L'image du mois

 Sommaire

Les élections provinciales de 2009 en Nouvelle-Calédonie

La Nouvelle-Calédonie a tout récemment élu ses assemblées provinciales. Les résultats de ce scrutin (figure 1) sont éclairants: le clivage territorial entre les partisans de l'indépendance (majoritaires dans les provinces Nord et Loyauté) et les opposants à cette option, majoritaires dans la province Sud, est extrêmement marqué.

1. Carte des résultats des élections provinciales du 10 mai 2009

La Nouvelle-Calédonie dispose d’un statut à nul autre pareil au sein de la République française (Gay, 2005). Ce n’est ni un DROM (département et région d’outre-mer), ni une COM (collectivité d’outre-mer). Collectivité sui generis, elle relève d’un titre à part dans la Constitution (XIII). Cette spécificité provient de l’accord de Nouméa (1998), approuvé par 72% des électeurs néo-calédoniens le 8 novembre 1998. Lois du pays, citoyenneté néo-calédonienne et transfert irréversible de compétences par étapes de cinq ans sont au cœur du dispositif qui doit aboutir à la période dite référendaire, de 2014 et 2018, avec un ou plusieurs scrutins d’autodétermination qui décideront du transfert des compétences régaliennes (défense, police, justice, monnaie et diplomatie) et donc de l’accession, ou non, de la Nouvelle-Calédonie au rang d’État souverain.

Corps gelé ou corps glissant

2. Organigramme institutionnel de la Nouvelle-Calédonie

L’élection, en un seul tour, du 10 mai 2009 est particulièrement importante puisque des électeurs étaient appelés à voter pour élire les assemblées de province, dont sont issus les membres du congrès, lequel, à son tour, élit le gouvernement néo-calédonien (figure 2). Or, ces institutions clés de la Nouvelle-Calédonie devront, au cours de cette mandature quinquennale, organiser la sortie de l’accord de Nouméa et mener à bien le délicat transfert de compétences de l’enseignement secondaire. Des électeurs, et non les électeurs inscrits en Nouvelle-Calédonie, devaient se rendre aux urnes ce jour-là, car n’ont le droit de voter à ces élections que les citoyens néo-calédoniens, c’est-à-dire les personnes inscrites sur la liste électorale spéciale (figure 3), celles ayant plus de dix ans de résidence et étant arrivées avant le 8 novembre 1998 (cf. supra), soit 135 965 électeurs. Ainsi 18 230 électeurs ont été exclus de cette élection — on dit qu’ils sont inscrits au tableau annexe — et beaucoup plus le seront en 2014, en considération de tous les Français qui s’installeront en Nouvelle-Calédonie et qui ne pourront répondre à ces deux conditions. Une telle restriction ne s’est pas faite sans heurts, car les articles 188 et 189 de la loi organique de l’accord de Nouméa (loi n° 99-209 du 19 mars 1999) ont été interprétés différemment par les forces politiques présentes: les plus radicalement non-indépendantistes (qu’on appelle «loyalistes» en Nouvelle-Calédonie), c’est-à-dire le Rassemblement-UMP et le Front national, étaient favorables à un corps «électoral glissant», dix ans de résidence suffisant à être inscrit sur la liste électorale spéciale. Les indépendantistes, mais également des partis non-indépendantistes, souhaitaient une liste électorale gelée au jour du scrutin de 1998 (cf. supra). C’est en février 2007, que le Congrès réuni à Versailles a entériné, dans la Constitution (loi constitutionnelle 2007-237 du 23 février 2007), l’interprétation la plus limitative du corps électoral spécial, excluant ainsi des personnes ayant plus de dix ans de résidence, mais aussi les époux ou épouses des citoyen(ne)s néo-calédonien(ne)s ou les enfants naissant en Nouvelle-Calédonie de parents non-citoyens. Et le droit de vote sera encore plus limitatif lorsqu’il s’agira du(des) scrutin(s) relatif(s) à l’accession à la pleine souveraineté (article 218 de la loi organique), car réservé aux seuls citoyens néo-calédoniens qui avaient, lors de la consultation du 8 novembre 1998 (cf. supra), leur domicile en Nouvelle-Calédonie depuis le 6 novembre 1988, jour du référendum de ratification des accords de Matignon, à leurs enfants devenus majeurs et à ceux qui pourront justifier de vingt ans de résidence en 2014.

Un «scénario à la polynésienne»?

