Sommaire du numéro
N°75 (3-2004)

L’île et l’illicite: les nouvelles formes du relais maltais
dans l’antimonde méditerranéen

 

Nathalie Bernardie-Tahir 

Université de Limoges

Résumés  
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Malte, «beau tas de cailloux» selon la formule de l’humoriste anglais B. Shaw, minuscule plateau de rocaille et de foin sec (carte 1), a acquis au cours de l’histoire une renommée qu’elle doit surtout à sa situation exceptionnelle au cœur de la Méditerranée. Il faut en effet invoquer ici la position géographique unique de cet archipel, placé à la charnière entre le bassin occidental et le bassin oriental de la Méditerranée, à 90 km de la Sicile, à 320 km de Tunis et de Tripoli, à distance égale de Gibraltar et d’Alexandrie. Simultanément verrou, centre de gravité, fior del mondo, croisée des chemins, poste avancé, carrefour et point stratégique, les expressions ne manquent pas: Malte est de ces «îles qui, sur le chemin de puissantes routes maritimes, participent aux grandes relations» (Braudel, 1949, p. 183) et qui ont traversé les siècles en jouant un rôle d’escale et de relais. Diversement déclinée, parfois éclipsée, cette fonction spécifique s’est toujours renouvelée, au point de faire de Malte le paradigme du relais en Méditerranée(1).

1. Malte

Si les formes licites du relais maltais sont bien connues, ses formes illicites le sont en revanche beaucoup moins, alors même qu’elles semblent prendre une place grandissante dans l’animation et la logistique des trafics illégaux en Méditerranée, une situation fort embarrassante pour cet État insulaire qui vient d’intégrer l’Union européenne. Positionnée sur la ligne de fracture nord-sud entre Europe et Afrique, Malte ajoute aujourd’hui une nouvelle porte à l’Europe du Sud, une porte d’autant plus difficile à surveiller que les trafics de tous ordres prospèrent et se diversifient.

1. La petite porte d’entrée de l’Europe du Sud pour les trafics illicites

Photo 1. Paysage de la côte nord-ouest de l’île de Malte
Au premier plan, des cultures en terrasses, restes d’une agriculture aujourd’hui très réduite. Au second plan, on peut voir la partie nord-ouest du plateau maltais basculé vers l’est et ourlé de falaises sur sa côte occidentale. Au dernier plan, on devine les falaises des côtes méridionales de Gozo (© N. Bernardie-Tahir, 1995).

Il n’est nullement question ici de céder à quelque tentation déterministe, mais un point de géographie s’impose néanmoins. L’archipel se situe au sud d’un riche marché européen, au nord de rivages africains marqués par une instabilité économique profonde et une précarité sociale inquiétante, à 80 km au sud-est de la Sicile et de ses réseaux mafieux, à 330 km de Tripoli et de son embargo, qui n’a pris fin qu’en 1999. Ainsi, les hasards de la position combinés à l’exacerbation des contrastes économiques régionaux ainsi qu’à la mondialisation des échanges ont contribué à faire de Malte l’une des principales plaques tournantes des trafics illicites méditerranéens. Dans ce domaine, les informations sont naturellement très rares et particulièrement difficiles à obtenir(2), mais les quelques «affaires» qui ont mal tourné et qui ont été éventées donnent la mesure de la partie cachée de l’iceberg. Tout porte à croire que l’île, qui se présente de plus en plus comme une petite porte d’entrée de l’Europe du Sud, participe de ce fait assez largement à la logistique des échanges illégaux en Méditerranée.

Une plaque tournante pour le trafic d’armes et de drogue en Méditerranée

Il convient tout d’abord de souligner que ces pratiques ne datent pas d’hier, comme en témoignent un certain nombre d’affaires signalées dès les années 1980. Celle du navire Eskund révéla, en 1987, le rôle d’intermédiaire joué par Malte dans un trafic d’armes entre la Libye et l’IRA (Armée républicaine irlandaise). Dans la même ligne, les trafics de drogue étaient bien connus dans l’île dès la décennie 1980, animés notamment par les ténors du milieu du jeu et des divertissements maltais. À cet égard, l’hebdomadaire maltais Malta Today daté du 17 mars 2002 rapporte l’histoire de Victor Balzan, homme d’affaires de Sliema en cheville avec la mafia sicilienne qui, sous couvert de sa société de transport maritime, utilisait régulièrement ses bateaux de pêche pour transporter de la drogue entre le port sicilien de Mazara del Vallo et la Libye, via l’archipel maltais.

