N° 89 (1-2008)
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Réflexion sur la sémiologie graphique animée des flux
UMR ESPACE – Groupe GCart, Université d’Avignon et des Pays du Vaucluse |
Introduction Depuis quelques années déjà, la cartographie animée est en plein essor et nombre de chercheurs construisent ce type d’illustration graphique (Thrower, 1961; Cornwell, Robinson, 1966; Tobler, 1970; Josselin, Fabrikant, 2003). Bien que certains géographes y aient travaillé (Moellering, 1973; Koussoulakou, Kraak, 1992; Kraak, 1999; Ségura, 2003), il n’existe pas ou peu de règles, de protocoles ni de sémiologie qui régissent cette cartographie animée, si ce n’est le bon sens. Bon sens qui nous est dicté soit par la visualisation de ces animations, soit par les règles énoncées par des chercheurs comme Jacques Bertin (1967) ou Roger Brunet (1986, 1987) — même si elles l’ont été pour des cartes statiques —, soit enfin par les réactions suscitées par la présentation de ces animations à divers publics. Que la cartographie soit animée ou non, ses objectifs ne changent pas: comprendre et faire comprendre des organisations et des dynamiques spatiales, ou encore mettre en évidence des structures spatiales. Cependant, la plupart des animations servent, le plus souvent, de moyen de communication, d’outil didactique. Notre réflexion porte sur la cartographie animée pour la communication. L’objectif principal est ici d’offrir des connaissances qui amélioreront la construction et la lecture d’une carte animée (1). Les animations qui nous intéressent sont celles qui sont permises par les technologies de l’information et de la communication, surtout celles qui mobilisent l’outil informatique. L’une des améliorations par rapport aux supports statiques (papier) est une meilleure restitution du mouvement des objets géographiques et plus particulièrement la trajectoire de ces objets (Cheylan, 2007). C’est ce qui nous a conduit à centrer notre réflexion sur les flux et les apports spécifiques de la cartographie animée pour en représenter les dynamiques ? Nous considérons comme flux tout mouvement, matériel ou immatériel, de biens, de personnes, d’informations, entre différents lieux. Ces flux de nature diverse sont représentés dans les figurations conventionnelles (statiques) sous forme de points, de lignes ou d’aires, quel que soit le niveau d’agrégation des objets géographiques considérés. Leurs variations d’intensité, de sens et de direction se construisent sur la base d’une sémiologie graphique bien établie (Bertin, 1967; Brunet, 1986; Blin, Bord, 1995; Zanin, Trémélo, 2003), utilisant principalement la superposition de cartes à des dates successives, des aires de couleurs différentes ou encore des flèches montrant les dynamiques spatiales (Saint-Julien, 1985). Cela renvoie alors aux lignes de contact, de tropisme et de dynamique territoriale présentées dans la table des chorèmes (Brunet, 1986; Mappemonde, 1986; Cheylan et al., 1990). Nous reprendrons les trois types d’objets conventionnellement adoptés pour les cartes statiques (point, ligne, aire) en vue de proposer, et de discuter, des animations cartographiques et de parvenir à une sémiologie graphique animée des flux (2). Nous présentons les animations relatives à chacun de ces types d’objets sous la forme d’un tableau élémentaire des flux animés, ce qui donnera à comprendre ces objets, mais aidera également à construire les animations elles-mêmes. Les flux sont situés dans l’espace et dans le temps; de ce fait les cartes statiques de flux montrent des différenciations spatiales, des ruptures dans le temps et dans l’espace par l’inscription de dates (rupture temporelle), d’une part, ou de lieux ou d’espaces particuliers (rupture spatiale), d’autre part. Pour nous, les cartes animées permettent, elles aussi, de mettre en évidence ces continuités ou discontinuités spatiales et temporelles. Sur ces bases, on propose alors un tableau d’animation des flux selon trois types d’objets, croisés