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Le catalogue de l'exposition «Trésors photographiques de la Société de géographie» Une exposition de la Bnf présentant cet automne (1) une sélection de photographies issues de la collection de la Société de géographie, restitue les regards portés sur le monde par les voyageurs et les explorateurs au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. Le catalogue de l’exposition, un ouvrage rassemblant 254 clichés et des textes rédigés par un collectif d’auteurs (2), s’organise en quatre temps. Jean Bastié, dès l’introduction rappelle avec intérêt que la Société crée en 1821 a eu pour premier objectif de concourir aux progrès de la géographie en impulsant voyages et missions d’exploration dans les contrées du globe encore inconnues. Elle est au centre d’un vaste réseau d’informations, son champ d’action est pluridisciplinaire et surtout elle s’attache à diffuser l’information en organisant régulièrement des conférences présentant les résultats des expéditions qu’elle a soutenues. Il nous paraît utile de souligner que cette démarche a été d’autant plus fondamentale pour l’épanouissement de la discipline, que l’information ne circulait pas avec l’aisance que nous lui connaissons désormais. La première partie, L’exploration du monde (60 pages par Antoine Lefébure et Séverine Charon), met en parallèle l’émergence de la photographie, «nouvelle technologie» au service de la géographie et l’essor des expéditions visant à combler les derniers vides à explorer de la Planète. L’outil n’a pas la souplesse d’utilisation que nous connaissons, les auteurs font état d’un matériel lourd, encombrant, complexe, peu adapté aux conditions du voyage, permettant néanmoins de rapporter les premières images des régions et des peuples encore ignorés des Occidentaux. Treize missions, comportant toutes leur dose de risque, sont relatées successivement. Les clichés de l’Inde encore cadrés dans l’esprit de la peinture anglaise de nature au XVIIIe siècle, témoignent d’une époque appelée à disparaître. J. W. Powel, ingénieur topographe se fait taxer «d’attrapeur d’ombre» par les Indiens Hopi, dont les clichés évoquent la réalité objective de la découverte du continent nord-américain. Si le désert effraie encore l’Homme occidental du XIXe siècle, plusieurs reportages photographiques ont été nécessaires pour évacuer la chape d’images négatives qui pesait sur le Sahara. Les expéditions conduites au Niger, au Cameroun et dans la Corne de l’Afrique permettent une meilleure connaissance des différents groupes ethniques des régions traversées, la beauté des femmes abyssines est remarquée. Une mission pluridisciplinaire au cap Horn nous a légué les images d’un monde en sursis, celui des Fuégiens. Les auteurs révèlent que ces missions, au prétexte d’observations topographiques, hydrographiques, géologiques, botaniques... ont été fatales pour les groupes ethniques jamais encore exposés aux maladies infectieuses des Occidentaux. Si l’on peut reprocher à certains clichés une attitude statique et sans profondeur, l’évolution de la technologie réduisant le temps de pose, a permis ensuite de transmettre la charge d’émotion que l’on saisit sur le fait, celle de l’instant présent. À une époque où les représentations du monde ne se construisaient qu’à partir du récit et de la peinture, l’invention de la photographie a joué un rôle fondamental dans l’accès visuel au monde. Par la fidélité de sa restitution, les sociétés occidentales ont été confrontées à des réalités nouvelles, contribuant au profond bouleversement de leur imaginaire géographique. La deuxième partie, Un siècle de bouleversements (66 pages par Jean-Robert Pitte et Olivier Loiseaux), rassemble une série de photographies qui témoignent d’une phase d’anthropisation accélérée du monde, autant que du caractère subversif de la modernité qui se met en place. La révolution industrielle est à l’œuvre, suscitant la recherche de nouveaux gisements de matières premières. Le choix des clichés illustrant le découpage méthodique des îles Chincha pour en extraire le guano, les gisements aurifères en Australie, la culture de la canne à sucre dans le Queensland, témoigne de l’émergence d’une société dont les besoins en matières premières deviennent massifs. Le développement de la vapeur permet la révolution des transports terrestres et maritimes, des chantiers