La carte des arrêtés «CatNat» pour les inondations: analyse spatio-temporelle
Des événements aux conséquences catastrophiques rappellent régulièrement le fort degré d’exposition de la France métropolitaine aux inondations. Que ce soient les remontées de nappe (la Somme en 2001), les crues torrentielles méditerranéennes (les Gardons en 2002 et la Narturby en 2010) ou les submersions marines (Vendée et Charente-Maritime en 2010), l’inondation, sous toutes ces formes, peut affecter l’ensemble du territoire. Les aléas hydrologiques concernent potentiellement 27 000 km2 (d’après les Atlas des Zones Inondables, 2008), soit 4% du territoire, et ils s’étendent sur 16 314 communes, dont 300 agglomérations regroupant 2 millions d’habitants (d’après les chiffres du 1er février 2008 évoqués par la Direction générale de la prévention des risques, 2009). L’aléa inondation représente 80% du coût global des catastrophes naturelles en France métropolitaine (hors dégâts liés aux effets des tempêtes et de la grêle), ce qui représente près de 460 millions d’euros rapportés à une échelle moyenne annuelle (Ledoux, 2006).
Les inondations peuvent être indemnisées au titre du régime «CatNat» (instauré depuis la loi du 13 juillet 1982 par une extension de garantie obligatoire aux contrats d’assurance «dommage»), à condition d’être reconnues comme catastrophes naturelles par les pouvoirs publics. Un arrêté interministériel doit être pris pour que les victimes puissent faire un dossier en vue d’un dédommagement pour les préjudices subis (Pottier, 1998; MEDD, 2005; Douvinet, 2006, 2010). Les arrêtés sont notifiés par le préfet puis transmis aux communes concernées. En parallèle, le ministère de l’Environnement (devenu ministère de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie depuis mai 2012) est chargé de collecter ces arrêtés pour alimenter la base de données GASPAR (gestion assistée des procédures administratives relatives aux risques naturels) depuis le 1er janvier 1983.
Cet article présente les enseignements tirés d’une cartographie des arrêtés de catastrophe naturelle pour les inondations en France métropolitaine. Ces données ne permettent pas d’aborder le risque «inondation» (croisement d’un aléa et d’une vulnérabilité dans une acception large) et pourtant, elles autorisent à évaluer la sinistralité associée car les crues sont considérées comme des phénomènes directement dommageables pour les sociétés (Pigeon, 2002). Un autre article a été publié en parallèle (Douvinet, Vinet, 2012) pour aborder les limites des traitements opérés à partir de la base «CatNat», ce qui permet de mieux circonscrire le champ d’utilisation de ces arrêtés, et de proposer différentes solutions pour améliorer les interprétations spatiales présentées ici.
Dans un premier temps, les arrêtés «inondations» ont été sélectionnés sur la période 1984-2008. L’analyse de leur distribution temporelle cherche d’abord à savoir si les forçages pluviométriques, faits bien connus aujourd’hui, se retrouvent à une échelle annuelle puis saisonnière, et si une recrudescence de la sinistralité est observée au cours du temps. L’étude de la répartition spatiale vise ensuite à mieux identifier les secteurs géographiques «les plus fréquemment sinistrés», afin de voir si les sinistres concernent les communes les plus peuplées et si se démarquent les catastrophes majeures, considérées théoriquement comme les plus coûteuses.
Données retenues pour s’interroger sur la sinistralité liée aux inondations sur le territoire français métropolitain
Cette étude s’intéresse uniquement à la sinistralité liée aux inondations en France métropolitaine, en laissant volontairement de côté les DOM-COM (départements ou communes d’Outre-Mer). Compte tenu des critiques émises sur la procédure de reconnaissance et sur la constitution de la base GASPAR (Douvinet, 2006), les arrêtés doivent être traités avec précaution. On doit considérer les déclarations comme le simple signe de la présence de dégâts dus à des inondations dans une commune et tenir compte d’une marge d’incertitude pour les communes où les sinistres ont été peu onéreux, les estimations financières n’influençant pas les prises de décision.