Ces trafics illicites se sont considérablement amplifiés dans le courant de la décennie 1990, à mesure que la forte croissance de l’économie maltaise autorisait une plus large ouverture du marché insulaire au commerce international, notamment par l’intermédiaire du port franc de Marsaxlokk. Il semble désormais indéniable que ce dernier ait contribué à faciliter les trafics illicites qui utilisent l’archipel à la fois comme base de transit et de redéploiement. À l’évidence, ce commerce illégal a pris une tout autre dimension dans cette île, que d’aucuns qualifient aujourd’hui de plaque tournante pour le trafic de drogue en provenance d’Amérique latine. L’ampleur des saisies donne d’ailleurs une idée de celle du trafic. En janvier 2001, une cargaison de 514 kg de cocaïne pure à 90 % et de 25 000 pilules d’ecstasy fut découverte à Marsaxlokk, à bord du Nedlloyd Kingston, un porte-conteneurs en provenance du port vénézuélien de La Guaira qui avait, quelques jours plus tôt, fait escale à Hambourg. D’après les enquêteurs allemands et italiens, le précieux chargement devait être transbordé à Malte puis chargé sur des vedettes rapides à destination de Naples. Deux ans plus tôt, c’est Le Privilège, un cargo lui aussi en provenance du Venezuela et à destination de l’Italie via Malte qui, suspecté de transporter quelque 5 tonnes de cocaïne, était arraisonné par les autorités espagnoles dans le port de Las Palmas aux Canaries. Ces deux prises spectaculaires n’ont d’ailleurs fait que confirmer l’existence de la route atlantique de la cocaïne, reliant la Colombie aux marchés européens via le Venezuela, par lequel transiteraient quelque 150 t de drogue par an (Deler et al., 2003).

Ainsi, l’ouverture de Malte aux nouvelles logiques du commerce international a rapidement fait de l’île un relais dans l’organisation des réseaux de drogue à destination de l’Europe du Sud. Toutefois, la seule évolution structurelle des économies régionales ne suffit pas à expliquer la soudaine promotion de la place maltaise. Il faut en effet invoquer un paramètre quant à lui tout à fait conjoncturel mais qui n’en a pas moins joué un rôle déterminant: l’instauration d’un embargo aérien, décrété par l’Union européenne à l’encontre de la Libye; de façon très prévisible, il a fait de l’archipel l’antichambre de Tripoli entre 1992 et 1999. La réorganisation nécessaire du transport aérien des ressortissants libyens, qui s’était traduite par la mise en service d’une ligne de transbordeurs reliant quotidiennement Tripoli au port de La Valette, avait déjà transformé Malte en un relais obligé. Mais ce rôle ne s’est pas arrêté au seul transit de passagers libyens: le commerce illégal des armes a également utilisé cette station insulaire dans le cadre d’un approvisionnement clandestin de la Libye. Malte a été mêlée à plusieurs affaires de ce type, dont une fut révélée en 1997, après qu’un avion cargo russe, chargé de matériel militaire officieusement destiné à la Libye, se soit écrasé au cours de son vol à destination de Malte. Plus récemment, au début de l’année 2000, alors que le commerce des armes de haute technologie avec Tripoli restait toujours soumis à un embargo de l’Union européenne, la Grande-Bretagne a saisi, à l’aéroport de Gatwick, 32 colis de pièces détachées de missiles sol-sol Scud destinées à la Libye et en partance sur un vol de la British Airways; la cargaison provenait d’une société de confection taïwanaise prétendant livrer du matériel automobile via Malte.

