Visualiser nos connaissances
Le magnifique Atlas of Science publié en 2010 par Katy Börner, professeur en Sciences de l’information et conservatrice à la bibliothèque Wells de l’université d’Indiana, aux États-Unis, propose un état de l’art des Sciences Maps, c’est-à-dire des représentations graphiques issues de données quantitatives. Ce très beau livre, grand format, sur papier glacé a remporté le prestigieux prix de l’American Society for Information Science and Technology (ASIS&T) dans la catégorie «meilleur livre de l’année 2011 en Sciences de l’information». Il faut dire que cet ouvrage de 254 pages contient plus de 500 illustrations toutes plus innovantes les unes des autres.
L’ouvrage est composé de cinq parties articulées qui portent sur la classification des sciences en lien, d’une part, avec la production d’atlas, donc de graphiques (étant entendu que la carte est un type de graphique) et, d’autre part, avec la communication scientifique, le traitement des données et les procédés de cartographie numérique et d’infographie. Les illustrations proposées dans l’ouvrage ont été sélectionnées dans le cadre d’un dispositif de réflexion collective amorcée en 2005 et composé d’ateliers annuels adossés aux expositions Places & Spaces: Mapping Sciences. Le site web qui leur est consacré est régulièrement actualisé et complète judicieusement l’ouvrage. Il propose notamment le téléchargement des 1650 références aux formats EndNotes et BibTex, la visualisation d’une sélection de figures exposées en haute résolution. L’intérêt de cet atlas tient ainsi aux multiples niveaux de lecture illustrés de l’histoire des graphiquesqu’il propose dans un objectif clair de vulgarisation et d’accessibilité à des publics divers et sur différents supports (papier et écran).
Un premier niveau de lecture intéressant est la possibilité de promenades entre les différentes sections, offerte grâce aux frises qui présentent, en abscisse, une chronologie des événements, et en ordonnée, différents onglets thématiques pour une meilleure perception du contexte historique d’émergence des figures innovantes. La section consacrée spécifiquement aux Sciences Maps de la partie 2 sur l’histoire propose, par exemple, une chronologie en quatre onglets: algorithmes, visualisations, outils, références bibliographiques. Le second niveau de lecture met en évidence le caractère innovant des illustrations dans les domaines du graphisme, de la cartographie mais également du design infographique. L’ouvrage de publication américaine fait la part belle aux figures du globe terrestre dans le chapitre 4 qui porte sur les Sciences Maps en action.
Le caractère innovant de l’ouvrage se trouve aussi dans la manière de présenter les auteurs dont la photographie est assortie d’éléments biographiques et académiques. Les trajectoires professionnelles individuelles sont replacées dans le réseau mondial des collaborations, institutionnelles ou thématiques, en lien avec les localisations ou les thématiques de recherche. Des sections spécifiques sont consacrées aux recherches doctorales liées à la visualisation des données et même aux dessinateurs en herbe qui disposent d’une section spécifique.
Les figures ont ainsi été sélectionnées en fonction de leur représentativité de l’une ou l’autre avancée scientifique dans le champ de la visualisation. De fait, comme dans toute sélection, on peut ne pas toujours y trouver son compte. Nous avons, pour notre part, regretté notamment l’absence d’illustrations des travaux de Torsten Hägerstrand (École de Lund, Suède) sur la visualisation des cheminements de mobilités quotidiennes individuelles à l’aide du prisme spatio temporel, ou celle des travaux de Mei-Po Kwan qui contribua à vulgariser le procédé en l’implémentant dans un système d’information géographique (SIG). De manière générale, les figures innovantes sélectionnées sur les mobilités et les flux semblent être davantage issues du champ de la visualisation des graphes plutôt que de celui de la cartographie.
Les discussions conceptuelles, théoriques et méthodologiques à l’œuvre dans le domaine de la visualisation des données ne sont pas en reste. Il est ainsi intéressant de noter que la partie 3 intitulée «Vers une Science des Sciences» porte sur la chaîne de production (info)graphique: de la conceptualisation des objets (individuels, agrégés, couples) à leur préparation, leur modélisation jusqu’à leur visualisation en passant par la question transversale de la sélection des données au préalable de leur visualisation.
Pour conclure, cet ouvrage est potentiellement d’une grande utilité aux lecteurs de M@ppemonde, que l’anglais (!) ne rebute pas, et ce, qu’elle que soit leur discipline. Le plaisir d’une lecture enrichissante à de multiples points de vue est renforcé par les illustrations et les nombreuses références qui ponctuent l’ouvrage. D’après l’auteure, même les esprits les plus brillants ne peuvent mémoriser un tel déluge de production scientifique. L’Atlas of Sciences a ainsi l’ambition de donner à voir une représentation du paysage de nos connaissances.
Référence de l’ouvrage
BÖRNER K. (2010). Atlas of Sciences. Visualizing what we know. Massachusetts: The MIT Press, 254 p. ISBN: 978-0-262-01445-8