selon quatre caractéristiques de discontinuité et de continuité spatiales et temporelles. On présentera d’abord le cadre conceptuel et théorique dans lequel s’inscrit notre réflexion, en définissant les flux, les discontinuités et les continuités spatiales et temporelles. Puis après avoir proposé cette table animée des flux, nous discuterons les apports et les difficultés de réalisation d’une sémiologie graphique relative à ces objets. Cadre conceptuel et théorique de la cartographie animée Le flux par le mouvement de points, d’une ligne ou d’une aire Sur les cartes conventionnelles, les points, la ligne et l’aire en mouvement constituent le flux. Ce flux lui-même peut être représenté par des points, des lignes ou des aires. En effet, lorsque chaque objet est représenté par un point, le flux peut être représenté par les mouvements distincts de chacun des points le constituant (un flux pouvant être égal à un point unique). Cela représente le niveau le plus désagrégé de l’objet géographique en mouvement, le niveau le plus désagrégé du flux. Il en est ainsi, par exemple, lorsque l’on représente les déplacements d’une automobile sur une route à partir d’un point de départ jusqu’à un point d’arrivée, ou ceux de véhicules de nettoyage dans les rues d’un quartier (fig. 1). Cette représentation nécessite une information aussi complète que possible sur la localisation, durant tout le temps de parcours, de chaque objet en mouvement pour restituer fidèlement le mouvement. La rareté de ce type d’informations, malgré le développement du GPS, et la complexité de la représentation d’un grand nombre de points conduisent à l’utilisation de formes plus agrégées d’objets en mouvement. La forme la plus utilisée pour représenter le flux est la ligne (fig. 2). Selon les processus étudiés, le flux peut être aussi représenté par une aire. Ce dernier cas, moins fréquent, correspond à des mouvements en zones, lors d’invasions, d’appropriations de l’espace (fig. 3), c’est-à-dire des diffusions spatiales par contiguïté avec transfert des objets du lieu, ou espace, de départ vers celui d’arrivée (Saint-Julien, 1985).
Le flux, qu’il soit figuré par un ensemble de points, par une ligne ou par une aire, peut être aujourd’hui mis en mouvement par l’animation de la carte. On le représente alors par des points, des lignes et des aires en mouvement, correspondant à une variation dans le temps et dans l’espace. C’est cette variation qui nous conduit à raisonner sur les discontinuités spatiales et temporelles. Discontinuités spatiales, discontinuités temporelles et flux Dans son acception générale, la discontinuité spatiale est une rupture qui apparaît dans l’espace (Brunet, Ferras, Théry, 1993). Elle est le plus souvent liée à la présence de frontières, de limites, d’interfaces, plus ou moins épaisses, plus ou moins floues, qu’elle soient lignes de contact, marges, changements de système spatial, barrières ou autres «obstacles». La discontinuité spatiale est mise en évidence lors de l’observation ou de la mesure d’une différence significative entre deux unités spatiales aréales contiguës, différence portant sur une ou plusieurs variables. Les mesures de similarité ou de dissimilarité, ou des degrés de ressemblance permettent le plus souvent de déterminer ces discontinuités spatiales. Lorsque la rupture est marquée par un changement d’intensité du flux (réduction ou arrêt du flux) de part et d’autre d’une limite, d’une interface ou d’une frontière, la discontinuité spatiale est alors une barrière. Mais nous utiliserons le terme plus général de discontinuité spatiale pour les flux, de préférence à barrière. Quels que soient les figurés attribués aux flux, la carte statique rend toujours compte, plus ou moins bien, de ruptures à la fois spatiales et temporelles, en jouant essentiellement sur l’épaisseur, la couleur changeante de la flèche, sur l’enchaînement de plusieurs flèches le long du parcours, de part et d’autre de la barrière, et enfin sur l’inscription