Sommaire du numéro
N°73 (1-2004)

L'urbanisation littorale au Brésil: Ubatuba (São Paulo)

Andrea de Castro Panizza
Jérôme Fournier
Ailton Luchiari

A-C Paniezza, A. Luchiari: Departamento de Geografia, Universidade de São Paulo,
J. Fournier: CNRS (UMR 8586 PRODIG)

Résumés  
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 Diaporama

Introduction

1. Organisation de l'espace: le littoral Nord sous l'influence des deux mégalopoles

Le littoral septentrional de l'État de São Paulo a un tracé parallèle à celui du principal axe de développement économique du Brésil, entre les villes de São Paulo et de Rio de Janeiro (fig. 1). Il se présente comme un espace exigu et linéaire, limité par l'Océan Atlantique Sud et par les pentes escarpées de la Serra do Mar. La biodiversité de la forêt tropicale humide qui couvre ses versants, nommée Mata Atlântica, est l'une des plus riches de la planète; mais cette forêt ne couvre plus ici que 7,3% de sa superficie initiale. La plupart de ses espèces animales et végétales sont menacées d'extinction en raison d'un fort taux d'endémisme (Simões et Lino, 2002) et d'une pression anthropique sans cesse croissante, bien que l'État de São Paulo ait mis en place plusieurs parcs naturels visant à la conservation de cette forêt unique au monde.


Histoire économique et structuration interne

2. Structures élémentaire du Nord

Une première phase de colonisation européenne a établi des ports en des lieux stratégiques visant à l'exportation des matières premières de l'intérieur, l'or du Minas Gerais et plus tard le café des environs de São Paulo (Théry, 2000). La Serra do Mar était ainsi traversée par des voies de transit, qui ne suffisaient pas à assurer le développement économique des régions franchies. Plus tard, lors de la formation de l'axe São Paulo-Rio de Janeiro, le réseau des voies de communication s'est développé dans la vallée de Paraíba do Sul et à travers la Serra do Mar pour relier São Paulo au port de Santos. Essentiellement routier, ce réseau s'est formé lentement et de manière échelonnée. Entrepris pendant les années 1930 avec les liaisons des grandes villes du plateau Atlantique à celles du littoral, il s'est achevé par la construction de la route littorale BR101 entre les années 1955 et 1980, qui a permis la jonction de la ville portuaire de Santos, dans l'État de São Paulo, à Rio de Janeiro (fig. 2). Cette route a été le moteur du développement touristique d'une région auparavant peu fréquentée, habitée uniquement par des communautés traditionnelles de pêcheurs dont le mode de vie caiçara est bien éloigné des nouvelles communautés de touristes urbains des deux grandes métropoles brésiliennes (Silva, 1975).

Urbanisation, tourisme et conservation de la nature

Les recensements de l'IBGE (Instituto brasileiro de geografia e estatística) de 1980, 1991 et 2000 ont permis de mettre en évidence une augmentation significative du nombre des résidences principales dans les municípios (municipalités) de ce littoral. En analysant ces données, on constate que la plus forte progression a été observée à São Sebastião (156%) entre 1980 et 1991 (Tulik, 1995); la plus faible se situant à Ubatuba (51%) entre 1991 et 2000. Une évolution similaire a pu être mise en évidence en considérant les données statistiques relatives aux résidences secondaires. La municipalité d'Ubatuba détient ici, à l'inverse, le record: les résidences secondaires y dépassent la moitié du total des résidences (51,9% en 2000).

En 1979, fut créé à Ubatuba, le Núcleo Picinguaba, une des bases administratives du Parc d'État de la Serra do Mar; le Parc protège 67% de la surface de la commune: tout ce qui est situé au-dessus de 100 mètres, ainsi que toute la portion septentrionale jusqu'à la mer. Le Noyau a pour tâche la conservation de la forêt atlantique, des mangroves et des restingas. Il sert de base scientifique aux chercheurs, mène des actions d'éducation à l'environnement et met en place des activités éco-touristiques. L'installation de cette structure a renforcé la singularité d'Ubatuba par rapport aux autres municipalités du littoral nord: elle est ainsi devenue un lieu attractif pour le tourisme estival. Cependant, comme une grande partie de son territoire est strictement protégée par la législation, de vifs conflits d'usages sont apparus.

