N°102

Le Danemark au cœur de l’axe euro-scandinave

En donnant, en janvier 2011, son accord final en vue de la construction du tunnel du Fehmarn Belt [1], le gouvernement danois a réaffirmé son souhait de faire du royaume nordique le centre névralgique des échanges entre le continent européen et la Scandinavie [2]. Destiné à relier l’Allemagne au Danemark, ce tunnel immergé était en projet depuis le début des années 2000. Dès les années 1990, l’idée de créer un lien fixe entre Hambourg et Copenhague avait germé dans l’esprit des dirigeants, d’un côté du détroit comme de l’autre. Un accord, signé en septembre 2008 à Copenhague par les ministres des Transports des deux pays, était venu concrétiser cette ambition commune. Un traité fut ensuite ratifié par les parlements danois et allemand, respectivement en mars et en juin 2009.

La décision de l’entreprise de construction Femern A/S de retenir l’idée d’un tunnel immergé plutôt que celle d’un pont, qui avait pourtant prévalu jusqu’alors, a surpris plus d’un observateur mais n’a pas empêché le gouvernement danois de donner son accord final. En empruntant cette route que les Danois nomment Fugleflugtslinjen, littéralement «la ligne à vol d’oiseau», le tunnel du Fehmarn Belt permettra, vers 2020, de réduire le temps de voyage entre Hambourg et Copenhague de 4h45 à 3h15. Il devrait, en l’état actuel du projet, permettre la circulation d’un train de passagers et deux trains de fret par heure, dans chaque sens. Il s’agira du plus long tunnel sous-marin jamais construit combinant trafic routier et ferroviaire. Son coût de 35 milliards de couronnes danoises (soit 4,7 milliards d’euros) sera à la seule charge de l’État danois [3]. La participation de Berlin au projet est limitée au développement des infrastructures terrestres du côté allemand.

Si le Danemark a accepté un tel effort, c’est sans aucun doute parce que l’enjeu pour ce pays de 5,5 millions d’habitants est essentiel. Ce projet lui permettra de s’offrir une place privilégiée dans les échanges entre le continent européen (tout particulièrement l’Allemagne) et la Scandinavie. Le tunnel du Fehmarn Belt, lien germano-danois, viendra ainsi compléter le pont du détroit de l’Øresund, qui relie le Danemark (île de Sjælland) à la Suède (région de Scanie) et permet, depuis 2000, le passage de trains et de véhicules entre les deux pays. Après une première période durant laquelle les traversées furent moins nombreuses que prévu, notamment en raison des tarifs particulièrement élevés aux péages, le pont a connu, à partir de 2005, une nette augmentation du trafic journalier (fig. 1). En 2009, 35,6 millions de personnes ont ainsi traversé le détroit de l’Øresund par cette voie, effectuant le trajet Copenhague-Malmö en moins de trente-cinq minutes. Les gouvernements danois et suédois, ayant contribué à part égale au coût du projet (30,1 millions de couronnes danoises, soit 4 millions d’euros), pensent pouvoir rembourser l’ensemble des prêts réalisés et commencer à dégager des bénéfices dès 2035.

1. Trafic de véhicules

Le succès de cette infrastructure a eu un impact notable sur l’ensemble de la région de l’Øresund. Depuis l’ouverture du pont jusqu’en 2008, environ 54 000 emplois ont été créés dans la partie suédoise de la région de l’Øresund et 43 500 dans sa partie danoise. Avec un taux de chômage faible, l’Øresund est l’une des régions les plus dynamiques de Scandinavie et d’Europe. D’ici à 2020, 60 000 emplois supplémentaires sont espérés pour un total de 1,89 million d’employés dans la région entière [4].

Les Danois bénéficient tout particulièrement de ce lien vers la Suède. Des milliers d’entre eux se sont installés dans la région de Malmö tout en gardant leur emploi à Copenhague et profitent ainsi de prix moins élevés, notamment dans l’immobilier. De même, de nombreux Suédois profitent du marché du travail danois, en pleine expansion. De fait, les flux de passage sur le pont de l’Øresund apparaissent déséquilibrés et profitent économiquement d’abord au Danemark. À tel point que, pour compenser, le pays reverse environ 400 millions de couronnes danoises (soient environ 54 millions d’euros) chaque année à la Suède sous forme de taxes.