d’éléments temporels (date, heure…). Beaucoup de représentations du mouvement ne sont permises que par l’emploi du figuré «flèche». L’alternative à la carte statique (et à la flèche) pour une «meilleure» représentation de la dynamique, à l’occasion d’une communication, est la superposition de plusieurs cartes statiques qui donnent à voir soit la discontinuité spatiale soit la discontinuité temporelle, voire les deux à la fois (exemple-type: le diaporama). La discontinuité temporelle est entendue comme une rupture apparente dans le temps d’un phénomène ou d’un processus, ici dans l’émission du flux. Elle était exprimée par des flèches aux «lignes brisées» dans la cartographie statique (Bertin, 1967). Cette pratique de la superposition de cartes représentant les flux (sous la forme de points, d’une ligne ou d’une aire en mouvement) conforte notre choix de raisonner, dans le domaine spécifique de la cartographie animée, sur les discontinuités et continuités spatiales et temporelles du flux. Proposition de sémiologie graphique – Table des flux animés Quelques précisions s’imposent sur la manière dont nous avons construit cette table (fig. 4). Notre proposition est volontairement simplificatrice, avec un degré de généralisation élevé. L’espace est considéré isotrope, parfois homogène et continu. Le mouvement des objets géographiques se traduit uniquement par leur déplacement, auquel s’ajoute parfois une baisse d’intensité du flux due à la présence d’une barrière. Cette baisse d’intensité des flux est binaire: présence ou absence de points, deux largeurs de lignes et deux couleurs d’aires. La rupture temporelle se traduit simplement par un arrêt du flux dans le temps au point de départ. Dans les cas de flux figurés comme des aires en propagation, il y aura un lieu émetteur et l’ensemble de l’espace sera récepteur. Les animations proposées ne tiennent pas compte de problèmes posés par le niveau d’agrégation, ou de désagrégation, spatiale ou temporelle. Cela signifie qu’il faut lire l’animation, quel que soit le processus étudié, à une échelle, un niveau d’observation, avec un pas de temps donnés: les phénomènes sont visibles ou modélisables à ces échelles et à ces pas spatio-temporels. Nous n’avons utilisé, dans notre table, qu’une très faible partie du potentiel offert par l’informatique: c’est, en particulier en termes d’interactivité, la commande de lecture qui permet de revoir l’animation du temps initial (t0) au temps final (tn). Le mouvement du figuré dans l’espace peut suffire à évaluer les temps de parcours, les temps des processus, mais pas toujours (3). Aussi une barre de défilement du temps (horloge) est-elle systématiquement associée au mouvement des figurés. On insiste par là sur le caractère spatio-temporel du mouvement. Les objets en mouvement représentés dans notre table ont tous la même vitesse au départ. La table représente 12 cas de figure: ce sont des modèles animés de flux correspondant au croisement de 3 types d’objets conventionnels, en ligne, avec, en colonne, la double entrée spatiale et temporelle (continuité et discontinuité). Par commodité, nous avons choisi un seul type de discontinuité spatiale: une rupture linéaire de type frontière ou interface (représentée par une ligne en pointillés sur les figures 4.7 à 4.12). Cela aurait pu être un lieu (un point) ou un espace (une aire). Flux animé et continuité spatiale (fig. 4.1 à 4.6) Parler de continuité spatiale pour un flux signifie que le mouvement est continu dans l’espace, sans rupture, sans barrière, sans frein, dans une direction donnée, entre un lieu (ou espace) émetteur et un lieu (ou espace) récepteur. Bien qu’il puisse exister une rugosité spatiale qui ralentisse la trajectoire des objets, en aucun cas on ne pourra observer une variation de l’intensité du flux au cours du déplacement. Si variation il y a dans la trajectoire, cela signifie qu’il existe un autre lieu ou un autre espace récepteur (ce qui n’est pas le cas dans nos modèles).
