Défense ludique: la connexion russe
La Défense est l'objet d'un nouveau programme de constructions à l'horizon de 2015. Si certains projets ambitieux, comme la tour Signal de Jean Nouvel, ont été écartés, du moins pour le moment, plusieurs ont été approuvés en février 2010: les tours Majunga, Generali, Air 2 (Carlyle), D 2 (Sogecap), Carpe Diem (Aviva et Predica). Toutes sont des tours de bureaux. Peu après a été entériné le projet le plus ambitieux: celui des tours jumelles Hermitage Plaza.
Les tours Hermitage Plaza [1] devraient s'élever en bord de Seine, à Courbevoie, dans l'îlot qui borde à l'extérieur le boulevard circulaire: vue imprenable sur Paris. Elles seront les plus hautes de la Défense, et donc de France, voire d'Europe occidentale: 323 m de haut, un mètre au-dessous de la Tour Eiffel (antennes comprises…) «par modestie»; soit 93 étages pour l'une, 91 pour l'autre. Le dessin, élégant, est de Norman Foster. Le concept est relativement nouveau et assez franc: il s'agit de tours de luxe, à destination principalement ludique et de loisirs, devant associer des bureaux, des appartements du dernier chic – certains suggérés comme résidences secondaires – une hôtellerie cinq étoiles, des salons de réunions et de conférences, une galerie d'art, un auditorium et des salles de spectacles, des salles de jeux, un casino, des restaurants, tout ce qu'il faut comme soins du corps (gymnastique, sports et thalassothérapie inclus).
L'investissement se monte à deux milliards d'euros pour 250 000 m2. Leur construction exige la destruction des immeubles d'habitation des Damiers de Bretagne, impliquant le relogement de 250 familles. Le projet, qui ne faisait pas partie des décisions de l'établissement public de la Défense (EPAD) du début de 2010, a été très remarquablement l'objet d'un accord international en juin 2010, par la signature conjointe des présidents des républiques française et russe, MM. Sarkozy et Medvedev en personne. Il est en effet piloté par une société Hermitage, de droit français mais à capitaux russes: une coopération franco-russe d'un genre nouveau.
Hermitage [2] a été créée en 2004 et s'est déjà fait connaître par des lotissements de luxe liés à Eurodisney à Montévrain (Allées de l'Hermitage, 300 logements sécurisés sur 50 ha, avec annonces de défiscalisation) et des projets à Mantes-la-Jolie et Carrières-sous-Poissy; Montévrain a donné lieu à des contestations dont la presse a fait état (Le Parisien, 24 juin et 16 juillet 2009). La société est dirigée par un jeune promoteur visiblement ambitieux, Emin Iskenderov. Elle est une filiale à part entière d'un groupe russe Stroïmontage. Celui-ci a été créé en 1994 à Saint-Pétersbourg par Sergueï Polonski et Artour Kinlenko, qui semblent avoir fait partie de l'entourage pétersbourgeois de Vladimir Poutine — de l'origine pétersbourgeoise vient sans doute le nom Hermitage. Stroïmontage a notamment construit à Petersbourg le plus grand centre d'affaires de la ville (Pétrovski Fort).
De ce groupe est issu un vaste consortium immobilier russe installé à Moscou, Mirax, créé en 2001 et dirigé par les mêmes. Mirax construit les tours de la Fédération à «Moscou-City», deux immeubles de 367 m de haut (93 étages, 207 000 m2 utiles, 428 m avec la flèche-antenne) et 245 m (63 étages, 110 000 m2) au 16, Krasnopresnenskaïa. Elle a construit ou possède toute une série d'appartements de luxe, dont avenue Koutouzov une résidence sécurisée dite des Clefs d'Or (Zolotié Klioutchi Konciergeï), sur 140 000 m2, au prix moyen de 20 000 dollars le m2… et où seules les voitures étrangères sont admises, celles qui sont construites en Russie étant jugées trop bruyantes et polluantes. Mirax a même un projet immobilier dans la riche station suisse de Crans-Montana (Aminona), un autre en marina à Miami Beach (Floride). La presse et le site russe Rumafia ont fait état à plusieurs reprises de problèmes financiers et juridiques autour de ce groupe assez fermé et peu communicatif hors de ses publications officielles [3]. Sa filiale Hermitage profite certainement de son expérience et de sa compétence professionnelles.
Dans quelle profession exactement, la Défense devrait le savoir dans quelque temps.