Une pierre de gué pour les migrations clandestines

Relais d’importance dans les circuits du commerce illicite, Malte fait aussi figure de pierre de gué pour les migrations clandestines transméditerranéennes. En l’espace de quelques années, Malte est en effet devenue un relais privilégié pour les réseaux migratoires illégaux qui se sont multipliés entre l’Afrique du Nord et l’Europe. À l’instar de Gibraltar (Sanguin, 2000), Malte est placée à la frontière du fossé Nord-Sud, à quelques encablures de ce que d’aucuns surnomment la «forteresse Europe» (Ravenel, 1993). Elle est devenue d’une certaine manière la pierre de gué pour des émigrants clandestins de plus en plus nombreux à vouloir gagner l’Europe. Si les flux partent de Libye ou de Tunisie pour l’essentiel, l’origine des migrants reste en revanche extraordinairement variée, ce qui tendrait à souligner que les ports nord-africains sont moins des points de départ que des points de relais dans le cadre de réseaux bien plus vastes, s’étendant à des pays d’Afrique de l’Ouest (Ghana, Togo, Guinée, Cameroun, Sierra Leone) ou du Proche et Moyen-Orient (Kurdistan, Syrie, Palestine, Égypte, etc.).

Photo 2. Paysage de l’intérieur de l’île.
Les petites parcelles agricoles de terra rossa sont quadrillées par des kilomètres de murets de pierres sèches, à l’ombre des figuiers de barbarie. Au second plan, un village maltais, dont les maisons blanches forment un tissu urbain très dense autour de l’église et de ses coupoles imposantes (© N. Bernardie-Tahir, 1999).
Photo 3. Une vue de La Valette
Derrière les remparts, une ville aux murs de calcaire blond, percée de rues étroites et orthogonales. Sur les toits en terrasse, à la canopée d’antennes de télévision s’ajoutent aujourd’hui les nouvelles paraboles (© N. Bernardie-Tahir, 2000).

Ainsi, par l’intermédiaire de filières structurées par de puissantes organisations criminelles (mafia sicilienne, Camorra, mafia russe etc.), les migrants en provenance d’Afrique du Nord gagnent dans un premier temps l’archipel maltais d’où ils repartent pour la Sicile, soit immédiatement, soit après quelques jours passés à se cacher dans quelque cave exiguë de l’île.

Il n’est d’ailleurs pas rare que les trafiquants, afin de ne pas se faire repérer, abandonnent les migrants à quelques centaines de mètres, voire à quelques kilomètres de la côte, contraignant ces derniers à couvrir le reste de la distance à la nage. Déjà dans les années 1990, un missionnaire égyptien, Oliver Borg Oliver, révélait l’existence d’au moins cinq ou six organisations tenues par des Maltais qui se livraient à ce type d’activité.

La connaissance de l’existence et du fonctionnement de ces réseaux avait ensuite été pleinement révélée à l’issue de la tragédie du 25 décembre 1996, assez peu ébruitée néanmoins, au cours de laquelle plus de 400 immigrés clandestins avaient péri lors d’un naufrage entre Malte et la Sicile. Grâce au témoignage de quelques-uns des 29 rescapés, on a pu ainsi reconstituer le déroulement des opérations. Les migrants, Indiens, Pakistanais et Sri Lankais pour la plupart, en provenance de Karachi, avaient atterri trois semaines auparavant au Caire, une première étape qui supposait la double connivence des services d’immigration pakistanais et égyptiens, aucun des passagers ne possédant de visas. Ils furent ensuite transférés à Alexandrie où ils restèrent cachés dans des conditions proprement indescriptibles pendant quinze jours, en attendant que d’autres immigrants viennent grossir le groupe pour atteindre un effectif de 450 personnes. Ils finirent par embarquer sur un cargo panaméen, avant d’être à nouveau transférés, trois jours plus tard, sur un autre cargo, le Yohan, immatriculé au Honduras, qui avait déjà à son bord plusieurs dizaines de clandestins. La dernière étape du voyage consistait à transborder, au large de la Sicile, les clandestins du cargo vers une petite embarcation, un bateau de pêche de 18 mètres, pilotée par des Maltais. C’est là que survint le drame: la forte houle provoqua la collision entre le cargo et le navire maltais, fragile et surchargé.

Aujourd’hui, de toute évidence, le trafic a très largement changé d’échelle, comme en témoigne la recrudescence des opérations de secours effectuées au large de l’île par les gardes côtes maltais et dont la presse maltaise se fait régulièrement l’écho dans ses colonnes. Presque chaque semaine, des groupes de clandestins voyageant dans des conditions inhumaines sont arraisonnés ou secourus par les autorités maltaises. C’est ainsi, par exemple, qu’au mois de septembre 2002, quelque 300 hommes, femmes et enfants, entassés dans un petit bateau de pêche, à bout de forces et en voie de déshydratation, furent secourus à quelques centaines de mètres des côtes maltaises. Au total, ce sont près de 1 700 immigrants clandestins qui ont été arrêtés à Malte au cours de l’année 2002, des effectifs qui donnent une idée de la partie immergée de l’iceberg si l’on considère qu’ils constituent en moyenne le dixième des flux réels — en 1994, on avait déjà évalué à 10 000 le nombre de clandestins arrivés en Sicile via Malte.