La continuité temporelle exige que l’émission du flux soit ininterrompue (fig. 4.1 à 4.3). Aussi, quel que soit le figuré représentant le flux, l’intensité du flux ne peut-elle varier dans le temps qu’au lieu (ou espace) émetteur. Cette variabilité dans l’intensité des flux permise à l’émission peut être «continue» dans l’espace et dans le temps (une sorte de périodicité). Ainsi, un flux continu dans l’espace et dans le temps peut être représenté par le mouvement de points, d’une ligne ou d’une aire depuis un lieu (ou espace) de départ vers un lieu (ou espace) d’arrivée; l’intensité (taille, poids, épaisseur, hauteur, couleur…) de ce mouvement ne varie pas au cours de la trajectoire et l’émission est sans rupture à partir du lieu émetteur (fig. 4.1 à 4.3). En revanche, un flux continu dans l’espace et discontinu dans le temps correspond au cas d’une rupture temporelle dans l’émission de ce flux. En observant les animations, on constate que le flux s’interrompt momentanément: il y a un temps d’arrêt dans l’émission de points (fig. 4.4), ou l’apparition d’une coupure dans la ligne (fig. 4.5), ou enfin l’apparition d’une auréole (fig. 4.6). Flux animé et discontinuité spatiale (fig. 4.7 à 4.12) La discontinuité spatiale ou la barrière marquent une rupture entre deux espaces aux caractéristiques et aux propriétés différentes. Pour les flux émis à partir d’un lieu, ce passage de barrière se traduit par une baisse de l’intensité du flux de l’autre côté de la barrière que nous avons marquée (diminution du nombre de points, fig. 4.7 et 4.10, différence d’épaisseur dans les lignes, fig. 4.8 et 4.11, et différences de couleurs dans les aires, fig. 4.9 et 4.12). Cette baisse d’intensité peut s’accompagner également d’une baisse ou d’une augmentation de la vitesse du flux traversant la barrière. Ce sont ces temporalités sensiblement différentes dans les flux de part et d’autre de la rupture que nous avons voulu mettre en évidence dans les figures 4.10 et 4.12. La baisse de l’intensité du flux marque de fait une variation non plus à l’émission mais durant le parcours à partir de la barrière: variation du nombre de points (fig. 4.7 et 4.10), de l’épaisseur des lignes (fig. 4.8 et 4.11), de la couleur des aires (fig. 4.9 et 4.12). Cette variation naît de la plus ou moins grande imperméabilité de la barrière qui entraîne le «stockage» d’une certaine quantité d’objets constituant le flux sur une durée plus ou moins longue au niveau de la barrière; ce qui n’est pas sans poser le problème de la représentation de cette quantité (cf. supra) ou de sa non-représentation (comme dans notre table). Discussion sur les apports et les difficultés de l’animation des flux L’animation des flux nous a permis de mettre en évidence des phénomènes jusque-là non répertoriés dans la réalisation d’une cartographie animée des flux. Le paradoxe de l’image figée pour représenter un mouvement Étant donné un niveau d’observation, une échelle cartographique, un pas de temps et une durée de l’animation, un cas théorique et particulier d’animation d’un flux continu dans l’espace et dans le temps peut se présenter: c’est le flux continu à intensité constante à partir du lieu (ou espace) de départ. On observe en effet que l’animation d’un tel flux, linéaire ou aréal, offre une caractéristique originale: une image statique apparaît lorsque les flux atteignent le lieu (ou espace) d’arrivée tout en continuant d’être émis avec une intensité constante à partir du lieu (ou espace) de départ (fig. 4.2 et 4.3). Dans ce cas paradoxal d’apparition d’une image statique, alors que l’on veut représenter une dynamique, la présence d’une horloge est indispensable pour améliorer la communication sur le mouvement, et par là même la compréhension du phénomène. Cette horloge permet de mesurer la durée des flux continus dont l’image en apparence figée signale toutefois la présence. Cependant cette image figée nous conduit à une interrogation. Si la carte est immobile, sans «mouvement» apparent, quel intérêt trouve-t-on à cette animation si on la prend en marche? Y aurait-il dans ce cas, une mauvaise adéquation entre les échelles spatiale et temporelle choisies? Le problème du passage d’une barrière Avec une cartographie statique, les flux franchissant