N°99

Les mobilités quotidiennes dans la région urbaine de Grenoble

L’une des préoccupations majeures du travail doctoral dont est issue l’image ci-dessous était de diversifier les types de représentations graphiques et cartographiques, afin de faire varier les échelles de lecture de la mobilité quotidienne pour mieux comprendre ses multiples formes et leurs composantes. C’est pourquoi il serait plus opportun de présenter une série de représentations. Néanmoins, cet impératif du choix d’une image unique donne une autre possibilité: choisir une image originale qui, en privilégiant certains aspects, suscite de nouvelles interrogations et invite à aller au-delà, à chercher de nouvelles exploitations et de nouvelles formes de représentations pour alimenter le questionnement.

L’image choisie constitue plutôt une introduction à la thématique de la mobilité, et permettra de mieux situer la recherche des représentations appropriées de la mobilité quotidienne.

La thèse dont est issue cette image est consacrée à la mobilité quotidienne des habitants. La mobilité, qui permet l’accès à différentes ressources et à la ville plus généralement, constitue aujourd’hui une nécessité quotidienne et participe à la métropolisation. Ainsi, pour l’analyser, il est nécessaire de considérer un périmètre vaste: celui d’une aire métropolitaine. Si la mobilité comprend l’ensemble des dimensions relatives au déplacement d’une personne — c'est-à-dire les dimensions spatiales et temporelles, les moyens utilisés, les compétences mobilisées et l’appropriation de cette mobilité par la personne — son analyse doit, par la suite, pouvoir rendre compte de la diversité de combinaisons de ces éléments. Enfin, une telle analyse peut être menée à différentes échelles: celle d’un territoire, d’une société et d’un groupe d’individus, voire de l’individu.

La lecture multi-facettes de la mobilité proposée dans ce travail tend à réunir l’ensemble des dimensions, à différentes échelles, pour mieux saisir les aspects majeurs. Le terrain choisi est la région urbaine de Grenoble (253 communes), le périmètre de la dernière «enquête ménages déplacements» (EMD) effectuée en 2002. Les données recueillies dans cette enquête ont servi à l’analyse de la mobilité [1]. Ce type d’enquête constitue une solide base de données, recensant des informations détaillées sur l’ensemble des déplacements d’une journée pour des ménages tirés au sort — tous les membres du ménage âgés de plus de cinq ans répondent à l’enquête [2]. En plus des données spatio-temporelles, les informations caractérisant les habitants et les ménages auxquels ils appartiennent complètent l’image de la journée mobile observée.

1. L’horloge des flux de déplacements en région grenobloise

L’image fournie présente la région urbaine de Grenoble avec une répartition différenciée des flux de déplacements sur 24 heures. Cette première exploitation, plutôt classique en ce qui concerne le type de données mobilisées (flux agrégés de déplacements individuels, selon leurs lieux d’origine et de destination), aborde la mobilité à travers l’effet structurant des flux, à l’échelle de l’ensemble de la région métropolitaine. Le fait de s’intéresser aux temporalités de ces flux est en revanche innovant. Pour mettre en avant la dimension temporelle, les déplacements d’une journée des habitants sont regroupés heure par heure, entre quatre heures du matin et quatre heures le lendemain (la période standard de «l’enquête ménages déplacements»). Afin de rendre compte des pulsations de ce territoire, avec les périodes de pointe des échanges entre les communes, la représentation la plus appropriée nous a semblé être une carte animée. Ainsi, on reconstitue, au fil des déplacements signalés dans l’enquête, le «film de mobilité» d’une journée sur le territoire grenoblois. Ce type de représentation améliore la saisie et la compréhension des liens et des échanges qui s’effectuent entre les communes de cette région urbaine.

Les communes et les quartiers de deux agglomérations, Grenoble et Voiron, présentent des dynamiques différentes selon les périodes de la journée, pour certaines cycliques, pour d’autres continues. Cette représentation montre des pôles et des couloirs d’échange des flux à l’intensité variant au fil des heures. Durant les périodes de pointe, les flux se répartissent sur l’ensemble de la région grenobloise: périodes de grande intensité de déplacements du matin et de la fin d’après-midi, liées notamment aux temporalités d’emploi et de formation.

Pour autant, certains «espaces vides», où les flux ne se déploient pas, persistent. À la fin de la journée, les non-fréquentations interzonales concernent la plupart de la région à l’exception des pôles centraux. Ces situations sont intimement liées aux emplois du temps et aux pratiques individualisées des habitants, mais dépendent aussi de l’offre d’activités des espaces et de leur accessibilité dans le temps.

Les différences de fréquentation des espaces observées ici s’avèrent encore plus flagrantes si l’on analyse les flux selon les modes utilisés ou les caractéristiques des personnes mobiles (les déplacements des actifs et des chômeurs).

Pour affiner ces premières observations, une exploitation plus poussée des flux est proposée, toujours à l’échelle de l’ensemble de l’aire d’étude. Il s’agit d’une analyse des hiérarchies urbaines à travers l’analyse des orientations des premiers flux de déplacements sortant des communes. En s’inspirant des travaux du laboratoire Géographie-cités (Berroir et al., 2004, 2006), nous proposons d’aller au-delà de l’analyse des flux pendulaires, pour élargir l’analyse aux autres motifs de déplacements quotidiens que celui du travail: les déplacements d’achats et de loisirs. Ainsi, si la représentation cartographique est toujours celle des cartes en oursins (liens entre les communes aux différents niveaux hiérarchiques), l’intérêt de l’analyse tient ici plutôt à la construction d’une nouvelle information sur les hiérarchies urbaines. On retrace des hiérarchies qui changent selon les motifs de déplacements et produisent des polarités différentes: la mono-centralité de Grenoble liée à l’emploi disparaît au profit d’une structure multipolaire pour les activités liées aux achats, et non polarisée pour les activités de sociabilité et de loisirs, où les flux sont notamment de proximité, mais sortent du périmètre d’étude. Ces représentations font également apparaître les territoires des pratiques quotidiennes, variant selon la nature de ces pratiques.