Si ce trafic apparaît aujourd’hui en pleine expansion, c’est bien en raison des profits considérables qu’il procure sur fond de misère et de détresse humaines. Un avocat maltais, spécialisé dans ce type d’affaire, indiquait récemment qu’un voyage «clandestin» entre Malte et Raguse pouvait coûter entre 500 et 700 euros par personne. Si l’on considère qu’une navette rapide peut contenir entre 15 et 20 personnes pour un trajet aller qui n’excède pas une quarantaine de minutes, on mesure dès lors le caractère très lucratif de ce type de transport. À l’instar de Malte, d’autres petites îles comme Pantelleria ou Lampedusa servent régulièrement d’escales pour les réseaux de migrations clandestines qui, compte tenu de l’aggravation de la fracture Nord-Sud, semblent encore avoir de beaux jours devant eux.

Dans ce contexte, on comprend que l’intégration de Malte à l’Union européenne, effective depuis le mois de mai 2004, constitue un enjeu de taille en matière d’immigration illégale. En effet, d’un côté Malte ne cesse de souligner l’urgence d’une coopération maximale avec les instances européennes en matière de «sécurité, […] incluant la lutte contre la drogue, la vente d’armes illicite, les flux d’immigration clandestine et autres» (Malta Review of Foreign Affairs,1996), en insistant notamment sur la limite évidente de ses moyens; et de l’autre, la Commission européenne fait pression sur Malte afin qu’elle intensifie ses contrôles et qu’elle joue de façon plus efficace son rôle de garde-barrière d’une Europe nouvellement élargie. C’est précisément cette échéance européenne, tant attendue depuis l’annonce de la candidature maltaise en 1989, qui pousse aujourd’hui l’île à améliorer son image.

2. Une île à la recherche d’une nouvelle virginité

Placée sous les feux de la rampe médiatique depuis le début du processus d’élargissement de l’Europe, Malte renvoie l’image assez peu reluisante d’une île interlope. Cette mauvaise réputation, en partie liée nous l’avons vu à son implication dans les trois principales voies de l’illicite — armes, drogue, immigrants clandestins —, se nourrit par ailleurs de la piètre renommée de son pavillon de complaisance, révélée notamment lors du naufrage de l’Erika au large des côtes françaises (Bernardie-Tahir, 1999), et des parfums douteux de son statut de paradis fiscal. Dernière ombre au tableau, les mafias ont fait main basse sur l’île, de la mafia sicilienne qui jouerait un rôle actif dans les relations d’affaires, à la mafia russe très présente dans l’île(3), Malte est bien devenue une «île de tous les trafics», illustration insulaire de «l’antimonde légal et illégal» (Desse, 2003). D’où ce souci, aujourd’hui bien réel de la part des autorités publiques, de faire peau neuve, de retrouver une certaine crédibilité internationale surtout dans la perspective, aujourd’hui concrétisée, de l’intégration européenne.

Une législation anti-blanchiment

C’est en 1989 que la jeune place financière maltaise a fait ses premiers pas, après l’introduction du concept des sociétés offshore dans la législation de l’île. Le principal objectif était alors de promouvoir le secteur offshore en attirant, par une fiscalité particulièrement allégée, sociétés commerciales (services conseils, assurance, banque, crédit-bail, etc.) et non commerciales (holdings, gestion de brevets ou de marques déposées, gestion et immatriculation de navires, etc.). Toutefois, dès 1994, certaines mesures visant à exercer un contrôle plus rigoureux des fonds de placement sont instaurées et, en 1998, le Malta Financial Services Centre décide d’abandonner le statut de paradis fiscal. À l’inverse des autres places méditerranéennes comme Gibraltar, Beyrouth ou Chypre, Malte dispose aujourd’hui d’une législation anti-blanchiment, faisant ainsi le pari (plutôt paradoxal et risqué dans ce domaine) que plus de transparence ne pourrait qu’accroître son attractivité et sa compétitivité par rapport aux autres places financières. C’est ainsi, par exemple, qu’un service de renseignements financiers a été créé par le gouvernement et que, par voie de conséquence, le nombre de comptes anonymes a diminué de façon très sensible. L’autorité de tutelle, la Malta Financial Services (MFS) a même refusé récemment l’installation de banques russes sur le territoire; à cet égard, il est d’ailleurs particulièrement révélateur de constater que le nombre de visiteurs russes, qui n’avait cessé d’augmenter depuis le début des années 1990, a subitement diminué à partir de 1998 pour tomber en 2001 en dessous de la barre des 6 000. Si Malte reste épinglée par le GAFI (Grouped’action financière internationale de l’OCDE) pour ses sociétés prête-nom, elle a disparu de la liste des paradis fiscaux.