une barrière sont représentés par des figurés (points, lignes, aires) en aval et en amont de celle-ci. Cette présence double permet alors de mesurer la perméabilité de la barrière par la comparaison des flux y parvenant et en sortant, et ainsi de mesurer la quantité de flux ne l’ayant pas traversée. En revanche, l’animation des flux ne permet pas de mesurer la quantité arrêtée à la barrière par la comparaison des flux entrants et sortants puisque ceux-ci ne sont pas figurés en simultané (fig. 4.7 à 4.12). Ce qui amène la question de la représentation des objets arrêtés. Ne pas les représenter laisserait croire qu’ils ont disparu, mais les représenter soulèverait deux types de difficultés:
La libération de cette accumulation peut augmenter l’intensité du flux. Ainsi, un flux reçu à un instant t peut être supérieur ou inférieur à celui émis. Aussi, pour celui qui prend l’animation en cours, ceci peut-il être très perturbant et incompréhensible au premier abord. La difficulté de lecture et de compréhension d’une animation cartographique vient de ce que, contrairement à une carte statique, la carte animée n’affiche pas à un instant t l’intégralité des informations connues pour toute la durée de l’animation. Représentation de la temporalité des phénomènes et de l’échelle temporelle: le rôle de l’horloge La cartographie animée des flux permet, mieux que la cartographie statique, la figuration simultanée de l’intensité du flux et de la vitesse des objets en mouvement. L’horloge apparaît néanmoins comme un outil indispensable à cette forme de représentation. En effet, associée à l’échelle cartographique, cette échelle temporelle permet de mesurer la vitesse des processus, des mouvements. Elle est apparue comme une solution apte à compenser la fixité de l’image du flux continu. Cette horloge permet aussi de dater les ruptures temporelles. On peut imaginer aller plus loin dans son utilisation, en jouant sur l’interactivité: l’horloge permet de montrer au cours de l’animation les temporalités possibles d’un processus. Ainsi, en réduisant le pas de temps ou en l’augmentant, en ralentissant ou en accélérant l’animation, on pourra montrer qu’un mouvement continu peut à une certaine vitesse paraître discontinu (ou à l’inverse qu’un flux discontinu peut paraître continu). Cette interactivité-là, bien qu’elle soit aussi utile pour la communication, sera un élément essentiel sur le plan «exploratoire» de la carte animée, pour comprendre les phénomènes représentés. Le cartographe et la cartographie animée Cette proposition de table nous a conduit également à une réflexion sur la cartographie et le cartographe. Depuis le développement d’outils d’assistance cartographique (comme les logiciels de SIG) et l’automatisation de la conception de la carte, on voit de plus en plus de mauvaises réalisations qui ne respectent aucun principe de sémiologie graphique. Or un bon cartographe est avant tout un bon géographe capable de comprendre et de faire comprendre les phénomènes observés. Il en va de même pour la carte animée. La carte animée permet aujourd’hui d’intégrer plus de complexité qu’une carte statique, en particulier par l’introduction d’informations d’ordre temporel: choix du pas de temps, de la durée de l’animation, etc. Le cartographe doit rendre cette complexité compréhensible par le lecteur. La représentation plus détaillée du mouvement, moins généralisatrice et moins simplificatrice que la cartographie statique, apportant donc plus d’informations, ne doit pas rendre plus compliquée la compréhension de la carte animée, qui doit rester avant tout un modèle, une représentation simplifiée d’un processus. Logiciels inadaptés ou informations inappropriées à la cartographie animée ? Les difficultés à élaborer cette table conduisent à poser la question de l’adéquation entre information géographique, cartographie animée et logiciels d’animation cartographique. Les logiciels permettant la cartographie animée (ici Flash) sont-ils faits pour cela? L’information géographique disponible est-elle adaptée à la réalisation de cartes animées? L’animation ne se fait pour le moment que par des successions plus ou moins grossières d’images, avec des interpolations (manuelles) entre deux cartes successives. Même le