Ces lieux dont on parle |
L’Allemagne accueille, en ces mois de juin et juillet 2006, la Coupe du monde de football. Elle veut présenter au monde le visage d’un pays moderne et uni. Mais ce grand événement sportif est aussi une vitrine qui révèle les profondes disparités entre les 10 anciens et les 5 nouveaux Länder. La Coupe du monde se joue en effet essentiellement dans l’Ouest de l’Allemagne. Une géographie des stades calquée sur la géographie de la première division Les stades dans lesquels se déroulent les matches de la Coupe du Monde sont presque tous localisés sur l’ancien territoire de la RFA, y compris le stade olympique de Berlin, situé dans l’ancienne Berlin-Ouest. Dans les nouveaux Länder, seul le stade de Leipzig a été sélectionné. Pourquoi ce déséquilibre?
La carte des stades de la Coupe du Monde est calquée sur celle de la première division. Seules les équipes de cette division sont en effet capables de mobiliser les leviers financiers pour créer ou maintenir de grands équipements qui puissent répondre aux critères de sélection draconiens imposés par la FIFA (Fédération Internationale de Football Association), pour la sécurité, la technique et les infrastructures. Or les équipes de première division sont exclusivement ouest-allemandes. Dans un paysage sportif de plus en plus dominé par les financements privés, la géographie de la première Bundesliga est de plus en plus déterminée par les engagements financiers de grandes firmes, qui siègent essentiellement dans les anciens Länder. Et c’est ainsi que dans les grandes villes ouest-allemandes, les noms des stades en disent long sur le mécénat qui a permis leur construction ou leur rénovation: stade RheinEnergie à Cologne, Commerzbank-Arena à Francfort, Gottlieb-Daimler-Stadion à Stuttgart, Allianz-Arena à Munich, AOL-Arena à Hambourg, ADW-Arena à Hanovre. Dans une Allemagne orientale très affectée par la libéralisation économique et les faillites en masse dans la décennie 1990 et caractérisée par la taille très modeste des entreprises, les financements privés font en revanche défaut pour soutenir des clubs de football qui, s’ils ont pu conserver un bon niveau sportif pendant quelques années, sont progressivement évincés de la première division. Les rares grandes entreprises qui sont implantées à l’Est de l’Allemagne sont contrôlées par des firmes étrangères ou ouest-allemandes et ne sont donc pas suffisamment enracinées dans une ville ou une région pour investir dans une opération de marketing sportif d’envergure sur une scène secondaire, celle de la deuxième division. C’est donc en principe du domaine public que devaient venir les efforts de financement de grands équipements sportifs, là où les fonds privés font défaut. De fait, la rénovation du Stade central de Leipzig a été prise en charge presque exclusivement par des fonds publics fédéraux et du Land de Saxe, le moins pauvre des nouveaux Länder; cet effort financier du Land était aussi motivé par l’espoir que Leipzig soit choisie ville olympique pour les Jeux Olympiques de 2012. Les autorités fédérales ont donc fait le choix très politique de concentrer leur effort budgétaire sur Berlin et Leipzig, pour tenter de rééquilibrer la balance Est-Ouest des grands équipements sportifs de la Coupe du monde. De façon plus symbolique, le gouvernement a fait pression sur le comité d’organisation pour que la cérémonie de tirage au sort, en décembre 2005, ait lieu dans le stade de Leipzig, arguant de la place historique de la ville dans la constitution du football allemand (le FC Leipzig étant le premier club officiel allemand, fondé en 1893). À l’exception des matches qui se déroulent à Leipzig, c’est bel et bien en Allemagne de l’Ouest qu’a lieu la Coupe du Monde et … l’agitation médiatique autour des équipes nationales en lice. Géographie des camps de base des équipes nationales Le comité organisateur de la Coupe du Monde avait proposé début 2005 aux équipes nationales un catalogue de 110 hôtels et écoles de sport, dont 16 dans les nouveaux Länder. À l’exception de Berlin-Grunewald (ex-Berlin-Ouest), camp de base imposé à la Mannschaft par le gouvernement fédéral, les localisations ont été librement choisies par les entraîneurs nationaux. La carte est éloquente: l’Est de l’Allemagne est hors-jeu. Potsdam, à proximité de Berlin, est la seule localité est-allemande à avoir été sélectionnée par une équipe, l’Ukraine.