En finir avec cette mauvaise image, tel est bien le leitmotiv des autorités maltaises qui, sur le terrain de la finance internationale comme sur celui de la complaisance maritime avec des conditions d’immatriculation devenues plus restrictives, s’emploient plus que jamais à montrer patte blanche, quitte à sacrifier sur l’autel de l’Europe une partie de leurs pratiques dérogatoires légalisées.

2. Malte, un relais dans la dynamique des échanges en Méditerranée

Les brokers de la Méditerranée

Si Malte tend ainsi à s’éloigner de l’économie des «combines», elle entend bien en revanche rester ce qu’elle a toujours été: une île de brokers, d’intermédiaires habiles entre les rives nord et sud de la Méditerranée. C’est dans cette logique qu’il faut inscrire la construction du port franc de Marsaxlokk, devenu aujourd’hui un hub de référence dans le réseau de la conteneurisation en Méditerranée (Bernardie-Tahir, 2000). Placé sur les principales routes maritimes entre Suez et Gibraltar, le port maltais est devenu un point nodal majeur, aujourd’hui connecté à une centaine de ports essaimés dans le monde entier. Il s’inscrit dans des flux est-ouest pour l’essentiel (carte 2), reliant les ports d’Extrême-Orient et du Proche-Orient à ceux d’Europe du Nord et de la côte orientale américaine. En région méditerranéenne où il est en liaison avec près d’une cinquantaine de ports, le port franc de Marsaxlokk redistribue les flux selon une logique géographique similaire, entre bassin oriental et bassin occidental de la Méditerranée. Autre niche exploitée: celle de la zone franche industrielle, un secteur particulièrement développé et d’autant plus salvateur que les chantiers de réparation navale, longtemps considérés comme le secteur industriel phare de l’île, sont aujourd’hui à l’agonie. Attirées par des mesures fiscales avantageuses (exonération d’impôts sur les bénéfices pendant 5 ou 10 ans, absence de taxes à l’importation…) et par des coûts salariaux qui restent pour l’heure encore intéressants, un grand nombre d’entreprises, européennes en majorité et dans une moindre mesure américaines, opérant principalement dans le domaine du textile et de plus en plus de l’électronique, sont venues s’installer dans la quinzaine de zones aménagées à cet effet autour de La Valette. Parmi elles, Thomson Electronics, le leader franco-européen de composants électroniques, a implanté une usine d’assemblage à proximité de l’aéroport qui, avec près de 1 500 personnes, constitue le premier employeur de l’île.

Au fond, la limite entre le licite et l’illicite semble de plus en plus ténue dans un contexte où la dérogation se généralise et voisine souvent avec l’interdit. En tout état de cause, il semble aujourd’hui que les petits États insulaires aient fait des pratiques illicites leur fonds decommerce, une situation qui n’est certes pas nouvelle pour ces terres souvent emblématiques de la flibuste et de la contrebande, mais qui prend aujourd’hui des formes plus organisées et surtout plus systémiques. La question reste maintenant de savoir s’il s’agit là d’une spécificité proprement insulaire, qui s’affirmerait à mesure que le rôle stratégique des îles s’efface, ou bien si le paramètre de l’insularité n’est somme toute que secondaire par rapport à des notions plus fondamentales comme celle de l’exiguïté ou de l’interface notamment. Après small is beautiful, la nouvelle figure de l’île se résumerait-elle à small is fishy (suspect) ?

Références bibliographiques

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Presse

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