Les touristes dans le système touristique polynésien: essai de typologie
Les touristes sont couramment considérés, dans la plupart des analyses, comme une catégorie homogène et distincte de la catégorie «société locale». L’un des enjeux de la thèse a été de déconstruire cette idée. La figure présentée ici propose une typologie graphique des touristes présents en Polynésie française. Partant d’une définition du tourisme comme «système d’acteurs, de pratiques et de lieux qui a pour objectif de permettre aux individus de se déplacer pour leur recréation hors de leur lieu de vie habituel, en allant habiter temporairement d’autres lieux.» (Dehoorne et al., 2003), l’analyse de la catégorie des touristes amène à s’interroger sur leurs pratiques et leur rapport à l’altérité.
Généralement quand on parle de touristes en Polynésie, on les associe aux touristes internationaux, occultant ainsi le tourisme local. Or les locaux peuvent être touristes en Polynésie. Il existe donc une perméabilité entre touristes et société locale. En outre, cette association masque la complexité des profils des touristes. Par exemple, deux catégories de touristes sont considérées comme étrangers alors qu’ils ne le sont pas: Polynésiens expatriés hors du fenua [1] et métropolitains. Même si l’on est dans un territoire aux antipodes de la France métropolitaine, on n’en demeure pas moins en France. À cette hétérogénéité et cette perméabilité inter-catégorielle, se surimpose une perméabilité intra-catégorielle par le biais de l’introduction des touristes par la société locale [2]. En effet, les touristes dits «internationaux» peuvent trouver en Polynésie des amis, des connaissances ou de la famille qui jouent le rôle d’intermédiaire dans la découverte du différentiel d’altérité, et influencent le choix des lieux et des pratiques touristiques. Cette introduction est un facteur d’extension multiscalaire de l’espace touristique.
1. Essai de typologie des touristes dans le système touristique polynésien |
L’homogénéité des touristes vole en éclats: ils peuvent venir d’horizons géographiques, culturels, socio-économiques différents, avec une expérience touristique inégale. La mobilité touristique induit un déplacement spatial et social dans un «hors quotidien». Les touristes n’auront pas tous les mêmes attentes quant à l’altérité des lieux et des personnes rencontrées. Ce différentiel d’altérité varie selon plusieurs critères (Dehoorne et al., 2003):
Ces critères ont été utilisés pour définir trois axes qui permettent de situer les différents profils de touristes décelés lors d’entretiens qualitatifs et enquêtes quantitatives (encadré). Ces entretiens et ces enquêtes ont été menés sur le terrain auprès des touristes internationaux et locaux pour connaître leurs pratiques touristiques et parcours individuels. Quatre types de touristes émergent alors: novices, «self made», introduits et initiés.
Le travail de terrain a réposé, entre autres, sur des entretiens qualitatifs semi-guidés auprès de 80 touristes internationaux à l’aéroport de Faa’a, avant leur départ pour leur pays d’origine, pour connaître leurs pratiques durant leur séjour et établir leur profil, des entretiens qualitatifs semi-guidés auprès de 100 habitants, dont 50 ont été réalisés à Tahiti et Moorea et les 50 autres dans les îles, et une enquête quantitative auprès de 500 personnes habitant à Tahiti pour dresser un tableau des pratiques touristiques de la société locale et connaître sa position par rapport au tourisme. |
Les touristes, souvent étrangers [6], «novices» (en vert sur la figure) dans la destination sont non introduits et se cantonnent souvent à quelques îles: Bora Bora et Moorea. Ils fréquentent généralement des hôtels de chaînes internationales. La courte durée de leur séjour est à mettre en relation avec la durée légale des congés dans ces pays et explique en partie l’étroitesse du territoire touristique. La fréquentation d’hôtels au confort et aux repères standardisés est souvent un moyen d’aborder, pour des touristes souvent non francophones venant de lieux très différents, une altérité relativement forte marquée par l’«étrangeté», l’exotisme et l’éloignement. Ce type de touriste est souvent en quête de tropicalité insulaire mais aussi du mythe polynésien dont Tahiti et Bora Bora sont les emblèmes spatiaux.
