Le vote Front national dans les régions françaises: le retour vers un vote d’adhésion
1. Vote pour le Front national au premier tour des élections régionales de mars 2010 |
La géographie du vote Front national au premier tour du scrutin régional du printemps 2010 [1] reste stable et fortement différenciée sur le territoire métropolitain (fig. 1). Au sein d’un trapèze Dunkerque/Paris/Belfort/Strasbourg, seule une minorité de cantons accorde moins de 15% des suffrages exprimés au parti de Jean-Marie Le Pen. De même, il réalise de très bons scores dans un rayon d’environ 100 km autour de Lyon, ainsi que sur le littoral méditerranéen et dans son arrière-pays. À l’inverse, l’Ouest et le Sud-Ouest lui demeurent hostiles, sauf le long de la vallée de la Garonne. Le Front national atteint le seuil des 10% des suffrages exprimés dans 12 régions métropolitaines sur 22, lui permettant ainsi de se maintenir au second tour dans des triangulaires.
La carte de l’évolution du vote pour le Front national entre le premier tour de l’élection présidentielle de 2007 et celui du scrutin régional de 2010 est riche en enseignements (fig. 2). Les progrès du Front national se concentrent à l’est d’une ligne Le Havre/Orléans/Lyon/Montpellier, en particulier dans les régions Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Champagne-Ardenne, Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur. On peut tenter d’expliquer ce regain du vote frontiste par quatre phénomènes concomitants. En premier lieu, une partie de l’électorat aisé, aux valeurs traditionnelles et ancrée très à droite, ne se reconnaît plus dans le discours et l’action de Nicolas Sarkozy. Ainsi, le Mouvement pour le France (MPF) de Philippe de Villiers, désormais rallié à l’UMP, n’a pas réussi à convaincre cette frange dure de la droite de soutenir la majorité présidentielle. En deuxième lieu, les électeurs des classes moyennes inférieures qui avaient adhéré au discours fédérateur de Nicolas Sarkozy sur «la France qui se lève tôt», très attachés aux valeurs du travail et du mérite, ont sanctionné le gouvernement. En effet, cet électorat est sensible aux effets de la crise économique et de l’insécurité, sous toutes ses formes. Par ailleurs, le projet de taxe carbone a été ressenti comme une double peine pour les électeurs des zones rurales ou périurbaines qui doivent chaque jour prendre leur voiture pour se rendre de leur domicile à leur lieu de travail. En outre, la profession agricole qui vote classiquement à droite semble avoir fait défaut à l’UMP. Dans le contexte de l’effondrement des revenus agricoles, de la désertification de certains espaces ruraux et de l’indifférence du gouvernement à l’égard du monde paysan, le Front national et la gauche gagnent des suffrages dans les campagnes du Bassin parisien, de la Champagne ou de la Lorraine. Enfin, le débat sur l’identité nationale, le port du voile intégral et les minarets a relancé la place du Front national dans la campagne électorale, car rappelons que c’est en référence à ces thématiques de l’immigration, du territoire et de l’insécurité que le parti frontiste s’est développé dans les années 1980.
2. Évolution du vote pour le Front national entre l’élection présidentielle de 2007 et le scrutin régional de 2010 |
Le Front national dispose d’une réserve de voix non négligeable parmi les abstentionnistes. Dans les régions où il est présent au second tour dans une triangulaire, le sursaut du vote pour le parti de Jean-Marie Le Pen est amplifié sauf dans les départements de l’Ardèche et des Alpes de Haute-Provence (fig. 3). Ce phénomène est nouveau, puisque, habituellement, lors des élections locales à deux tours, le FN voit son score baisser ou progresser de façon très limitée entre les deux tours. Ainsi, les cantons où Nicolas Sarkozy avait pris le plus de voix au Front national en 2007 sont ceux où le parti frontiste progresse le plus et où l’abstention était la plus forte au premier tour. L’Alsace, de tradition centriste, est la seule région où le vote Front national a peu progressé entre les deux tours et où le regain de la participation a profité à l’UMP. De même, au second tour, le Front national a bénéficié d’un apport de voix qui s’étaient portées sur les listes dissidentes d’extrême droite au premier tour (liste «Non aux minarets» en Moselle, liste de la «Ligue du Sud» de Jacques Bompard dans le Vaucluse, listes du Parti pour la France, soutenues par Carl Lang, dans plusieurs régions notamment dans l’Ouest et le Nord-Ouest).
Le cas du Languedoc-Roussillon est particulier. Le Front national y progresse fortement entre les deux tours malgré l’absence d’une liste dissidente au premier tour. Une partie de l’électorat traditionnel du Front national, captée par Georges Frêche au premier tour, est retournée naturellement vers la candidate du parti France Jamet. Des électeurs FN qui s’étaient abstenus au premier tour se sont mobilisés et sont revenus dans le jeu électoral. Dans le même temps, une part des électeurs de la liste PS-Front de Gauche n’a pas souhaité soutenir Georges Frêche et a préféré l’abstention.
3. Évolution du vote pour le Front national entre les deux tours des élections régionales de mars 2010 |
Dans le Nord-Pas-de-Calais, nous observons un effet d’amitié local net pour Marine Le Pen. Grâce à une campagne de terrain active, la candidate du Front national a su mobiliser les électeurs de cette région, sévèrement touchée par le chômage de longue durée, les relocalisations et les fermetures d’entreprises ou d’usines, les difficultés sociales et économiques liées à la reconversion, les problèmes de l’immigration non résolus depuis le démantèlement du centre de Sangatte... Sans renier le discours et les principes de son père, elle a su adapter les thèmes forts du parti à l’actualité et aux réalités du terrain pour convaincre une population désespérée qui ne croit plus dans les partis de gouvernement pour changer et améliorer leur quotidien. Ainsi, dans plusieurs cantons du département du Pas-de-Calais (Hénin-Beaumont, Montigny-en-Gohelle, Leforest, Rouvroy, Noyelles-sous-Lens…), Marine Le Pen devance largement au second tour la candidate UMP, la secrétaire d’État aux technologies «vertes», Valérie Léthar.
Une grande partie des électeurs déçus par le sarkozysme s’est abstenue. Si elle s’était rendue aux urnes, la dynamique du vote Front national aurait sans doute été amplifiée. Comme le souligne une étude réalisée par l’IFOP (Fourquet, 2010), c’est dans les cantons correspondant à des fiefs historiques du Front national que l’abstention a atteint ses plus hauts niveaux au premier tour. Dans ces espaces, il subit une forte baisse par rapport au scrutin de 2004, même si son score reste nettement au-dessus de la moyenne nationale du parti. Dans la France de l’Est, il semble qu’une partie de l’électorat populaire, qui avait soutenu Nicolas Sarkozy en 2007, ait choisi d’exprimer son mécontentement par l’abstention au premier tour, puis par le vote FN au second. Contrairement à ce qu’ont pu affirmer les médias, l’abstention au premier tour des régionales n’a aucunement profité au FN, bien au contraire.
Bibliographie
FOURQUET J. (2010). «Analyse sur la remontée du Front national aux élections régionales 2010». Notes de la Fondation Jean Jaurès, 7 p.