Il ne s’agit donc pas d’une étude sur le risque inondation puisque les événements traités sont associés à une demande d’indemnisation et à des sinistres en corollaire. Si une crue se manifeste en entraînant de faibles dégâts sur une commune, cette dernière n’engage pas automatiquement la procédure «CatNat» (d’autant plus avec la mise en place du système de franchises en 2000 qui a conduit les communes à ne pas demander une reconnaissance pour de petits événements) alors même que l’aléa naturel existe. L’arrêté «CatNat» déclenche une procédure d’indemnisation mais n’est pas un instrument de mesure du dommage: il est alors impossible de mener une étude à une échelle fine, notamment sur le quantum de dommages à une maille territoriale correspondante. Seule la caisse centrale de réassurances (CCR) dispose de ces données; cependant, celles-ci ne sont pas rendues publiques, sauf pour les événements les plus coûteux, souvent très médiatisés (http://erisk.ccr.fr). Ce fut le cas pour les tempêtes Lothar et Martin de 1999, pour les crues par remontées de nappe de la Somme en 2001, ou pour les crues de l’Aude en novembre 1999.
Parmi les différents items présents dans la base GASPAR et recensés dans les 36 550 communes métropolitaines, seules les catégories qui font explicitement référence à l’inondation ont été conservées [1]. Les événements ayant fait l’objet de plusieurs arrêtés ont été agglomérés pour ne constituer qu’une seule déclaration: lorsqu’une commune a bénéficié, pour les mêmes dates, d’un arrêté «inondations» et d’un arrêté «inondations et coulées de boue», cela induit automatiquement des redondances dans la base de données et peut finalement entraîner une surestimation de la sinistralité. L’individu statistique n’est donc pas de nature juridique (arrêté paru au Journal officiel) mais géographique: c’est l’arrêté par commune.
1. Évolution du nombre (annuel et cumulé) de communes déclarées en «CatNat» pour la période 1984-2008 |
(d’après la base GASPAR du ministère de l’Environnement) |
D’autres événements ont été exclus car ils sont mal renseignés. Les arrêtés «inondations par coulées de boue et effets exceptionnels dus aux précipitations» pris le 22 janvier 1992 pour 992 communes des Pyrénées-Orientales, l’Aude et l’Ariège ont ainsi été supprimés: après vérifications, les précipitations étaient de nature neigeuse (donc ces communes auraient dû bénéficier d’une indemnisation au titre du système «TGN» — «tempête, grêle et neige» — et non «CatNat»…). On retrouve aussi des arrêtés «inondations et coulées de boue» pour les épisodes du 14 août 1985, du 23 juillet 1988 (mort de 2 personnes), du 6 juin 1998 (ligne de grains) ou du 4 juillet 2005 (tempête de grêle) alors que les dégâts ne sont pas directement liés à des crues. Les arrêtés de la première année (1983) ont aussi été écartés car les critères pour la prise de décision n’étaient pas clairement affirmés, ce qui a conduit à une sur-prescription des reconnaissances. À une époque où le système «CatNat» n’en était qu’à ses débuts, l’événement du 14 novembre 1982 avait par exemple une définition très large (recensé dans la catégorie «tempête») et englobait les communes touchées par des dégâts dus au vent et celles par une inondation sans qu’il soit possible de les distinguer encore aujourd’hui.
Au final, 50 395 arrêtés ont servi de base pour réaliser la carte des sinistres associés aux inondations en France métropolitaine entre 1984 et 2008. L’analyse porte ainsi sur la distribution, à la fois spatiale et temporelle, de ces reconnaissances tout en essayant de dégager des tendances généralisables.
Lecture diachronique et temporalités (1984-2008)
Liens partiels avec la variabilité des épisodes pluvieux
L’évolution des arrêtés «CatNat» sur la période étudiée (24 ans) est soumise à la variabilité naturelle des épisodes pluvieux. La courbe de succession des années pluvieuses (1992, 1993, 1994) ou plus sèches (1989, 2004, 2005) est bien parallèle à celle des occurrences (IFEN, 2002). Toutefois, l’interprétation ne peut être si simple (fig. 1). Derrière ces chiffres, se cachent en fait des éléments dont les effets directs ne sont pas quantifiables, en particulier le changement de comportement des maires face à l’expertise de la commission interministérielle. La méconnaissance de la procédure a souvent conduit de nombreuses communes à ne pas constituer de dossiers d’indemnisation au début des années 1980; de plus, les maires ne voyaient pas l’utilité de déclarer leur commune car cette procédure, associée à la mise en place des plans d’exposition aux risques (PER), était perçue comme un moyen utilisé par l’État pour limiter leur pouvoir urbanistique. Les catastrophes du Grand Bornand (1987), de Nîmes (1988) puis de Vaison-la-Romaine (1992) ont ensuite remis à l’ordre du jour la prise en compte des inondations dans les projets d’urbanisation avec l’apparition des PPRI (plans de prévention du risque inondation) en février 1995. Par ailleurs, le système des franchises prévu par le législateur en 1982 a été modifié dès 2000: sur les communes non dotées d’un PPRI (prescrit ou approuvé), la franchise a été modulée en fonction du nombre d’arrêtés pris pour le même risque sur les cinq années précédant la demande d’arrêté. Quand la commune a subi n arrêté(s) (de 1 à 6), la franchise est désormais multipliée par n – 1. On suppose alors que les communes n’enclenchent pas forcément la procédure «CatNat» pour de faibles dégâts. Ces éléments interfèrent avec la variabilité naturelle des épisodes pluvieux qui ne peut donc expliquer, de manière exclusive, cette évolution interannuelle.