changement d’intensité d’un flux continu est le résultat d’un bricolage technique. Quel que soit le choix de représentation, il est fortement dépendant de l’information géographique disponible ou du traitement de cette information. Or aujourd’hui, nous utilisons des informations récoltées et mises en forme pour de la cartographie statique. Il faut se demander si la collecte et le traitement de l’information ne sont pas à repenser pour l’adapter aux moyens offerts par les technologies de la communication et de l’information. Ne faudrait-il pas, en particulier, accorder, dans le cadre de cette réflexion sur la collecte de l’information, plus d’importance à la dimension temporelle? Réfléchir à la temporalité des objets, de l’animation, de la perception, des phénomènes (Cheylan, 2007)? Il est évident qu’il y a, pour le moment, une inadéquation entre logiciels, information géographique et cartographie animée. L’animation du flux signe-t-elle la fin de la prépondérance de la flèche? La figuration du flux impose, outre une direction, un sens de circulation. En cartographie statique, ce sens est le plus souvent signalé par la flèche. Dans notre table, aucune flèche n’apparaît pour signaler le sens du mouvement. En effet, en cartographie animée, le sens de circulation peut être donné par l’animation des flux. C’est l’apparition du flux à partir du point émetteur, puis son déplacement jusqu’à un point d’arrivée, avec une trace (4) plus ou moins grande qui représente à la fois le sens de circulation, la nature et l’intensité du flux. Aussi, dans la plupart des cas, la flèche n’a-t-elle plus lieu d’être puisque l’animation du mouvement montre intrinsèquement le sens de circulation. Cependant, dans le domaine de la communication, rien ne permet de supposer que la flèche disparaîtra de tous les types de représentation des flux. Conclusion Cette tentative de classification est une contribution à l’établissement d’une sémiologie graphique animée, en particulier celle des flux. Son but est d’aider à mieux restituer l’informations géographique. Elle permet de soulever beaucoup de questions sur la figuration de certains processus spatiaux. Bien que notre point de départ ait été essentiellement l’utilisation de la carte animée pour la communication, nous avons rapidement compris que la carte animée pouvait aussi être un outil «exploratoire». Cela nous a paru évident lors de l’élaboration de la table, quand apparut une image fixe dans la représentation d’une dynamique… Ce genre d’imprévu et les difficultés rencontrées, aussi bien conceptuelles que techniques, soulèvent la question des avantages et des inconvénients de l’animation cartographique en général et de celle des flux en particulier. Un des avantages les plus remarquables est l’amélioration de la perception de la dimension temporelle (apparition, disparition, circulation, arrêt), en particulier celle des temporalités dans les processus. L’animation des flux permet aussi d’augmenter les possibilités de visualisation des sens de circulation, des intensités et des natures des flux (quantité, qualité), et d’introduire des changements dans ces variables visuelles (épaisseurs, couleurs, transparences…), de manière instantanée ou graduelle, dans l’espace et dans le temps. Enfin, la représentation d’un ensemble de flux sur une carte statique nécessite souvent, pour une bonne compréhension, la définition d’un seuil (une intensité minimale) en dessous duquel les flux ne sont pas représentés (Brunet, 1987): par exemple, entre deux lieux, la superposition d’un grand nombre de flux de taille différente impose la détermination d’un seuil (intensité minimale) de représentation. En revanche, dans de nombreux cas, l’animation des flux permet de tous les représenter puisqu’ils ne se produisent pas tous en même temps. Parmi les inconvénients que l’on pourrait citer, on en mentionnera deux (pas insurmontables) qui ont trait à l’appropriation de la cartographie animée par le producteur et l’utilisateur:
