Fouilles récentes à Bourges (2009-2010): un quartier urbain
de l’Antiquité à nos jours
Les fouilles de la ZAC Avaricum, dans le centre-ville, ont été menées par le service d’archéologie préventive de la communauté d’agglomération de Bourges, sous la responsabilité de Jacques Troadec (en collaboration avec Mélanie Fondrillon et Emmanuel Marot). Elles ont été opérées en deux tranches distinctes (2009 et 2010), en amont de la construction d’un complexe immobilier. La zone de fouilles concerne une large fenêtre d’observation (12 600 m2) située au bas du versant septentrional du site protohistorique Avaricum (plaine marécageuse), dans la partie nord de la ville du Haut-Empire, hors du castrum de l’Antiquité tardive et intra-muros après l’édification du système défensif médiéval au milieu du XIIe siècle. En outre, l’espace investi était potentiellement traversé par l’Yévrette, modeste cours d’eau apparaissant pour la première fois dans les textes en 1010. De fait, la présence de la nappe phréatique, à moins de 3 m de profondeur, a permis une conservation exceptionnelle des vestiges organiques pour les périodes antique et médiévale (Ier- XIIIe siècle).
Vue aérienne des recherches archéologiques sur la «ZAC Avaricum» à Bourges. |
les lotissements du XIVe siècle en cours de fouille (cliché: ©Une terre d'Images, Bourges Plus, septembre 2009) |
L’épaisseur du dépôt archéologique varie de 4,5 à 5 m. Sept grandes périodes y ont été identifiées, malheureusement selon des fenêtres d’investigation inégales (très limitées pour les périodes antique et alto-médiévale, non concernées par la prescription de fouille qui a limité les recherches à une cote altimétrique dictée par le projet immobilier).
La plus ancienne occupation reconnue, du début du Ier siècle ap. J.-C., correspond à la mise en place d’un urbanisme précoce, succédant vraisemblablement à une phase de remblais d’assainissement des marais. Le bâti, observé très ponctuellement, dense et d’orientation homogène, se développe au nord d’une rue repérée au sud de l’emprise fouillée. Ce quartier urbain, construit à partir du milieu du Ier siècle et réaménagé jusque tardivement (fin IIIe siècle - début IVe siècle) avec un gain du bâti vers le nord, n’a pas pu être finement caractérisé en raison des conditions d’intervention limitées: si l’idée de thermes publics fut un temps avancée, le plus raisonnable est d’y voir un vaste îlot d’habitation avec au moins une ou plusieurs domus huppée(s).
Quoiqu’il en soit, le quartier paraît abandonné sous cette forme au plus tard au IVe siècle, les matériaux des maçonneries servant alors à l’édification du rempart situé à quelques dizaines de mètres plus au sud.
Au cours du Bas-Empire et du haut Moyen Âge, une séquence de terres noires se forme au-dessus des vestiges précédents. Dans leur épaisseur (dont la matérialité résulte tout autant d’un long processus de production du sol que de sa transformation post-dépositionnelle), variant de 0,20 à 0,50 m, de nombreuses fosses et tranchées de récupération des maçonneries antiques ont été observées, ainsi que quelques traces d’occupation ténues (fossés, dépotoirs) et un espace funéraire regroupant au minimum 29 sépultures, concentrées dans l’emprise d’un bâtiment du Haut-Empire dont les murs pouvaient être encore contraignants. L’absence de fouille en aire ouverte n’a pas permis d’observer une organisation spatiale particulière, ni d’établir une chronologie relative fine entre les différents types de vestiges (chantiers de récupération, espace funéraire, mise en culture, habitations?), qui pourront toutefois être traités par les différentes analyses géoarchéologiques à venir (micromorphologie, microarchéologie, palynologie, carpologie, parasitologie).