L’étude interannuelle ne laisse pas non plus apparaître de tendance marquée. Le test de Pettitt (1979) a été utilisé pour confirmer statistiquement l’évolution la plus significative (Paturel et al., 1998) et pour détecter une éventuelle rupture dans la série chronologique. Ce test, non paramétrique, accepte l’hypothèse selon laquelle la série est aléatoire au-delà du seuil de confiance de 90%. Ces résultats se confirment aussi par le test de corrélation de rang (avec une valeur de la variable de calcul de - 0,19) ou par d’autres méthodes statistiques telles que le test de Buishand et la méthode bayésienne de Lee et Heghinian (avec un mode de la fonction densité de probabilité a posteriori de la position du point de rupture de 0,1427 en 1985).
Une approche par date d’événement délicate
En étudiant la distribution des arrêtés par date d’événement, on reconnaît les principales inondations, en particulier les conséquences des crues torrentielles qui sont bien circonscrites dans l’espace et qui se déroulent dans un intervalle de temps inférieur à 48 heures. En revanche, pour d’autres événements, il n’est pas possible de se contenter d’une sélection par date. Des sinistres différents peuvent, en effet, être regroupés pour les mêmes dates. On peut citer l’exemple des inondations et coulées de boue des 21 et 22 septembre 1992: sur les 550 reconnaissances, 454 portent sur des communes (de l’Hérault à la Drôme et du Var à l’Ardèche) qui coïncident avec l’empreinte spatiale de l’épisode méditerranéen qui marqua par son intensité le secteur de Vaison-la-Romaine (Blanchet, Deblaere, 1993). Les autres communes ont été inondées ce même jour (dans le Lot, le Cantal et la Corrèze) mais lors d’un épisode distinct d’un point de vue météorologique. Les crues tempérées hivernales sont, elles aussi, difficiles à circonscrire. Durant les inondations de 1995, la plupart des arrêtés (3588) font débuter l’événement le 17 janvier et le clôturent le 31 janvier. Pourtant, des communes ont été reconnues pour des dates qui s’échelonnent jusqu’en mai, pour des secteurs allant de la Bretagne à la Lorraine, notamment pour des inondations par remontée de nappe. Compte tenu du retard du débordement des nappes par rapport aux précipitations, on ne doit pas attribuer ce type d’inondation à un épisode pluviométrique précis mais à une saison pluvieuse excédentaire. Ce décalage dans la procédure d’indemnisation a également été observé pour les arrêtés liés aux remontées de nappes dans la Somme en 2001 et il est tout aussi valable pour des inondations affectant les principaux fleuves français qui peuvent durer plusieurs semaines (Loire en 1982; Rhône en 2003).
Une surestimation des petits événements locaux
Ce flou dans la description des types d’inondations entraîne une extrême dispersion des arrêtés «CatNat». Les événements marquants, comme les inondations de la Somme en 2001 ou de Vaison-la-Romaine en 1992, ne totalisent qu’une faible partie des reconnaissances, avec respectivement 244 et 454 arrêtés, soit 7,4% et 16% du total des arrêtés pris durant ces années-là. Quoique imparfait pour rendre compte du nombre d’événements, un simple tri par date montre que, sur les 9 130 jours de la période considérée, 1 873 ont vu paraître au moins un arrêté de catastrophe naturelle [2], soit moins d’une reconnaissance tous les 5 jours (tableau 1). Le nombre de petits événements est frappant: la médiane est de 6 communes par date d’événement et 424 dates ne concernent qu’une seule commune (soit 22,6% des 1 873 dates).