pharaoniques sont entrepris: les séries de photos sur les chemins de fer sont sans limites, leurs tracés transcontinentaux permettent la conquête de nouveaux territoires (Amérique du nord), une meilleure appropriation de l’espace (Transsibérien), contractent les distances, tout en éveillant le désir du voyage en train. La révolution de l’acier donne aux ouvrages d’art des formes jusque là absente des paysages. Si l’affichage des prouesses techniques visant à percer les montagnes, creuser des canaux transocéaniques (Panama, Suez), achève de convaincre les investisseurs et les politiques de la pertinence de leur choix, il n’aurait pas été inutile de rappeler que la géographie alors en plein paradigme déterministe, observe avec passion les ramifications du possibilisme qui s’étendent à travers le monde. Des nouvelles réalités apparaissent dans l’objectif des photographes: cheminées d’usines (Queensland, Oural), activités des zones portuaires (Naples, Liverpool), rendant compte de cette nouvelle géographie économique. La sélection d’une série de photos réalisées au Japon dans l’esprit des estampes d’un Japon éternel, trahit néanmoins l’émergence de la modernité occidentale. Reste à déplorer les redites dans ce chapitre, probablement dues au manque de coordination des auteurs qui l’ont composé. La troisième partie, Des paysages et des hommes (52 pages par Jean-Louis Tissier et Jean-François Staszak), montre combien la photographie est devenue l’outil essentiel à la réalisation de l’inventaire géographique entrepris entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. La rapidité de son exécution permet de multiplier les vues et de les transférer ailleurs pour mieux en témoigner. Au XIXe siècle, la géographie a encore une dimension historique, les clichés des monuments architecturaux (Yucatan, Inde, Cambodge) confrontent les sociétés occidentales à d’autres cultures. Ce sont surtout les manifestations de la nature qui retiennent toutes les attentions: éruptions de l’Etna en 1865, séisme de San Francisco en 1906, auxquels la photographie contribue à donner une explication rationnelle. Aimé Civiale, réalise en 10 ans 600 vues et 41 panoramas des Alpes pour faire comprendre la dynamique géologique du massif. Géographes et anthropologues se passionnent pour la question des races, les portraits photographiques de face et de profil permettent d’entreprendre une typologie des «races humaines». Ensuite, c’est davantage la singularité, le pittoresque et l’exotisme qui ont été mis en avant avec des photos en pied. Comment ne pas ressentir une certaine gêne quand les auteurs rappellent que l’indigène a pu devenir un objet de curiosité que l’on n’hésite pas à présenter dans des expositions ethnologiques ! La quatrième partie, Une collection universelle (38 pages par Olivier Loiseaux), s’attache à démontrer combien la photographie est devenue un élément à part entière dans le discours géographique à partir de la fin du XIXe siècle. James Jackson lance dès 1885 des appels à dons de photos en provenance des régions les moins connues. Civils, militaires, explorateurs, voyageurs, ingénieurs contribuent à alimenter un fond de 15 000 clichés en moins de 10 ans. Les fameuses conférences tenues boulevard Saint-Germain, sont désormais illustrées par des projections photographiques. Parallèlement les journaux, les encyclopédies, (Paul Joanne, Dictionnaire géographique et administratif de la France; Elisée reclus, La nouvelle géographie universelle) accompagnent leurs textes d’illustrations photographiques, dont la diffusion constitue les fondements des représentations du monde de cette époque. Au regard des 140 000 clichés conservés aujourd’hui par le département des Cartes et des Plans de la BnF, le choix certainement arbitraire présenté par les auteurs reste néanmoins pertinent. Rappelons à cette occasion aux chercheurs que l’intérêt de cette source est à exploiter. In fine un ouvrage fort riche, illustré de nombreuses photographies de qualités, contribuant à l’histoire des regards des sociétés occidentales sur le Monde. Un regret, celui d’une impression de déjà dit dans l’ensemble des textes. Jérôme Lageiste (1) 18 septembre - 16 décembre 2007. Site Richelieu: 58, rue de Richelieu Paris 2e. (2) Olivier Loiseaux (dir.) (2006). Trésors photographiques de la Société de Géographie. Ljubljana : Bnf / Glénat, 240 p. 34,99 euros. ISBN: 2-7234-5719-2 |