Les touristes «introduits» (en bleu sur la figure) sont le plus souvent des touristes originaires de la métropole. Ils possèdent un territoire touristique plus étendu à la fois à l’échelle de l’île et de la Polynésie. Tahiti est souvent un espace de transit pour les touristes «novices» qui, dès leur arrivée à l’aéroport international de Faa’a à Tahiti, s’envolent souvent pour une autre île, et n’y reviennent que quelques heures avant leur départ. Pour les autres, lieu de résidence des relations qu’ils visitent, cette île sera plus systématiquement découverte. Ils ne fréquentent pas les mêmes plages: les premiers vont généralement sur les plages des hôtels dans lesquels ils résident tandis que les seconds fréquentent plutôt les plages publiques. Leur durée de séjour est plus longue. Le logement chez la famille ou les amis, plus économique, permet de visiter une autre île. S’ils ne sont pas logés par la famille ou dans les îles, ils fréquentent plus souvent les hébergements chez l’habitant (Blondy, 2005). Leur coût, même s’il reste élévé, l’est moins que celui d’un hôtel, et permet de visiter un plus grand nombre d’îles ou de faire plus d’activités. Leur territoire touristique est donc souvent beaucoup plus étendu et «dense». Ces touristes «introduits» découvrent les trois îles de Tahiti, Moorea et Bora Bora mais explorent aussi d’autres îles comme Huahine, Maupiti, Tahaa (Société), Rangiroa Tikehau (Tuamotu), plus rarement les Australes et les Marquises qui restent une destination chère et peu fréquentée. Ces îles font généralement l’objet d’une exploration plus fouillée, l’hébergeur pouvant relayer les amis ou les parents pour orienter les pratiques et la découverte de lieux non visités par les touristes internationaux non «introduits». C’est le cas sur la presqu’île à Tahiti. Les touristes ont finalement des pratiques assez proches du métropolitain expatrié en Polynésie.
Le touriste «self-made» (en jaune sur la figure) est le touriste récurrent qui par ses expériences touristiques en Polynésie n’est plus novice. Même s’il n’est pas «introduit», il est familier de ces lieux qui restent malgré tout, pour lui, exotiques et lointains. Il ne les appréhende pas de la même façon à chaque fois. La perméabilité entre les catégories peut donc jouer également sur la durée: un touriste repeater [7] peut au cours de ces nombreux voyages tisser des relations et nouer des contacts amicaux qui sur le plus ou moins long terme peuvent le faire basculer dans le type du touriste «introduit».
Les touristes «initiés» (en violet sur la figure) correspondent à la société locale. À la différence des touristes internationaux, voyageant majoritairement en couple, ils voyagent en famille. Les séjours sont souvent courts. Leur territoire touristique est plus ouvert que celui des touristes internationaux grâce à une meilleure connaissance des lieux et un réseau de relations qui partagent les expériences voire les opportunités (promotions, logement, etc.). Les Australes, les Marquises, Fakarava, Huahine, Maupiti, Raiatea sont ainsi plus souvent explorées, même si les principaux pôles touristiques sont visités au moins par les résidents expatriés. Les expatriés séjournent souvent dans des pensions de famille, mais ils vont aussi à l'hôtel ou logent chez des connaissances (surtout les résidents polynésiens ou les expatriés de longue date). Leurs activités sont tournées vers le lagon, la plage, le farniente sauf quand le lieu de séjour est déterminé par des stratégies familiales (les activités sont alors liées aux tâches et aux rythmes familiaux si la famille a conservé des modes de vie traditionnels). En fonction de l’origine géographique, du niveau et du degré d’occidentalisation des modes de vie, les touristes ont des pratiques variables, et les lieux demeurent plutôt familiers, non exotiques, plus ou moins proches.
La figure montre donc qu’il existe des gradients de noviciat, d’introduction, d’initiation et qu’il existe des passerelles possibles entre ces types.
Bibliographie
BLONDY C. (2005). Les Cahiers d’Outre-Mer, avril-juin, vol. 58, n° 230, p.153-188. «Le tourisme en Polynésie française: les acteurs privés de l’hébergement dit «chez l’habitant» (exemples des îles hautes de Tahiti et Moorea, archipel de la Société)».
DEHOORNE O., DUHAMEL Ph., GAY Ch., KNAFOU R., LAZZAROTI O., SACAREAU I., STOCK M., VIOLIER Ph. (2003). Le tourisme: acteurs, lieux et enjeux. Paris: Belin, coll. «Mappemonde», 303 p. ISBN: 2-7011-3713-6
Référence de la thèse
BLONDY C. (2010). Les territoires touristiques polynésiens: Une lecture géographique de la participation de la société locale au système touristique. Bordeaux: Université Michel de Montaigne - Bordeaux III, thèse de doctorat en géographie, 800 p.