Le fait que plusieurs arrêtés ont été pris, en moins de 25 ans, sur certaines communes remet également en cause cette notion même de catastrophe naturelle (IFEN, 2002; Vinet, 2008). Ce terme est mal choisi car il renvoie (dans la littérature et dans le sens commun) à des phénomènes de grande ampleur entraînant un nombre élevé de victimes et de nombreux dégâts étalés sur de vastes territoires. Plus neutre, celui de «sinistre», employé dans le monde de l’assurance (Cour des comptes, 2008; MRN, 2009; Douvinet, 2010; Gérin, 2011), serait nettement plus approprié pour désigner ces reconnaissances «CatNat». L’analyse se poursuit ensuite en cherchant à savoir s’il existe un lien entre la distribution de la sinistralité, dans le temps et dans l'espace, et la nature des inondations en jeu, ces dernières présentant des formes différentes selon les territoires et selon les entrées pluviométriques qui conduisent à leur genèse.
Distribution des arrêtés dans l’espace
Mise à jour des sinistres «banals et fréquents»
Le cumul des arrêtés «CatNat» relatifs à l’item «inondations» est souvent cartographié, pour des questions de lisibilité, avec des cercles proportionnels (site de la DATAR par exemple, 3). Pourtant ce choix est erroné du point de vue sémiologique puisque les caractères traités sont des valeurs absolues (Noin, Thumerelle, 1993). Une carte par points (fig. 2) a alors été réalisée; elle fait ressortir les linéaires de cours d’eau liés à des grands bassins versants (le Rhône, suivi par l’Aisne, la Somme, la Meuse, l’Allier dans sa partie moyenne) mais aussi à des bassins de taille moyenne (Maine, Loire amont, Aude), voire même à des petits bassins (Orne, Sarthe, Iton). D’autres secteurs apparaissent, pour lesquels la fréquence des arrêtés n’est pas liée à des débordements de plaine (Pays de Caux, Pays d’Artois, sud des Ardennes, sud-est des Alpes-Maritimes, nord-est de la Corse). Des agglomérations (Marseille, Toulouse, Bordeaux, Paris, Lille, Brest) présentent aussi un nombre élevé d’arrêtés à cause d’une importante concentration des enjeux exposés à des phénomènes de ruissellement urbain. Certains départements (Seine-Maritime, Saône-et-Loire, Charente-Maritime, Ariège, Vienne, Seine-Saint-Denis) ont vu, depuis 1982, presque toutes leurs communes sinistrées au moins une fois. Le nombre d’occurrences (nombre d'arrêtés pris sur une commune au cours de la période 1984-2008) est de 5,5 en moyenne sur les 40 communes de la Seine-Saint-Denis, ce qui indique que le critère décennal a donc bien été dépassé plusieurs fois…
2. Nombre de reconnaissances «CatNat» pour les inondations, par commune (1984-2008) |
En revanche, la carte ne fait pas ressortir les autres principaux fleuves français (Garonne, Loire, Seine, Rhin). Les territoires les plus fréquemment reconnus ne sont d’ailleurs pas les mêmes que ceux matérialisés sur les cartes du risque «identifié», sinistrés à cause de phénomènes de débordement fluvial (Ledoux, Bonnefoy, 1994; Vinet, 2010) plus connus pour les grandes inondations des siècles précédents (1856 sur la Loire et le Rhône; 1875 et 1930 sur la Garonne; 1910 sur la Seine). La plupart des fleuves (surtout la Loire) ont été endigués et les zones urbanisées situées à l’arrière des digues sont protégées des crues moyennes. Les récentes crues de la Loire ont, en fait, affecté peu de zones urbaines puisque les franchissements de déversoirs demeurent extrêmement rares (Rode, 2009).
