N°100

De «Google Earth» au Sahara, et retour

1. Repérage d’un monument en « trou de serrure » sur Google Earth.
Il se situe dans le Sud-Ouest Libyen, en bordure d’un paléolac.

Par leur absence de végétation, les zones désertiques se prêtent particulièrement bien à la télédétection de structures visibles au sol — telles que murs, alignements, monuments et tombes en pierres sèches — à condition que ces vestiges soient de dimension suffisante. Cette particularité fut mise à profit dans l’Ahaggar dès les années 1960 pour cartographier les monuments funéraires du Fadnoun par l’examen des photos aériennes disponibles pour cette région (Savary, 1966). Ce travail n’avait pu être élargi depuis, faute d’avoir accès à une couverture photographique plus ample, et il n’existe pas au Sahara de tradition de recherche archéologique aérienne comparable à celle que l’on connaît en France. Depuis 2007, l’apparition de bandes à haute résolution sur Google Earth a bouleversé cet état de fait en permettant d’établir des inventaires dont la réalisation était jusqu’alors impossible dans certaines zones, par exemple en Arabie (Kennedy, Al-Saeed, 2009).

Au Sahara central, ce type de travail a été entrepris par plusieurs membres de l’AARS (Association des amis de l’art rupestre saharien, http://aars.fr) qui ont très vite remarqué que divers types de monuments funéraires étaient visibles sur les bandes récemment mises en ligne (Friquet, Le Quellec, 2007), et qui se sont livrés à leur exploration systématique. Un aller-retour ordinateur/terrrain n’est pas toujours possible matériellement, mais il a pu être effectué suffisamment de fois pour valider statistiquement les télé-observations, tout en évitant la possibilité de confondre des anomalies naturelles avec des constructions anthropiques (fig. 1, 2). Grâce à cette démarche, l’inventaire des tombes du type dit «en trou de serrure» ou «à couloir et enclos», datées de ca. 3000±200 av. J.-C. (Paris, Saliège, 2010), a bondi des 158 exemplaires recensés par Jean-Pierre Savary (Savary, 1966) à quelque 435 en 2007 (Gauthier, 2007), puis à plus de 600 en 2009 (Gauthier, 2009), et leur liste continue régulièrement de s’enrichir.

2. Vérification de terrain portant sur le monument repéré sur la figure 1
(cliché: Jean-Loïc Le Quellec, juillet 2002)

Bien que les bandes à haute résolution permettant ce type de recherche soient très irrégulièrement disposées sur la surface du Sahara, leur exploration enrichit considérablement les bases de données des archéologues, et permet déjà une première approche statistique de la répartition des monuments lithiques dans des zones particulièrement difficiles d’accès, voire inaccessibles dans le contexte politique actuel. Ces bandes se multipliant régulièrement, on peut s’attendre à ce que ce type de travail soit de plus en plus productif. De plus, le bénéfice pour la recherche archéologique ne se limite pas à la possibilité — déjà fort appréciable — de dessiner et compléter des aires de répartition sur de très vastes surfaces, car les outils disponibles sur Google Earth permettent d’effectuer plusieurs mesures avec une précision presque égale à celle que l’on obtiendrait sur le terrain. C’est le cas pour les dimensions principales des monuments, et surtout pour leur orientation, culturellement valorisée par les sociétés qui les ont édifiés. La prise en considération de ces données nouvelles laisse entrevoir de très intéressantes possibilités, particulièrement en ce qui concerne leur rapprochement avec d’autres séries documentaires susceptibles d’être cartographiées de façon plus classique (art rupestre, matériel lithique, etc.), et dans la perspective d’études comparatives conduites à l’échelle de l’hémicontinent.

Bibliographie

FRIQUET J.-C., LE QUELLEC J.-L. (2007). «Utilisation de “Google Earth” pour l’inventaire des monuments lithiques sahariens. L’exemple de l’Immidir (Algérie)». Les Cahiers de l’AARS, n° 11, p. 33-49.

GAUTHIER Y. (2009). «Orientation and Distribution of Various Dry Stone Monuments of the Sahara.». In RUBIÑO-MARTÍN J. Al., BELMONTE J. A., PRADA F., ALBERTI A., dir., Cosmology across Cultures. Proceedings of a workshop held at Parque de las Ciencias. Spain, Granada, 8-12 September 2008. San Franciso: Astronomical Society of the Pacific Conference series 409, p. 317-330.

GAUTHIER Y., GAUTHIER Chr. (2007). «Monuments funéraires sahariens et aires culturelles.». Les Cahiers de l’AARS, n° 11, p. 65-78.

KENNEDY D.L., AL-SAEED A. (2009). «Desktop Archaeology». SaudiAramco World, n° 4.

PARIS F., SALIÈGE J.-F. (2010). «Chronologie des monuments funéraires sahariens.» Les Nouvelles de l’archéologie, n° 120-121, p. 57-60.

SAVARY J.-P. (1966). Monuments en pierres sèches du Fadnoun (Tassili n’Ajjer) (VI). Paris: Arts et Métiers Graphiques, Mémoires du Centre de recherches anthropologiques, préhistoriques et ethnographiques, 80 p.