L’animation contraint le cartographe à affronter une révolution technologique équivalente à celle du passage de la cartographie manuelle à la cartographie assistée par ordinateur, à la différence près que la première révolution n’a pas provoqué de changement sémiologique majeur: on avait affaire dans les deux cas à de la cartographie statique. Le passage de la carte statique à la carte animée oblige à une révolution conceptuelle et théorique avec l’élaboration d’une nouvelle sémiologie graphique. Il serait urgent que les géographes établissent eux-mêmes une sémiologie graphique de l’animation, des règles générales de cartographie animée, avant que n’apparaissent des logiciels qui automatiseront ce type de cartographie. Cela pourrait nous éviter d’assister aux dérives que l’on a connues lors de la généralisation de la cartographie statique assistée par ordinateur (et souvent nommée, de manière révélatrice, cartographie «automatique»). Le débat mérite d’être enrichi, peut-être à partir d’applications des présentes propositions. Pour autant, il n’est nullement acquis que la carte animée remplacera complètement la carte statique. Références bibliographiques BERTIN J. (1967). Sémiologie graphique. La Haye; Paris: Mouton; Gauthier-Villars, 431 p. et réédition (2005), Paris: Éd. de l'EHESS, coll. «Les Réimpressions des Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales», XI-452 p. ISBN: 2-7132-2027-0 BLIN E., BORD J.-P. (1993, 2e éd.). Initiation géo-graphique ou comment visualiser son information. Paris: SEDES, 284 p. ISBN: 2-7181-9326-3 BRUNET R. (1986). «La carte-modèle et les chorèmes». Mappemonde, n°4/86, p. 2-6. BRUNET R. (1987). La Carte mode d’emploi. Paris: Fayard/Reclus, 269 p. ISBN: 2-213-01848-0 BRUNET R., FERRAS R., THÉRY H. (2007, 3e éd.). Les Mots de la géographie. Montpellier-Paris: Reclus-La Documentation française, coll. «Dynamiques du territoire», 518 p. ISBN : 2-11-003036-4 CHEYLAN J.-P. (2007). «Les processus spatio-temporels: quelques notions et concepts préalables à leur représentation». Mappemonde, n° 87 CHEYLAN J.-P., DEFFONTAINES J.-P., LARDON S., THÉRY H. (1990). «Les Chorèmes: un outil pour l’étude de l’activité agricole dans l’espace rural?». Mappemonde, n°4/90, p. 2-4. CORNWELL B., ROBINSON A. (1966). «Possibilities for Computer Animated Films in Cartography». The Cartographic Journal, Vol. 3/2, p. 79-82 JOSSELIN D., FABRIKANT S. (dir.) (2003). «Cartographie animée et interactive». Revue internationale de Géomatique, Vol. 13/1. KOUSSOULAKOU A., KRAAK M.-J. (1992). «Spatio-temporal maps and cartographic communication». The Cartographic Journal, Vol. 29/2, p. 101-108. KRAAK M.-J. (1999). «Cartography and the use of animation». In PETERSON M.P., CARTWRIGHT W., GARTNER G., Multimedia Cartography. Berlin: Springer-Verlag, p. 173-180. ISBN: 3-540-65818-1 Mappemonde (1986) «Chorèmes et Modèles». Montpellier: GIP Reclus, n°4/86, 48 p. MOELLERING H. (1973). «The Computer Animated Film: A Dynamic Cartography». Proceedings, Association for Computing Machinery, p. 64-69. SAINT-JULIEN Th. (1985). La Diffusion spatiale des innovations, Montpellier: GIP RECLUS, coll. «Reclus modes d’emploi», 37 p. ISBN: 2-86912-002-8 SÉGURA L. (2003). «Analyse spatiale et cartes animées: construction d’un prototype d’animation des dynamiques démographiques». Revue internationale de Géomatique, Vol. 13/1. THROWER N. (1961). «Animated Cartography in the United States». International Yearbook of Cartography, vol. 1, p. 20-29. TOBLER W.R. (1970). «A computer movie simulating urban growth in the Detroit region». Economic Geography. Vol. 46, p. 234-240. ZANIN Ch., TRÉMÉLO M.-L. (2003). Savoir faire une carte. Aide à la compréhension et à la réalisation d’une carte thématique univariée. Paris: Belin, coll. «Belin Sup. Géographie», 199 p. ISBN: 2-7011-3671-7 Notes 1. Mes remerciements à Guerino Sillère et à Samuel Robert du Groupe GCart (UMR ESPACE). Les travaux exposés sont issus des séminaires du groupe GCART, séminaire méthodologique de l’UMR ESPACE qui s’est réuni de 2004 à 2007. 2. Cette démarche est un préambule à une étude plus complexe et plus complète relative à l’élaboration de règles (ou de protocoles) de sémiologie graphique animée et d’établissement d’une table des structures élémentaires animées. Programme de recherche 2008-2011 de l’UMR ESPACE-Avignon, coordonné par C. Helle et L. Kaddouri. 3. C’est notamment le cas pour des flux continus et constants dans l’espace et le temps (figure 2 et 3). 4. La trace d’une flèche est la «queue» d’une flèche. |