À partir de la fin du XIe siècle jusqu’à la fin du XIIIe siècle, un quartier artisanal s’organise le long de la rive nord de l’Yévrette, dont les premières traces archéologiques de canalisation datent de cette période, reprenant exactement le tracé d’une rue antique, ici probablement transformée en canal. Dans le courant du XIIe siècle, un moulin est installé dans le lit de la rivière, avec à proximité une officine de tannerie (cuves, plains) installée sur la berge sud de l’Yévrette. Le quartier qui se développe alors au nord du cours d’eau comprend des maisons jointives, aménagées sur un parcellaire laniéré, et associées pour certaines à des structures d’artisanat du cuir (tannerie et cordonnerie) et des dépotoirs de boucherie. Les terrains au nord correspondent à des fonds de parcelles, à des jardins où sont enfouis ou épandus les déchets domestiques et artisanaux. On assiste alors à un nouvel essor de ce quartier qu’il convient de lier autant à la canalisation de l’Yévrette, au rôle économique de ce cours d’eau et à l’installation d’un moulin (dont la destination et l’initiative nous échappent pour le moment) qu’au dynamisme de Bourges à cette période (mise en place du réseau paroissial, nouveau rempart englobant alors le quartier ici étudié).
De la fin du XIIIe siècle au milieu du XIVe siècle, et alors que le moulin paraît abandonné, l’habitat se densifie, se structure de manière pérenne et gagne progressivement sur les terrains au nord. Les parcelles laniérées forment un, puis deux îlots d’habitations séparés par une voie et une grande place. Certaines maisons disposent d’une pièce destinée au commerce, donnant sur la rue, et d’une grande salle à l’arrière, avec cheminée, servant à la fois de salle de travail et de pièce de vie. Les traces d’artisanat liées au traitement de la peau sont bien plus ténues: toutefois, quelques indices diffus plaident pour la présence ici d’un artisanat plus discret (petit atelier de métallurgiste, d’accessoiriste, de cordonnier, de filage?). L’ensemble du quartier est détruit vers le milieu du XIVe siècle lors d’un grand incendie, permettant ainsi d’observer finement les modes architecturaux (solins de pierre, sablière en bois, élévation en torchis et/ou hourdis de briques, absence d’étage, toiture en bardeaux). Ainsi, il semble que ce quartier, s’il possède toujours une vocation artisanale qu’indiquent les textes, s’oriente aussi vers une fonction domestique d’habitation et de commerce, les activités polluantes de boucherie et de tannerie étant peut-être reléguées en périphérie.
De la fin du XIVe siècle au XVIIe siècle, et après ce grand incendie, le parcellaire est largement réaménagé dans la partie occidentale du site: les habitations sont remplacées, dans un premier temps, par des jardins et des cours réunissant plusieurs parcelles, puis, dans un second temps, par une nouvelle construction, selon un axe et un plan totalement différents de ceux observés précédemment. À l’inverse, à l’est, les maisons continuent d’être entretenues, reconstruites et habitées selon le parcellaire laniéré hérité du Moyen Âge qui ne sera pas modifié avant les années 1950. Enfin, au nord de la zone fouillée, on assiste au gain progressif de la ville avec l’apparition de nouveaux bâtiments. Pour cette vaste période, l’artisanat du cuir refait son apparition le long de la berge nord de l’Yévrette, dont le tracé ne sera finalement détourné vers le nord qu’au milieu du XXe siècle puis une seconde fois en 2009.
Nous ne donnons ici que les grands traits de l’évolution de ce quartier urbain, de la première moitié du Ier siècle ap. J.-C. jusqu’à nos jours. Le travail de post-fouille qui s’amorce permettra d’affiner l’analyse des résultats déjà obtenus. Ces résultats illustrent la pérennité de certains axes autant que le dévoiement de structures entre l’Antiquité et le Moyen Âge (rue devenant canal), preuve s’il en est d’une mémoire – encore visible et contraignante? – de la ville antique.
Aux structures mises en place durant le Haut-Empire succède un paysage urbain difficile à déchiffrer durant le Bas-Empire et le haut Moyen Âge, même si l’occupation des lieux est attestée. Puis le dynamisme observé à partir du XIIe siècle permet d'interroger les caractéristiques du développement urbain: éléments polarisants (rivière canalisée, moulin), questions de propriété individuelle ou d'initiative concertée (ou publique); bref de poser la question des modalités de la fabrique urbaine pour ce quartier septentrional de la ville de Bourges.