Sans exclure l’urbanisation massive dans quelques grandes agglomérations (Tours, Angers, pourtour du sud Méditerranée), les zones à risque ont été épargnées par l’urbanisation (zones ND des anciens plans d’occupation des sols), ce qui explique le fait que les arrêtés «CatNat» soient si peu nombreux sur les grands fleuves (surtout sur le Loire). Endiguée,les territoires de la Loire moyenne n’ont subi aucun sinistre majeur depuis 1856 (Rode, 2009). Le risque sur ce fleuve, comme sur la Seine et la Garonne, est un risque de catastrophe majeure qui se traduirait par une rupture généralisée des digues. L’Établissement public de la Loire a d’ailleurs chiffré les dommages d’une catastrophe de l’ampleur des crues de 1856 à environ 7 milliards d’euros. Sur la Seine, on atteindrait plus de 14 milliards si la crue de 1910 (dont on vient de célébrer le 100e anniversaire) se reproduisait dans les mêmes secteurs et dans les mêmes conditions hydrauliques. Bruno Ledoux et Jean-Luc Bonnefoy (1994) avaient d’ailleurs déjà souligné cette distorsion existant entre le risque majeur connu issu de la cartographie historique des grandes zones d’inondation et la perception par le dommage qu’offre le régime d’indemnisation «CatNat».
Une distribution saisonnière confirmant des forçages pluviométriques connus
La localisation des arrêtés «CatNat» a aussi été cartographiée à une échelle saisonnière (fig. 3). Trois saisons sont dissociées: de janvier à avril (épisodes hivernaux), de mai à août (inondations liées à des pluies orageuses de printemps et d’été), de septembre à décembre (crues automnales). La sensibilité des territoires aux forçages pluviométriques (qui induisent ensuite, selon les caractéristiques géographiques des milieux concernés, différents types d'aléas et donc d'inondations) est avérée. La carte des déclarations de janvier à avril (points bleus) confirme la répétitivité des sinistres pour des cours d’eau de petite taille (Orne, Risle ou Eure) et de taille moyenne (Aisne, Maine, Vilaine, Somme, Oise et Doubs). La sensibilité du nord-ouest (du Massif armoricain au Bassin parisien) et de l’est (Vosges, Fossé Rhénan) de la France est mise en évidence alors que les grands fleuves ressortent assez peu. Cette distribution spatiale confirme la prégnance des crues provoquées par des pluies régulières et continues associées au passage des perturbations en flux perturbé d’ouest (Dupont et al., 2008).
Les reconnaissances apparaissent dispersées au printemps et en été (points orange), même si plusieurs secteurs présentent une plus forte prédisposition (Bassin aquitain, Bassin parisien, Alsace, couronne parisienne, ouest des Alpes). Les sinistres touchent peu de communes à chaque événement; ils sont liés à des épisodes pluvieux de forte intensité, à caractère ponctuel et aléatoire, qui induisent des ruissellements urbains ou des «crues à cinétique rapide» (Dauge, 1999). Ces inondations résultent de deux types de situations. Les systèmes frontaux sont les plus violents (on peut d’ailleurs retrouver un alignement rectiligne des reconnaissances imputable aux lignes de grains), provoquant bien souvent plus de dommages liés à la grêle mais pourtant intégrés dans l’item «inondations» (…). Les situations de marais barométriques sont plus souvent en cause (Douvinet et al., 2009): en raison de l’insolation et de la relative sécheresse, l’air se réchauffe rapidement dans les basses couches et l’instabilité tend alors à devenir de plus en plus forte en fin de journée et durant la nuit (Belliard et al., 1976).
3. Saisonnalité des reconnaissances cumulées «CatNat» pour les inondations, par commune (1984-2008) |
La carte des communes reconnues entre septembre et décembre (points verts) met en avant les sinistres provoqués par des précipitations automnales, phénomènes classiques sur le pourtour méditerranéen. Les crues torrentielles peuvent ensuite générer des crues par débordement le long du Rhône (comme ce fut le cas en décembre 2003). Ces forçages contrôlent donc la localisation de ces reconnaissances en amont: selon la fréquence des épisodes de pluie, les arrêtés seront plus ou moins récurrents dans certaines vallées drainées par des cours d’eau moyens (Vidourle, Gardons).
En fusionnant ces informations saisonnières, on remarque que certaines régions ont été touchées par différents types d’inondation (Seine-Maritime, Nord-Pas-de-Calais, Gard, Alsace, vallée du Rhône). L’origine de cette forte sinistralité n’est donc pas forcément à chercher du côté de la nature des enjeux exposés en zones inondables, mais du côté de la variable pluviométrique qui reste le facteur de déclenchement des inondations. Le mois de décembre apparaît d’ailleurs comme un mois de transition entre les pluies d’automne méditerranéennes et les crues d’hiver fréquentes dans le nord-ouest de la France. En parallèle, cette cartographie confirme la sinistralité de deux régions (PACA et Languedoc-Roussillon) et de trois départements (Drôme, Corse et Ardèche); à eux seuls, ces espaces concentrent près de 10 900 arrêtés (sur les 50 395 recensés au cours de la période 1984-2008, ce qui représente 22% des reconnaissances sur 14,5% du territoire français).
