«OpenStreetMap (ou OSM) est une carte du monde entier librement modifiable, faite par des gens comme vous.» (site OpenStreetMap France).
La montée en puissance de la cartographie en ligne
Au tournant des années 2000, 20% des requêtes réalisées sur les moteurs de recherche concernaient des lieux ou des adresses [1]. C’est ce qui a poussé de nombreuses sociétés privées à mettre en place des portails cartographiques gratuits (ou partiellement gratuits). Dans un univers très concurrentiel, Google s’est imposé facilement en mettant à la disposition des internautes, dès 2004, un service de cartographie et de vues aériennes d’une grande partie du monde, devenu «Google Maps» (sur le web) et «Google Earth» (via un logiciel 3D). Révolutionnaire par sa facilité d’accès et sa simplicité d’utilisation, ce portail cartographique a bousculé d’emblée les us et coutumes de la cartographie et de la géomatique, jusque-là domaine réservé aux experts et aux professionnels.
Mais l’arrivée de Google Maps n’a été qu’une étape. En effet, la montée du web 2.0 (web collaboratif) a encore changé la donne pour les ressources cartographiques en ligne, au point qu’on identifie aujourd’hui un domaine nouveau de la cartographie, qui a été nommé (un peu improprement) «néogéographie».
Le contexte: du web participatif et collaboratif au crowdsourcing
Depuis le milieu des années 2000, le web a en effet connu une profonde mutation. Peu à peu, la domination sans partage du web «vertical» (top down) aux contenus élaborés par peu d’acteurs et rendus accessibles aux internautes avec peu d’interactivité, s’est atténuée pour laisser une large place à un web ouvert, participatif, collaboratif où une grande partie des contenus mis en ligne provient des internautes eux-mêmes. L’extraordinaire potentiel de la web-cartographie fascine (Palsky, 2010). Il y a plus d’interactivité: chacun peut contribuer, échanger et collaborer sous différentes formes. L’internaute devient ainsi, grâce aux outils mis à sa disposition, une personne active sur la toile. Il alimente les sites en contenus, avec les blogs ou les réseaux sociaux, de manière collaborative avec les wikis et a accès à des dispositifs très rigoureux de type science citoyenne. Les sites web 2.0 sont centrés sur l’utilisateur et lui permettent de contribuer aux contenus publiés et d’avoir un contrôle sur ces informations.
1. Survol des itinéraires grâce à Helicopter view |
La web-cartographie n’a pas échappé à ce vaste mouvement technologique lié à de nouvelles pratiques. L’évolution des techniques vers plus de simplicité (les utilisateurs n’ont pas besoin d’avoir de grandes connaissances techniques ni informatiques) permet à tout un chacun de s’improviser cartographe et de participer à l’élaboration de contenus géographiques, ce qui était naguère un privilège réservé à des organismes officiels. Même Google a recours à cette alimentation «par le bas» (ou crowdsourcing, littéralement «alimentation par la foule») dans le domaine cartographique. Le lancement en 2008 de Google Map Maker a été pour l’entreprise l’occasion d’enrichir ses données géoréférencées par de multiples contributions d’utilisateurs (photos, itinéraires spécifiques, visualisations originales…). La représentation en 3D de la Tour Eiffel proposée par Google est, par exemple, le travail d’un internaute anglais bénévole. Depuis 2011, il est aussi possible de parcourir certains itinéraires et de survoler des paysages avec une vue en 3D qui place l’internaute aux commandes d’un hélicoptère. C’est la fonction Helicopter View (fig. 1). Ces pratiques collaboratives en géographie ou geocrowdsourcing ont fini par intéresser la plupart des acteurs importants de la cartographie sur le web: après Google, on peut citer TomTom et son application Mapshare, et enfin, plus timidement et seulement avec des professionnels partenaires, l’IGN et son application RIPart [2].
Ce «géoweb» enrichi par de multiples contributions issues du «geocrowdsourcing» modifie le contexte de développement de la cartographie numérique. On peut donc, sans abus de langage, parler de l’apparition d’une cartographie numérique 2.0, qui s’appuie sur un ensemble de techniques et d’outils permettant aux utilisateurs de créer leurs cartes à partir du web, en combinant leurs données avec celles provenant d’autres sources (ce que l’on appelle des données composites ou mashup).