3. Carte d’électeur inscrit sur la liste électorale spéciale (source: haut commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie)
4. Panneau électoral sur l’anse Vata à Nouméa (cliché: J.-Ch. Gay, mai 2009)

Vingt-quatre listes étaient en course pour renouveler les 76 membres des assemblées des trois provinces et malheur aux listes n’atteignant pas les 5% des électeurs inscrits. Dix listes s’affrontaient en province Sud (figure 4), sept listes en province Nord et sept listes dans la province des îles Loyauté. Comme nombre d’observateurs le pressentaient, l’éparpillement des voix des 72,5% des électeurs inscrits sur la liste électorale spéciale et qui sont allés voter fait qu’aucune formation n’a la majorité dans le nouveau congrès, pas même une alliance de deux partis. Reste que les provinces n’ont pas changé de camp. Les îles Loyauté et la province Nord demeurent entre les mains des indépendantistes, malgré leur division: Néko Hnepeune et Paul Néaoutyine vont continuer de les présider. Dans les îles Loyauté, les 14 élus sont tous indépendantistes; en province Nord, 22 sur 24 le sont également. En province Sud, les indépendantistes font leur retour avec quatre élus FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste), la leçon de 2004, où ils s’étaient divisés, ayant été bien comprise. Mais avec 36 élus sur 40, les non-indépendantistes continuent d’être très largement dominants et, dans l’immédiat, s’accordent sur une répartition des pouvoirs. La victoire relative du Rassemblement-UMP a porté le député Pierre Frogier à la présidence de la province la plus peuplée et la plus riche de Nouvelle-Calédonie. La présidence du congrès est revenue au leader de l’Avenir ensemble Harold Martin et celle du gouvernement au président de Calédonie ensemble Philippe Gomès.

Au-delà de ces évolutions, si le rapport non-indépendantistes/indépendantistes n’a pas changé depuis 1995, de l’ordre de 60/40, les écarts, en valeurs absolues, se creusent compte tenu de l’augmentation sensible du nombre d’électeurs. On constate de fortes disparités spatiales: le Grand Nouméa (communes de Nouméa, Païta, Mont-Dore et Dumbéa) concentre les trois quarts des voix non-indépendantistes et est très majoritairement non-indépendantiste, tout comme le reste du sud de la côte Ouest, alors que les bastions indépendantistes sont au nord, dans les îles Loyauté et sur la côte Est (figure 1). Émanation des assemblées provinciales, le congrès reste entre les mains des non-indépendantistes (31 sièges sur 54), mais les divisions en leur sein font craindre un «scénario à la polynésienne», dix gouvernements s’étant succédé en cinq ans dans cette collectivité d’outre-mer. En effet, le Rassemblement-UMP, l’Avenir ensemble et Calédonie ensemble, s’ils sont obligés de s’entendre pour gouverner, s’opposent sur de nombreux points, spécialement sur la manière de sortir de l’accord de Nouméa. Le Rassemblement-UMP souhaite un référendum dès 2014, tandis que l’Avenir ensemble et Calédonie ensemble désireraient que les signes identitaires (drapeau…) soient enfin adoptés, que, peu ou prou, les transferts de compétence se poursuivent et que le dialogue apaisé et consensuel avec les indépendantistes se prolonge. En outre, le Rassemblement-UMP remet en cause ce que l’on nomme la «clé de répartition», c’est-à-dire la manière dont sont distribuées par le territoire les dotations de fonctionnement et d’équipement aux trois provinces selon la loi organique et qui ne tient pas compte de la macrocéphalie grandissante du Grand Nouméa, concentrant presque deux tiers de la population calédonienne en 2004 et probablement plus au prochain recensement de juillet-août 2009. On le voit, les sujets de discorde ne manquent pas, avec pour toile de fond une crise économique qui commence à provoquer un tarissement des recettes fiscales.

Ces prochaines années vont donc être cruciales. Souhaitons que la collégialité du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie permette d’éviter la paralysie des institutions, le maintien de la paix et la réduction des choquantes inégalités sociales.

Jean-Christophe Gay
Université de Nice-Sophia Antipolis et IRD Nouméa

Bibliographie

CHAUCHAT M. (2009). «La Nouvelle-Calédonie, une autre Nation avec la France?». Le Mensuel de l’Université

CLINCHAMPS N. (2008). «Distorsions et corps électoraux en Nouvelle-Calédonie». Pouvoirs, n° 127, p. 151-165.

GAY J.-Ch. (2009). «L’outre-mer français à la dérive». Cafés géographiques

GAY J.-Ch. (2005). «Où en est la France d’outre-mer». M@ppemonde, n° 79

Méthodologie pour l’élaboration de la carte

Pour établir cette carte, nous avons utilisé les chiffres officiels fournis par le Haut-Commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie. Nous avons divisé les listes en présence en deux camps, indépendantistes et non-indépendantistes, et calculé les valeurs relatives, commune par commune, à partir des suffrages exprimés. Toutefois, en province Sud, il nous a fallu défalquer les voix de deux listes difficilement classables par rapport à cette logique de blocs, Ouverture citoyenne et Génération destin commun, qui ont totalisé 4 190 voix, soit 6,9 % des suffrages exprimés, mais qui ne sont pas représentées dans l’assemblée provinciale faute d’avoir atteint chacune la barre des 5 % des électeurs inscrits.

Remerciements

Je remercie Céline Chauvin, cartographe (Congrès-IRD), pour l’élaboration de cette carte, établie dans le cadre des travaux de l’Atlas de la Nouvelle-Calédonie (Gouvernement-Congrès-IRD).