La concentration à l’Ouest des localisations choisies par les équipes nationales est, pour partie, le corollaire de la géographie très ouest-allemande des stades sélectionnés, puisque le tirage des premiers matches (équipe et lieu) est déjà connu. L’optimisation du temps de transport a pu intervenir dans le choix de localisation de certains entraîneurs; c’est ce que suggère par exemple le choix du Japon (Bonn) qui jouera à Kaiserslautern, Dortmund et Nuremberg. Néanmoins, la logique de proximité ne mettait pas d’emblée hors-jeu les nouveaux Länder; s’agissant de la localisation par rapport aux stades, certains hôtels proposés en Thuringe ou Saxe-Anhalt n’avaient rien à envier à leurs concurrents du lac de Constance, qui ont eux été retenus. La dispersion des lieux des matches pour de nombreuses équipes dès le 1er tour a laissé une place à des logiques de lobbying, qui éclairent en creux les raisons pour lesquelles les nouveaux Länder sont exclus. Certains sponsors ont en effet orienté les équipes qui leur sont liées par contrat vers les régions où se trouvent leurs sièges sociaux. Puma a ainsi attiré les équipes de Tunisie et du Ghana vers Schweinfurt; Adidas a orienté l’équipe argentine à Herzogenaurach, le berceau de la marque aux trois bandes. Les nouveaux Länder manquent, eux, de tels lobbies industriels. En outre, certaines collectivités territoriales ouest-allemandes n’ont pas lésiné sur les moyens et se sont dotées de véritables délégations pour s’attirer les faveurs des équipes nationales. Dans cette compétition, les communes les plus huppées ont attiré les équipes les plus prisées le Brésil sera logé dans une des communes allemandes au plus fort taux de millionnaires! et ont pu facilement évincer les communes candidates des nouveaux Länder, dans un contexte est-allemand de grande difficulté financière des collectivités locales mais aussi peut-être de manque relatif de savoir-faire. Enfin, les anecdotes relevées par les journaux sur les choix de divers entraîneurs révèlent des logiques de réseau: l’équipe italienne séjournera par exemple dans un hôtel de Duisbourg, détenu conjointement par un ancien champion olympique et un Italien; l’entraîneur iranien a préféré revenir à Friedrichshafen où il avait déjà séjourné lors d’une autre compétition sportive. Progressivement évincés de la scène footballistique de haut niveau, les nouveaux Länder ne bénéficient plus, eux, de l’atout indirect que peut représenter une bonne insertion dans les réseaux sportifs internationaux. La République Démocratique Allemande était autrefois de toutes les grandes manifestations sportives internationales et avait une élite de tout premier rang. Cela faisait partie de la fonction de vitrine du camp socialiste de la RDA. Mais cette politique portée par le pouvoir communiste n'a pas pour autant doté l’Allemagne orientale d’infrastructures de grande qualité, permettant aux villes de prétendre aujourd’hui accueillir un événement sportif de niveau mondial. La Coupe du monde révèle ainsi les disparités de développement socio-économique entre les anciens et les nouveaux Länder. Sur la scène sportive, la victoire de l’Allemagne à la Coupe du monde de 1990 avait été l’acte fondateur de la réunification allemande. Une victoire en 2006 en serait la validation symbolique, alors que les disparités entre Est et Ouest sont encore criantes. Hélène Roth Bibliographie AUGUSTIN J.-P. (1995). Sport, géographie et aménagement. Paris: Nathan, 254 p. ISBN: 2-09-190306-X GROSJEAN F. (2006). Processus de diffusion du football en Franche-Comté. Mappemonde, n° 81. LAMBRECHT C. (2002). “Futball-Volkssport und Zuschauermagnet”. Nationalatlas der Bundesrepublik Deutschland, Band Freizeit und Tourismus, 86-87. RAVENEL L. (1998). La Géographie du football en France. Paris: Presses universitaires de France, coll. «Pratiques corporelles», 144 p. ISBN: 2-13-049403-X Süddeutsche Zeitung, 20.01.2006, p.1 et p. 27. Sites internet Note 1. Süddeutsche Zeitung, 20.01.2006 |