Sommaire du numéro
N° 86 (2-2007)

Les cartes animées

Guérino Sillère, Samuel Robert

Depuis janvier 2004 M@ppemonde a réussi son entrée dans le monde du tout électronique (voir à ce sujet l’éditorial de Denis Eckert : «M@ppemonde: vingt ans et au-delà»). L’utilisation du support Internet a permis de nombreuses avancées, en particulier concernant la communication de l’information par la cartographie. La plupart des cartes sont désormais «cliquables» et permettent aux utilisateurs d’afficher ou non les informations de leur choix. Les cartes gagnent ainsi en «épaisseur» et introduisent de l'interactivité dans les articles. Le support électronique permet par ailleurs de proposer des cartes dynamiques, représentant les variations dans l’espace et dans le temps de divers phénomènes, tel un film dont le scénario prétend livrer un message précis. L’édition numérique de M@ppemonde ouvre donc de nouvelles possibilités de communiquer l’information géographique, tout comme elle offre au lecteur de nouvelles manières d’appréhender cette information. Cependant de nombreuses questions sont soulevées. Animer pourquoi ? Animer comment ?

Animer les cartes

L’espace géographique et les territoires sont une réalité «vivante». Ils sont animés par des changements, des évolutions, des transformations; ils sont composés d’objets eux-mêmes dynamiques et mobiles; ils sont d’ailleurs souvent analysés comme des systèmes, dont on sait que l’une des propriétés fondamentales est de ne pas être figés. Or les représentations cartographiques «classiques» en donnent des images statiques qui ne disent que bien peu de chose, ou alors avec difficulté, de cette dimension dynamique. L’intérêt de l’animation cartographique est alors évident.

Par animation, nous entendons un mode de représentation donnant au lecteur la possibilité d’accéder à la connaissance approfondie d’un lieu, ou d’un phénomène se déployant dans l’espace géographique, par le biais de l’interactivité et des techniques de visualisation. Il s’agit ainsi d’une réalisation permettant d’«investiguer», de consulter plusieurs niveaux d’information, ce qui dépasse de loin la capacité à informer d’une série de cartes statiques. Ce sont l’évolution de la micro-informatique et l’essor d’Internet qui ont permis depuis quelques années une mise en valeur des résultats cartographiques sur écran. Les exemples de sites web consacrés à la cartographie et aux atlas interactifs ne manquent pas, mais force est de constater que ces résultats ne sont pas toujours probants. Maintes applications ne sont que des mises en ligne organisées de bases de données géographiques auxquelles on accède via un moteur cartographique. Parfois, les cartes accessibles sur l’Internet ne sont souvent que de simples fichiers inertes, ne présentant pas d’autres différences avec une carte imprimée que celle d’être affichée sur un écran d’ordinateur, négligeant par là même toute la richesse sous-tendue par l’interactivité et l’animation. Il arrive même que soient répertoriés sous l’étiquette «cartographie animée» des sites qui n’ont guère à voir avec l’animation. Dans ce contexte, il paraît utile d’explorer le sujet de l’animation cartographique à la fois d’un point de vue conceptuel et sur le plan méthodologique. Développer une animation cartographique renvoie en effet à plusieurs problèmes: techniques (quels outils?), sémiologiques (faut-il trouver d’autres formes de représentation que les variables dites «bertiniennes»?) et enfin géographiques (comment faire apparaître des discontinuités dans une animation par nature chronologique?).

Le dossier que nous ouvrons est conçu pour accueillir des réflexions, des exemples d’application et des développements méthodologiques sur le sujet de l’animation cartographique. Il sera constitué d’articles issus des travaux du groupe de recherche GCART (Groupe sur la Cartographie Animée et la Représentation des Territoires), formé en 2003 au sein de l’UMR ESPACE, mais offrira aussi des contributions extérieures. L’ambition est d’illustrer les potentialités offertes par l’animation en cartographie, de dégager des règles de «bonne pratique» pour la construction de telles animations, de susciter les échanges et le débat. Jusqu’à présent en effet, peu d’études ont été consacrées à ce domaine, même si la question n’est pas nouvelle. Déjà en 1961, Thrower (1) abordait le sujet, repris par Tobler (2) dans les années 1970, puis par Monmonier (3) dans les années 1990. En France, quelques initiatives plus récentes ont vu le jour (4), montrant ainsi l’intérêt porté à la question. Mais il reste encore beaucoup à faire, en particulier concernant la représentation des territoires, de l’espace géographique et des phénomènes qui s'y développent.