Limite des interprétations spatiales
La répartition des arrêtés «CatNat» reflète assez fidèlement la saisonnalité et les principaux types zonaux des inondations à l’échelle de la France métropolitaine. Néanmoins, elle sous-estime le risque lié aux grandes inondations fluviales (excepté pour la vallée du Rhône) tout en surestimant les sinistres «banals». Deux questions se posent alors:
Conclusion et perspectives
Les déclarations rassemblées dans la base GASPAR sont couramment exploitées pour rendre compte de la sinistralité liée à des aléas naturels. Dans cette étude, les dégâts associés aux inondations passées pour la période 1984-2008) sont ciblés à la maille communale, mais ils ne permettent pas d’en illustrer la gravité. Dans de telles conditions, on peut s’interroger sur l’efficacité pour la connaissance et la prévention des outils associés à ce système d’indemnisation pour la gestion des informations décrites dans le présent article. C’est d’ailleurs dans ce sens que va le projet de réforme actuellement discuté.
Le rapport du ministère de l’Écologie, de l’environnement, du développement durable et des territoires de la mer (MEEDDM, 2010) indique que ce système reste apprécié: «les assureurs sont attachés à ce dispositif — qui leur évite de se livrer eux-mêmes à l’appréciation de la situation dans un contexte de crise mais aussi de concurrence entre eux — de même que les élus et l’État, qui en tirent la possibilité de manifester concrètement leur sollicitude à l’égard des victimes et de leurs proches en cas de catastrophe naturelle, et les particuliers qui ne subissent pas, grâce à ce mécanisme, le risque de position divergente d’un assureur à l’autre» (p. 82). Néanmoins, les remarques du précédent rapport rédigé à l’époque par le ministère de l’Environnement et du développement durable (MEDD, 2005) sont tout autant valables: «par ses caractéristiques, le régime ‘‘CatNat’’ contribue à affaiblir, sinon à supprimer, toute incitation à réduire l’exposition au risque par la recherche d’une autre localisation des activités et par des investissements dans la prévention». Depuis la mise en place de ce régime d’indemnisation et dans l’état actuel du système de prévention, le risque «haute fréquence/basse intensité» est surreprésenté par rapport au «risque catastrophique» dans le coût moyen annuel des sinistres, à cause du seuil très bas déclenchant la reconnaissance «CatNat» pour des phénomènes pluvieux qui n’ont pas toujours une occurrence décennale.
Il conviendrait d’approfondir les études sur les relations entre aléa et dommage, tant à l’échelle locale qu’à l’échelle régionale, par plus de retours d’expérience sur les événements. Le régime «CatNat» est un régime jeune qui n’a pas été confronté (pour les inondations) à un sinistre de grande ampleur (dont le coût dépasserait 10 milliards d’euros). Il est probable qu’en cas de catastrophe majeure, des pressions fortes œuvreraient dans le sens d’une augmentation des primes ou des franchises sous quelque forme que ce soit. L’évolution du système bute sur l’absence de données spatialisées fiables qui permettraient de quantifier les dégâts à l’échelle communale ou infra-communale. Cette quantification pourrait ensuite donner lieu à des différentiations spatiales, de primes ou de franchises, dans le cadre d’une modification du système (ce qui ne semble même pas du tout envisagé dans le projet de réforme actuellement discuté). Les provisionnements seraient aussi mieux calibrés en prévision d’événements de grande ampleur. Malgré ses imperfections, ce système est envié par de nombreux pays pour la solidarité nationale qu’il crée face aux catastrophes naturelles. En espérant que cela puisse durer encore quelques années...
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier la mission Risques naturels (Sarah Gérin, Roland Nussbaum, Jérome Chemitte) pour l’échange d’informations qui a eu lieu dès le début de ce travail. Il convient également de remercier Guérino Sillère et Cyrille Genre-Grandpierre pour leurs avis et leurs nombreux conseils sur les différentes représentations cartographiques.
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