Une fois le tunnel du Fehmarn Belt construit, la combinaison de ces deux infrastructures, à la taille et au coût hors normes, devrait permettre au Danemark, et plus particulièrement à Copenhague, de devenir un hub incontournable entre le continent européen et la Scandinavie. Environ 3 000 entreprises internationales sont actuellement implantées à Copenhague. D’autres devraient bientôt prendre place dans la capitale danoise afin de tirer bénéfice de son emplacement central. Cette implantation est encouragée par le volontarisme des pouvoirs publics. Le maire de la capitale, Frank Jensen, a lancé, en mars 2011, la Copenhagen Business Task Force, un groupe de travail qui devra imaginer un plan de croissance ambitieux pour assurer, à partir de 2020, une croissance économique annuelle de 5% au Grand Copenhague en attirant des investisseurs étrangers [5]. Plusieurs groupes spécialisés dans les hautes technologies voient dans le développement de la région de l’Øresund l’émergence d’une nouvelle Silicon Valley scandinave. Ce ne sont pas moins de 4000 étudiants qui traversent déjà régulièrement le pont, généralement pour se rendre au Danemark, y favorisant le développement de sites universitaires influents et performants, comme à Copenhague [6].

2. Localisation du projet Fehmarn

Des associations de protection de l’environnement tentent pourtant d’attirer l’attention du public sur l’impact néfaste de ces projets sur la vie sous-marine de la région. Dès 2006, une consultation publique a été menée en Allemagne et au Danemark. Dans ce pays, et plus encore dans celui-là, où les écologistes jouent un rôle politique important, les autorités ne nient pas les impacts écologiques à venir (lors du percement du tunnel puis avec son utilisation intensive) mais tentent de montrer qu’ils seront anticipés et maîtrisés. Les règles imposées par l’UE (Environmental Impact Assessment, EIA) comme par les deux États concernés, devraient être strictement respectées. Ces efforts de transparence ne font toutefois pas disparaître les craintes des écologistes. De même, les syndicats de marins dénoncent une destruction d’emplois, inéluctable lorsque le trafic par ferry pâtira de l’ouverture du tunnel du Fehmarn Belt, comme ce fut le cas après l’ouverture du pont de l’Øresund. Cependant, la dynamique économique engendrée par celui-ci et celle espérée du futur tunnel semblent inciter le Danemark à continuer sur la voie du développement des infrastructures stimulant les échanges avec le continent. Des voix s’élèvent d’ailleurs déjà pour réclamer la construction d’un nouveau pont germano-danois, plus à l’est, entre Gedser et Rostock, permettant de relier directement Copenhague à Berlin. Ce lien potentiel entre la Scandinavie et l’Allemagne viendrait ouvrir de nouveaux marchés lucratifs en Europe de l’Est aux entreprises danoises. La construction du pont Gedser-Rostock n’a été considérée, jusqu’en avril 2011, que comme une alternative possible au tunnel du Fehmarn Belt. Nul doute cependant que les deux axes pourraient devenir complémentaires si le Danemark continuait à s’imposer comme un nœud de communications pour les flux européens en Europe du Nord.

À l’heure où l’idée d’un repli frileux sur les frontières nationales grandit dans plusieurs pays de l’Union européenne, le Danemark continue donc de faire, autant par nécessité que par ambition, mais surtout avec succès, le pari de l’ouverture. En choisissant la voie des échanges internationaux, il se montre fidèle à l’esprit communautaire.

Voir la page consacrée au projet sur le site Internet de la compagnie Femern A/S
Au sens commun, la Scandinavie comprend la Norvège, la Suède et le Danemark. S’ajoutent, dans une conception large (souvent celle des non-Scandinaves), la Finlande et l'Islande.
L’Union européenne a cependant désigné ce lien comme l’une de ses trente priorités en termes de développement d’infrastructures de transport et pourrait donc apporter au projet une contribution oscillant entre 5 et 10 % du coût global.
Consultez les adresses suivantes : http://nc.people.com.cn/GB/61937/75960/75961/5171153.html ou http://nc.people.com.cn/GB/61937/75960/75965/5170814.html
“Business plans launched to inspire growth in capital”, The Copenhagen post online, 17 mars 2011. (consulter)
Pour plus de détails, se référer au dernier rapport de l’OCDE sur la région: “The Øresund Science Region: A cross-border partnership between Denmark and Sweden”, S. Garlick, P. Kresl, et P. Vaessen, juin 2006 (télécharger)