Considérations conceptuelles et méthodologiques

Sans prétendre à l’exhaustivité, ni affirmer la supériorité de notre approche, quelques considérations issues des travaux de GCART peuvent être utiles à formuler. Nous avons procédé selon deux séries d’activités: la réflexion d’ordre conceptuel et le développement d’applications. Nous avons choisi de délimiter notre champ d’étude en nous interrogeant sur ce qu’est ou peut être la «cartographie animée» et en cherchant à savoir si elle peut s’appliquer à tous les domaines. Assez rapidement est apparue l’idée que dans toute entreprise de cartographie animée nous avions affaire à des «objets spatio-dynamiques». Il s’agit pour nous d’objets (entités intelligibles) représentés par des figurés ponctuels, linéaires ou surfaciques (classiques en cartographie), caractérisés par deux variables: la «géométrie» et «l’état». La géométrie est un caractère morphologique fixe ou variable: l’objet change de forme ou non. L’état a un caractère qualitatif binaire : l’objet est présent ou absent, il est utilisé ou non. Bien évidemment ces objets spatio-dynamiques sont localisés et sont considérés dans leur double dimension spatio-temporelle.

Une animation cartographique peut par conséquent représenter un changement d’état, un mouvement, voire les deux à la fois. D’emblée, trois paramètres paraissent déterminants pour sa conception: l’échelle, la vitesse et le temps. Ce dernier est sans nul doute primordial. Il s’agit ici du temps de l’animation pour représenter le temps d’un phénomène. Cet aspect purement technique se double d’une question plus conceptuelle: comment représenter les discontinuités spatiales mais aussi temporelles, dans une animation par nature d’ordre séquentiel? Quoi qu’il en soit, la représentation d’un mouvement, qui se traduit dans le temps, dans l’espace ou dans les deux à la fois, renvoie à la vitesse, elle-même liée à l’échelle de la représentation. C’est la combinaison de ces trois variables qui permet de cartographier de manière animée une dynamique spatio-temporelle.

Un dernier aspect de l’animation cartographique a trait à l’interactivité, c’est-à-dire le niveau d’intervention offert à l’utilisateur pour consulter le document. Il existe plusieurs degrés d’interactivité. Le plus souvent, l’utilisateur a la possibilité d’intervenir sur l’animation et de choisir la densité d’information qu'il souhaite consulter. Les boutons lecture/pause ne font pas partie du champ interactif. En revanche, tout ce qui relève du changement de niveau d’observation (zoom), du déplacement, de l’affichage ou non de nomenclatures, de l’élaboration de scénarios, du changement de discrétisation, etc. en fait partie. L’interactivité est un outil pédagogique lorsqu’elle permet à l’utilisateur de construire sa carte, ou de voir apparaître au fur et à mesure des formes, des objets géographiques, des structures.

L’élaboration d’une animation reprend l’ensemble de ces critères. Cet exercice est alors bien supérieur à la simple valorisation d’une recherche achevée ou à la communication d’une connaissance établie. Il impose la mise à plat de cette dernière et permet par là même sa validation. L’animation cartographique apparaît ainsi comme une étape du processus de recherche, voire un outil d’investigation.

Propositions

Pour l’ouverture de ce dossier thématique, nous mettons en ligne deux articles; d’autres suivront dans la prochaine livraison de M@ppemonde.

Samuel Robert présente l’animation comme un apport à la connaissance du paysage visible. Il suit le déplacement d’un piéton le long de la Promenade des Anglais à Nice et montre le paysage que celui-ci peut voir. L’objet spatio-dynamique qu’il représente est l’espace en interaction visuelle avec le piéton. L’article, outre son intérêt méthodologique, montre qu’une animation de ce type peut être fort utile aux décideurs locaux. Il est intéressant de voir avec quelle constance certains lieux du territoire communal niçois contribuent au paysage visible par le promeneur au cours de son déplacement.

Laurent Jégou traite des représentations en prisme et de l’animation de cette pseudo vue 3D. Après une partie technique sur la réalisation des prismes et ses limites, l’auteur évalue les apports d’une animation élaborée à travers une interface utilisateur-machine, dont les limites sont là aussi présentes mais d’un tout nouvel ordre. Les avancées techniques ne sont pas toujours synonymes de simplicité; les limites d’hier sont franchies, mais de nouvelles peuvent apparaître.

Nous présenterons prochainement d’autres articles, notamment l’un de Jean-Paul Cheylan qui traite des concepts préalables à la représentation animée des processus spatio-temporels, et un autre de Lahouari Kaddouri sur la représentation animée des flux. Nous espérons susciter d’autres contributions, pour compléter ce dossier et y introduire pourquoi pas des éléments de débat.

Notes

(1) THROWER N., NORMAN J-W (1961). «Animated Cartography in the United States». International Yearbook of Cartography, vol. 1, p. 20-29.

(2) TOBLER W.R. (1970). «A computer movie simulating urban growth in the Detroit region». Economic Geography, n°46, p. 234-240.

(3) MONMONIER M. (1990). «Strategies for the visualization of geographic time-serie data». Cartographica, 27(1), p. 30-45. ISSN: 0317-7173

(4) JOSSELIN D., FABRIKANT S., dir. (2003). «Cartographie animée et interactive». Revue internationale de géomatique, vol. 13, n°1. ISBN: 2-7462-0673-0