N°103

Invitation à écouter parler le paysage

1. Couverture

S’il est un ouvrage qui donne autant à lire qu’à voir, c’est bien celui de Simon Nancy sur le Banc d’Arguin en Mauritanie, édité par la Fondation internationale du Banc d’Arguin (FIBA) et Grandir. Le lecteur est ici convié à un magnifique voyage en plein cœur du Parc national du Banc d’Arguin (PNBA), situé sur la côte atlantique mauritanienne. Coincé entre immensité sableuse et immensité océanique, ce territoire de 12 000 km2 est bien connu des marins pour être difficilement navigable. Depuis sa découverte au XIVe siècle par les Portugais, il a été le théâtre de nombreux naufrages dont celui de la Méduse en 1816, immortalisé par le tableau de Géricault. Créé en 1976, le Parc national du Banc d’Arguin est aujourd’hui considéré comme un haut lieu de la biodiversité mondiale et un modèle de développement durable. Classé «Site du patrimoine mondial de l’humanité» depuis 1989, le parc est protégé par les autorités mauritaniennes, et appuyé par la Fondation internationale du Banc d’Arguin depuis sa création.

Le titre de l’ouvrage Récits de paysages rend compte d’un projet ambitieux: «faire parler le paysage à travers le récit des acteurs du territoire». Bien que signé par Simon Nancy, cet ouvrage est avant tout une aventure collective. Plusieurs membres du PNBA, de la FIBA et du réseau des aires protégées en Afrique de l’Ouest ont été associés dans un comité de pilotage. Un véritable processus de réflexion territoriale a permis d’identifier les sites et les acteurs «raconteurs» afin de dresser le portrait de ces paysages. Il en résulte un ouvrage qui est bien plus qu’un simple outil de communication. Ce n’est pas là un énième livre sur les poissons et oiseaux du PNBA mais un remarquable «beau livre», et ce grâce aux magnifiques illustrations de Simon Nancy. Parce qu’il est un géographe «complet», dans la lignée de nos maîtres qui maniaient aussi bien le pinceau que le verbe, Simon Nancy déploie au fil des pages ses multiples compétences et talents: les photos alternent avec les croquis de paysages, dessins, cartes…

2. Village imraguen

Les textes sont d’une grande sensibilité, propre à celui qui connaît bien un territoire pour y avoir séjourné et appris à le faire parler. En bon géographe, Simon Nancy dit reprendre la forme de l’Atlas et nous convie dans différents endroits de ce Parc présentés à chaque fois par une carte de localisation et un croquis de synthèse, souvent diachronique. Il nous balade ainsi d’île en île, de village en village qui s’égrainent le long du rivage. Il va jusqu’à risquer quelques incursions dans les campements nomades de l’hinterland désertique.

3. Le paysage de Barikallah

Le lecteur se retrouve tantôt dans les airs, à survoler cette côte, alternant entrants et saillants, estrans et falaise, tantôt à terre, à hauteur de flamants roses et autres chacals qui peuplent la zone, tantôt en mer, au côté de mulets, raies et requins qui évoluent dans ces eaux parmi les plus poissonneuses du monde.

4. Transformation du poisson

Le lecteur pénètre dans l’intimité des acteurs du territoire. Il est invité à fouiller le sol avec l’archéologue, à observer les oiseaux avec les ornithologues, à mesurer les poissons avec les chercheurs de l’Institut mauritanien des recherches océanographiques et des pêches (IMROP), à faire des relevés avec les naturalistes, à comparer les images satellitaires avec le géomaticien. Les habitants sont là, physiquement grâce à de magnifiques photos qui nous familiarisent avec leur environnement quotidien, et oralement, grâce à de nombreuses prises de parole. Les Imraguen (tribus maures qui peuplent cette côte) content l’évolution de la zone, détaillent la technique de la pêche au filet à l’épaule dont ils détiennent le secret, expliquent la fabrication de la lanche, cette embarcation à voile et à fond plat qui est la seule autorisée à sillonner ces eaux.

La balade s’achève sur le nouveau «goudron» qui relie depuis 2006 Nouakchott et Nouadhibou (les deux principaux centres urbains) et passe à proximité du PNBA. Le Banc d’Arguin est désormais beaucoup plus accessible, mais sa fréquentation demeure limitée et réglementée. Il ne faudrait pas croire que cet espace est resté en dehors du temps et du monde. Hommes et femmes rappellent combien la zone a longtemps été un lieu d’échange, notamment avec les Canariens dont l’apport a été important dans les techniques de pêche.

Dans les toutes dernières pages de l’ouvrage, Simon Nancy consent à nous dévoiler l’un de ses secrets qui lui permet de «raconter» le paysage: la photographie aérienne par cerf-volant. Voilà quelques années maintenant qu’il a créé avec Marion Broquère le collectif «en Haut !». L’utilisation de cette technique « douce, écologique, silencieuse et peu onéreuse » leur permet d’intervenir dans de nombreux domaines: analyse et suivi de morphologie urbaine (BOSSELUT B. et alii, 2009), outil de gestion des aires protégées et suivis écologiques (dénombrement de nids d’oiseaux, suivi de stations végétales), suivi de chantiers de fouilles archéologiques, suivi du processus d’érosion.

5. La photographie aérienne par cerf-volant

Au final, les propos et illustrations de Simon Nancy donnent à voir/lire/comprendre un paysage vivant et diversifié. Le lecteur est ainsi incité à rompre catégoriquement avec les images simplistes qui présentent traditionnellement les espaces arides comme des zones d’une grande monotonie ou réifient leur minéralité désincarnée et déshumanisée. À l’image des sociétés qui l’habitent, ce bout de Sahara, posé en équilibre sur la mer, est bel et bien changeant.

Soulignons que le prix de l’ouvrage (23€), modique au regard de la qualité des illustrations, devrait permettre de dépasser la difficulté relative à se le procurer (commande directement en ligne sur le site de la FIBA). Assurément, petits et grands, géographes ou non, scientifiques ou amateurs, connaisseurs, passionnés ou simplement curieux… tous serons ravis par cette invitation à découvrir, écouter et regarder ces paysages si singuliers.

Référence de l’ouvrage

NANCY S. (2010). Le banc d’Arguin en Mauritanie, récits de paysages. Nîmes: Grandir/FIBA, 181 p. ISBN: 978-2-84166-416-0

L’ouvrage est disponible sur commande en librairie, par correspondance sur le site de la FIBA et en Mauritanie, à Nouakchott, à la boutique du siège du PNBA.

Bibliographie

BOSSELUT B., BROQUERE M., CHOPLIN A., NANCY S., 2009, «La ville du Sud en temps réel, de l’utilité de la photographie aérienne sous cerf-volant dans les études urbaines», EchoGéo, n° 9, mis en ligne le 10 juillet 2009.

Liens utiles

http://www.enhaut.org/

http://www.pnba.mr

http://www.lafiba.org/