Ubatuba: un espace doublement dichotomique

L'organisation de l'espace dans la municipalité d'Ubatuba semble à première vue très désordonnée. Cet agencement très particulier de l'espace littoral est l'une des conséquences des conflits d'usages. En effet, la dynamique territoriale est essentiellement stimulée par des intérêts privés — la spéculation immobilière plus particulièrement — dont la vision à très court terme de l'aménagement du territoire met en péril la gestion publique de l'espace. Ces conflits d'usages se traduisent spatialement et il est possible d'identifier une double dichotomie dans le territoire de cette municipalité: frange côtière-intérieur et nord-sud.

L'urbanisation a été mise en place initialement dans les espace plans – les plaines côtières – et à proximité immédiate des voies de communication. La spéculation immobilière n'a cessé de densifier cet espace exigu, à tel point que des quartiers entiers se sont installés progressivement vers l'intérieur en colonisant les vallées puis les versants de la Serra do Mar. La réduction de la taille des lots a accru le morcellement, autorisé par la loi, du parcellement du sol urbain (loi 6 766 de 1979). Ces éléments ont favorisé l'installation de populations entières de touristes dans des immeubles le long des plages et la valorisation des reliefs proches de la mer sous la forme de condomínios fechados (quartiers clos). À l'opposé, les pêcheurs locaux ont été contraints de vendre leurs petits lots et de s'éloigner du bord de mer pour s'installer plus loin, dans des secteurs moins attrayants, plus difficiles d'accès et meilleur marché. La population locale, pérenne, a ainsi été éloignée de la population plus éphémère représentée par les touristes estivants.

La dichotomie nord-sud est nettement visible sur la carte thématique issue d'une classification supervisée d'image du satellite Landsat ETM +7 (1999) (fig. 3a). Elle oppose de petites zones faiblement urbanisées au nord à celles du sud, entièrement occupées. La limite nord de l'urbanisation correspond assez bien à celle du Núcleo Picinguaba: il semble que l'implantation du Parc dans ce secteur ait eu des résultats positifs malgré les attaques que subit encore la forêt: déforestation, habitations illégales, commerce d'animaux et de végétaux protégés… Le fait que l'État soit le propriétaire foncier d'une grande partie du Núcleo rend plus difficile l'occupation clandestine du site, malgré la faiblesse des effectifs des gardes forestiers par rapport à l'étendue du Parc. À l'inverse, les plaines côtières et les vallées du secteur méridional à proximité de la ville d'Ubatuba sont occupées de manière quasi continue, mais les contraintes géomorphologiques du site empêchent la formation de ce que Seabra (1979) a nommé une «muraille urbaine» tout au long de la côte, contrairement aux environs de Rio de Janeiro ou de Santos.


Frange d'occupation périurbaine et déforestation

3a. Le municÌpio d'Ubatuba vu par Landsat

3b. Le municÌpio d'Ubatuba vu par Landsat

L'occupation urbaine s'organise de manière linéaire le long des plaines côtières du secteur sud et dans le secteur central du territoire de la municipalité (fig. 3a). En direction de l'intérieur, l'habitat serpente, mais de manière discontinue, dans les vallées des secteurs centraux et méridionaux. L'urbanisation périurbaine s'organise en anneaux autour de la ville d'Ubatuba. Les riches se sont installés prioritairement dans les zones basses et planes de la plaine côtière et dans les vallées. L'espace disponible faisant défaut, ils ont colonisé ensuite les reliefs dominant l'océan, bénéficiant ainsi de points de vue appréciés. À l'opposé, les classes défavorisées se sont progressivement établies dans les espaces éloignés du centre de la ville et des voies d'accès principales, dans les lointaines vallées et sur les versants abrupts, instables et encore recouverts par la forêt tropicale jusqu'à la limite du Parc.