La deuxième partie de la thèse, outrepassant la seule question des flux de déplacements, s’intéresse plus particulièrement aux pratiques quotidiennes des habitants. L’analyse des emplois du temps et de l’espace des habitants mobiles (Chardonnel, 1999), suivant le cadre théorique de l’activity based approach (approche à la mobilité basée sur les activités, McNally, 2000), a conduit à une typologie des pratiques de mobilité.

La diversité des situations de mobilité révélée par cette typologie a été par la suite développée et nuancée dans la troisième partie de la thèse, par une analyse descendant au niveau individuel. Elle vise à une meilleure connaissance des trajectoires individuelles, pour appréhender notamment les disparités d’accès. Diverses représentations graphiques et cartographiques ont été utilisées pour appuyer et guider ces analyses, en apportant plus de détails aux analyses statistiques effectuées à une échelle supérieure. Il s’agit notamment des représentations cartographiques spatio-temporelles en trois dimensions, inspirées par les travaux du courant de la time-geography (Hägerstrand, 1970, 1984). Depuis l’établissement de leurs bases, ces travaux ont connu des obstacles et des critiques quant à leur opérationnalité (Chardonnel, 2007), mais le développement des outils informatiques et de la géovisualisation en particulier, leur redonnent aujourd’hui une portée heuristique. Ainsi, les représentations 3D des mobilités ont servi dans cette recherche notamment, à souligner l’importance des contraintes spatio-temporelles et celles d’ordre organisationnel, de concordance entre les membres des ménages et d’autres personnes. Les représentations proposées, dont certaines issues d’une coopération avec le laboratoire ThéMa (doctorat d’Élodie Cochey), mettent à l’épreuve les considérations théoriques de la time-geography et les avancés des outils informatiques pour produire de la connaissance sur la mobilité quotidienne.

Si la mobilité constitue un moyen pour lire la ville et mieux approcher la diversité des dynamiques métropolitaines, son observation et son analyse nécessitent des données et des exploitations appropriées. Ainsi, les représentations cartographiques et graphiques peuvent contribuer d’une manière significative à traduire et à rendre plus intelligibles les phénomènes observés, sans résumer trop étroitement la multitude des dimensions impliquées.

Bibliographie

BERROIR S., MATHIAN H. SAINT-JULIEN Th, SANDERS L. (2004). Mobilités et polarisations: vers des métropoles polycentriques. Le cas des métropoles francilienne et méditerranéenne. Paris: UMR Géographie-cités, Université Paris 7; Lyon: ELSH, rapport PUCA, pôle «Sociétés urbaines, Habitat et Territoires» dans le cadre du programme de recherche «Mobilités et territoires urbains», 145 p.

BERROIR S., MATHIAN H. SAINT-JULIEN Th, SANDERS L. (2006). «Mobilités et polarisations: vers des métropoles polycentriques. Le cas des métropoles francilienne et méditerranéenne». In BONNET M., PATRICE A., La Ville aux limites de la mobilité. Paris: Presses universitaires de France, coll. «Sciences sociales et sociétés», 316 p. ISBN: 2-13-055240-4

CHARDONNEL S. (1999). Emplois du temps et de l'espace. Pratiques des populations dans une station touristique de montagne. Grenoble: Université Joseph Fourier, thèse de doctorat de géographie, 230 p.

CHARDONNEL, S. (2007). «Time-geography: Individuals in Time and Space». In SANDERS L., Models in Spatial Analysis. Londres: ISTE, coll. «The GIS sourcebook», 319 p. ISBN: 978-1-905209-09-5

HÄGERSTRAND T. (1970). «What about People in Regional science?». Papers in Regional Science, vol. 24, n° 1, p. 6-21.

HÄGERSTRAND T. (1984). «Escapes from the Cage of Routines. Observations of Human Paths, Projects and Personal Scripts». In LONG J., HECOCK R., dir. Leisure, Tourism and Social Change. Dunfermline: Dunfermline College of Physical Education, p. 7-19.

McNALLY M. G. (2000). The Activity-Based Approach. Irvine, Californie: Center for Activity Systems Analysis, Institute of Transportation Studies University of California, 17 p.

Référence de la thèse

TABAKA K. (2009). Vers une nouvelle socio-géographie de la mobilité quotidienne. Étude des mobilités quotidiennes des habitants de la région urbaine de Grenoble. Grenoble: Université Joseph Fourier, Institut de Géographie Alpine de Grenoble, thèse de doctorat de géographie, 272 p. (Télécharger ici).

Il s’agit d’une analyse secondaire des données qui n’ont pas été conçues initialement pour ce type d’exploitation (données sur les déplacements).
Pour «l’enquête ménages déplacements» 2002 de Grenoble, les données recensées concernent près de 7 000 ménages, 16 000 personnes, dont 14 500 mobiles et 70 000 déplacements.