Le modèle classique de la cartographie était celui d’une carte réalisée à partir d’une information géographique produite et consultable par des spécialistes. Le modèle du web 1.0 (illustré par Google Maps, entre autres portails cartographiques ou par le Géoportail) permettait à la carte de devenir un outil d’information et de communication produit par des experts mais consultables par tous. Dans le modèle web 2.0, la carte est un outil d’interaction et de participation où l’information géographique est produite et consultable par tous.
Un seul producteur de données géographiques utilise à l’heure actuelle uniquement l’acquisition de données sur un mode collaboratif: c’est OpenStreetMap, qui fait vraiment office de précurseur en la matière et participe à une démocratisation souhaitable des pratiques cartographiques. Cependant, on peut craindre que cette rupture technologique et culturelle radicale, qui met au même niveau les experts et les contributeurs lambda laisse de côté la question de l’expertise géographique (Goodchild, 2009).
OpenStreetMap, un projet typique du mouvement «Open Source»
2. Le projet OpenStreetMap à Paris |
(consulter) |
OpenStreetMap (ou OSM) est un projet collaboratif de cartographie visant à produire des informations géographiques entièrement libres de droits. OSM est la plus grande coopérative libre du monde; elle regroupe aujourd’hui plus d’un demi-million de contributeurs volontaires, qui constitue une véritable communauté multilingue de cartographes. Le projet a été lancé en 2004-2005. Son objectif premier est de «cartographier le Monde rue par rue…», pour réaliser une carte du monde précise et librement modifiable par tous (fig. 2). Institutionnellement, c’est une fondation anglaise (dont le correspondant en France est une association loi 1901). Ses membres, qui viennent du monde entier, élisent un comité directeur. Une conférence est organisée chaque année: le «State of the map».
OSM est donc un système d'information géographique volontaire ou VGI, l’acronyme anglais pour Volunteered Geographical Information (Goodchild, 2007; Haklay et al., 2010). Cette démarche de création de contenus géolocalisés est bénévole et spontanée (Mericskay, Roche, 2010). Au départ, les contributeurs enregistraient les traces GPS de leurs trajets en vélo ou en voiture. Aujourd'hui, il existe trois sources de données: les traces GPS enregistrées par les utilisateurs, les numérisations d’après des images satellitaires et les données issues du domaine public (cadastre…). Les données sont libres, téléchargeables, diffusables et utilisables gratuitement, sous licence libre ODbL 1.0, spécialement conçue pour la protection des données et des bases de données [3].
OpenStreetMap France, contributeurs et groupes de travail français
En 2012, OSM compte 600 000 membres dans le monde. Mais seuls 20 000 d’entre eux contribuent de manière active chaque mois. Un noyau de 40 personnes est chargé de l’infrastructure, de la gestion des serveurs et des améliorations techniques. Il existe de nombreuses façons de contribuer au projet OSM.
La contribution simple vise la correction des erreurs repérées et concernant une rue ou la localisation d’un bâtiment mais également l’ajout de nouvelles informations (nom de rue, sens unique, oubli d’un tracé quelconque, points d’intérêts, etc.), le tracé de nouveaux objets à partir d’images aériennes, d’enregistrement GPS, de photos ou tout autre élément géolocalisable (consulter).
Les contributeurs peuvent être de simples personnes ou des institutions. Ces dernières peuvent contribuer en fournissant des données. En France, on peut citer la communauté urbaine de Brest, les villes de Nantes, Rennes, Toulouse ou Montpellier, des régions comme l’Auvergne ou des administrations (la Direction Générale des Impôts pour le cadastre). On peut aussi contribuer par des dons, sur le même modèle que la fondation Wikipédia.
Quatre groupes de travail sont actifs dans OpenStreetMap France:
Une pratique encore réservée à un milieu de passionnés
Comme l’écrit Thierry Joliveau «la neogeography est le produit d'un peuple de geek» (2010). OSM est effectivement dominé par les informaticiens ou les passionnés de web et de nouvelles technologies. Mais la fondation a su créer un engouement pour son projet, très en phase avec des pratiques emblématiques du monde du logiciel libre. Selon un modèle lancé par la communauté Linux (qui organise des install parties), les séances de travail OSM se font bien souvent de façon collective et festive lors de ce que l’on appelle maintenant des cartoparties (en anglais mapping parties).
Une cartopartie [4] consiste à réunir, généralement lors d’un week-end, un groupe d’«openstreetmappers» qui vont se partager une zone et la parcourir pour la cartographier. Chaque participant, novice ou habitué, sera chargé de la numériser. Le rendez-vous est souvent fixé dans un café ou autre lieu public, de préférence avec WIFI.
