (phase 3) et la ville «surveillée» (phase 7), ont semblé pouvoir être généralisées à d’autres cas urbains et leurs chorotypes proposés comme nouveaux épisodes. Ces ajustements ont bousculé la numérotation habituelle; le tableau comparatif ci-dessous reprend celle du poster de Bordeaux (tableau 1).

Cette double lecture horizontale et verticale de la trajectoire urbaine de Bordeaux, confrontée aux épisodes théoriques, met en exergue quelques points forts de réflexion.

Deux nouveaux épisodes?

Entre les épisodes «ville enclose» et «ville multiple», comme entre «ville réunie» et «ville royale», les chorotypes réalisés pour Bordeaux suggèrent un potentiel d’enrichissement de l’ensemble du modèle théorique, que de nouvelles études de cas seraient susceptibles de ratifier. Ces propositions ont été élaborées selon le protocole du CNAU de fabrication d’un modèle de ville. Le modèle de «ville surveillée» semble généralisable à de nombreux cas urbains, celui de «ville recentrée» demande validation.

Ville surveillée (épisode 7)

L’épisode proposé (fig. 12) est caractérisé par le renforcement spectaculaire des établissements ecclésiastiques et d’éducation, lors de la Contre-Réforme qui substitue l’encadrement religieux moderne au polycentrisme médiéval. Cet effet est généralisable à l’ensemble des villes du royaume, quelle que soit leur taille. Il peut être doublé du contrôle politico-militaire de la monarchie absolue de droit divin, en particulier dans les villes frontalières, de garnison ou séditieuses. Les fortifications sur enceinte assurent la maîtrise des zones extra-muros dans les villes stratégiques et peuvent également contrôler en tenaille la zone intra-muros des villes rebelles.

D’autres variables interviennent parallèlement: l’extension différenciée, hors les murs, des activités économiques et l’expansion démographique associée, préfigurant des orientations de croissance préférentielles.

Ville recentrée (épisode 4)

L’ample écart chronologique entre les épisodes «ville enclose» et «ville multiple» interroge (voir la figure 7); même si les sources bordelaises ne sont pas plus abondantes qu’ailleurs, leur récente relecture remet en cause le modèle historiographique de la récession urbaine du haut Moyen Âge. La continuité supposée de la cité enclose de l’Antiquité tardive masque sa captation par le pouvoir épiscopal, impliquant, parmi d’autres phénomènes, la densification des établissements ecclésiastiques et l’apparition des inhumations intra-muros. L’évêque n’est pas toujours la seule autorité de la cité, un pôle de pouvoir laïc s’y établit parfois, complémentaire du premier et étroitement en prise avec les activités économiques qu’il entend contrôler. Observée à Bordeaux, cette configuration peut être déduite d’autres cas déjà modélisés sans qu’y soit mis l’accent sur cette dynamique, tantôt associée à la «ville enclose» (Aix-en-Provence, Reims), tantôt à la «ville multiple» (Poitiers, Limoges). L’épisode proposé néanmoins n’est pas généralisable aux villes non épiscopales, ni même à certaines cités où le pôle laïc est hors les murs (Angers) ou bien demeure absent de la géographie des pouvoirs (Tours). Il demande donc à être perfectionné par d’autres études de cas.

Conclusion

L’étude du cas bordelais a permis de valider de nombreuses conformités aux modèles généraux. Elle souligne cependant l’importance d’écarts et de différences qui attestent tant des spécificités propres à la ville que d’éléments particuliers susceptibles de conduire soit à un enrichissement du modèle du CNAU (proposition de deux nouveaux épisodes, nouveaux outils sémiologiques), soit à la recherche de modèles complémentaires qu’un élargissement des études de cas équivalents ou proches ne pourrait que favoriser (étude par exemple d’un corpus des villes portuaires et/ou d’estuaire...).

Bibliographie

ANDRÉ-LAMAT V., JEAN-COURRET É., LAVAUD S. et PISSOAT O. (2014). «Réinvestir la chrono-chorématique: expériences bordelaises». In LORANS É., RODIER X., dir., Archéologie de l’espace urbain, Tours/Paris: Presses universitaires François Rabelais/Comité des travaux historiques et scientifiques, p. 371-381. ISBN: 978-2-86906-311-2

ATELIER DU CNAU (2010). «Dossier chrono-chorématique urbaine». Mappemonde, n°100.

BOISSAVIT-CAMUS B., CHAOUI-DERIEUX D., GUILLOTEAU C. (2012). «La chrono-chorématique : modélisation de la dynamique urbaine». In LAVAUD S., SCHMIDT B. dir., Représenter la ville. Bordeaux: Ausonius-Éditions, p. 263-278. ISBN: 978-2-35613-057-0.

CESURB (1973). «Croissance de l’espace urbain bordelais». Actes du Séminaire d’étude des espaces urbains, organisé par le Centre d'études des espaces urbains de l'Université de Bordeaux III, dans le cadre de la Maison des sciences de l'homme de Bordeaux. Paris: École pratique des Hautes études; Mouton, coll. «Travaux et recherches du Centre d’études des espaces urbains (CESURB)». 104 p. ISBN: 2-7132-0800-9

LAVAUD S., JEAN-COURRET E. coord. (2009). Atlas historique de Bordeaux.  Bordeaux: Ausonius-Éditions, col. «Atlas historique des villes de France», 3 vol., ISBN: 978-2-35613-019-8.

LERAT S. (1969). Les Grandes Villes Françaises: Bordeaux et la Communauté urbaine de l’agglomération bordelaise. Paris: La Documentation française, coll. «Notes et Études Documentaires; 3565-3566»,113 p.

La légende du poster combine la sémiologie du CNAU et les innovations proposées (André-Lamat et al., 2014).
Les phases relatives à la périodisation propre au cas d'étude sont signalées par la lettre p; les épisodes théoriques par e.
Terme local qualifiant la basse vallée d'un cours d'eau soumis au flux de la marée.
Cette phase avait été originellement intitulée «ville territorialisée» (voir André-Lamat et al., 2014); lui a été préféré le qualificatif de ville «encellulée», qui rend mieux compte du processus d'«encellulement» ecclésial et castral, caractéristique de la période.