L'analyse diachronique des données quantitatives issues des classifications des images montre l'évolution de l'urbanisation, la déforestation et la régénération de la forêt. La carte des changements entre 1988 et 1999 montre 26 classes (fig. 3b), dont on a pu compter les pixels, c'est-à-dire les lieux, qui sont restés dans la même classe et ceux qui en ont changé. La forêt semble globalement assez stable; toutefois, on observe qu'en périphérie du Parc ou près du littoral, la forêt primaire a laissé la place à une forêt secondaire dégradée. La légère augmentation de la surface boisée s'explique par le fait qu'une partie des surfaces humides ou des friches ont été reconquises. Les surfaces construites semblent au contraire progresser assez nettement entre 1988 et 1999 au détriment de la forêt (9 km2), des friches (10 km2), et dans une moindre mesure, des sols nus (3 km2). Le maintien global du couvert forestier démontre l'efficacité du Parc de la Serra do Mar face à l'urbanisation, et le respect de ses frontières. L'urbanisation se poursuit cependant dans les secteurs proches de la mer.


Conclusion

À Ubatuba, la frange d'occupation périurbaine est en constante progression sous l'impulsion du tourisme et de la résidence de luxe. Elle atteint certaines des limites du Parc et l'on peut craindre la déforestation à l'intérieur même de ce Parc. La ségrégation sociale est aussi une ségrégation spatiale et peut être représentée de façon plus générale (fig. 4) (Brunet, 1980; Théry, 1986): les communes qui compose la région du littoral nord de l'État de São Paulo, et plus généralement des littoraux à fort potentiel touristique, obéissent à la même logique qu'Ubatuba puisqu'elles sont bâties sur le même modèle historique, économique et social et subissent la même loi de consommation de l'espace littoral, qui ne se soucie guère de la conservation de la culture locale et de la nature.

4. Le système spatial d'Ubatuba

Bibliographie

BRUNET R. (1980). «La composition des modèles dans l'analyse spatiale». L'Espace géographique, n° 4, p. 253-265.

LUCHIARI DUARTE PAES M. T. (1999). O lugar no mundo contemporâneo – turismo e urbanização em Ubatuba, SP. UNICAMP, Campinas, Tese de doutoramento, 218 p.

SEABRA O.C.L. (1979). Muralha que cerca o mar: uma modalidade de uso do solo urbano, Dissertação de mestrado. São Paulo: DGeo/USP, 122 p.

SILVA A.C. (1975). O litoral norte do Estado de São Paulo, formação de uma região periférica, IGEOG/USP. São Paulo, Série Teses e Monografias, n° 20, 273 p.

SIMOES L.L., LINO C.F. (2002). Sustentável Mata Atlântica – a exploração de seus recursos florestais. São Paulo Senac, 215 p.

THÉRY H. (1986). «Une recherche cartographique: genèse et combinaison des chorèmes du Brésil». Mappemonde, n° 4, p. 14-19.

THÉRY H. (2000). Le Brésil. Paris: Armand Colin, 4e éd., 288 p.

TULIK O. (1995). Residências secundários: presença, dimensão e expressividade do fenômeno no Estado de São Paulo. São Paulo : Tese de Livre-Docência, Escola de Comunicações e Artes, Departamento de Relações Públicos, Propaganda e Turismo, 164 p.

Remerciements:

Les auteurs remercient la CAPES (Coordenação de Aperfeiçoamento de Pessoal de Nível Superior) pour le financement de cette étude et l'INPE (Instituto Nacional de Pesquisas Espaciais) pour la fourniture des images de satellite.