OSM, un acteur en devenir
OpenStreetMap reste bien moins connue que Google Maps. Pourtant, avec sa communauté de contributeurs très réactive, il n’est pas à exclure qu’OSM devienne un jour le support cartographique de référence sur le web. Dans un contexte d’ouverture des données publiques (open data), OSM pourrait, en effet, bénéficier d’un véritable boom dans les années à venir, en tirant son épingle du jeu grâce à sa stratégie de libre diffusion des données.
Car d’autres acteurs passent à un modèle payant: depuis octobre 2011, Google facture l’intégration des services offerts par Google Maps à ses gros clients (plus de 25 000 requêtes par jour). La facture peut être lourde: 8 euros toutes les 1 000 cartes chargées (Husson, 2012). Après le choix de la solution OpenStreetMap fait par Microsoft, fin 2010 (Gévaudan, 2012), c’est au tour d’Apple de s’émanciper du concurrent Google. En effet, pour s’affranchir d’un service dorénavant devenu onéreux, la nouvelle application d’Apple utilise les données gratuites d’OSM. Dans la guerre commerciale entre Google, Microsoft, Apple et maintenant Amazon (qui prépare la sortie d’un Amazon Maps), OSM est donc bien placée.
Le point fort de la communauté OSM est sa très grande réactivité. Après le tremblement de terre à Haïti le 12 janvier 2010, la communauté OSM a mis en place un plan détaillé de Port-au-Prince en moins de deux jours grâce aux images satellites publiées en ligne juste après le séisme. Cette carte a servi aux ONG sur place pour organiser les secours, malgré son relatif manque de précision [5].
Selon une étude du laboratoire COGIT de l’Institut géographique national (Touya, Girres, 2009) et contrairement aux a priori que l’on peut avoir sur les données VGI, la précision reste respectable pour une utilisation SIG, notamment en France. Il semble que pour l’instant il y ait peu de concurrence entre des données OSM et des données «officielles», elles ne s’adressent pas encore au même public. Par rapport à ses voisins comme le Royaume-Uni, l’Allemagne ou la Belgique, le projet français en est à ses balbutiements, mais, comme le travail de chaque contributeur est cumulatif, il est à parier qu’un jour OSM-France sera extrêmement fourni. D’autant que grâce aux soutiens officiels de plus en plus nombreux et grâce à une augmentation exponentielle du nombre des contributeurs, OSM devrait rapidement allier fiabilité et qualité de l’information. Il reste à souhaiter que soit opérée une certaine homogénéisation des méthodes de construction de la carte, ce qui passera sans doute par la mise en place, à l’échelle mondiale, de spécifications pour le levé et la numérisation selon une échelle précise, pour une résolution minimale et une précision géométrique identiques.
Une idée pour ce week-end? Devenez un contributeur «volontaire» sur la carte coopérative d’OSM!
Bibliographie
GÉVAUDAN C. (2012). «Smartphones: les gros sous des cartes». Libération, 8/10/2012. (consulter)
GOODCHILD M. F. (2007). «Citizens as sensors: the world of volonteered geography». GeoJournal, n° 69-4, p. 211-221.
GOODCHILD M. F. (2009). «NeoGeography and the nature of geographic expertise». Journal of Location Based Services, vol. 3, n° 2, p. 82-96.
HAKLAY M., BASIOUKA S., ANTONIOU V., ATHER A. (2010). «How many volunteers does it take to map an area well? The validity of Linus' law to volunteered geographic information». The Cartographic Journal, vol. 47, n° 4, p. 315-322.
HUSSON G. (2012). «Apple s’émancipe de Google sur son application de cartographie». Le Monde, 12/06/2012. (consulter)
JOLIVEAU Th. (2010). «La géographie et la géomatique au crible de la néogéographie». Tracés. Revue de Sciences humaines, n° 10.
MERICSKAY B., ROCHE S. (2009). «Cartographie 2.0. Quand les amateurs se transforment en capteurs». Géomatique 2009, ACSG Montréal.
PALSKY G. (2010). «Cartes participatives, cartes collaboratives. La cartographie comme maïeutique». Le Monde des Cartes. Revue du Comité Français de Cartographie, n° 205, p. 49-60.
TOUYA G., GIRRES J.F. (2009). Première évaluation de la qualité des données libres d’OpenStreetMap en France. Colloque international de géomatique et d’analyse spatiale SAGEO'09, 25-27 novembre, Paris (France).
Référence du site
http://www.openstreetmap.fr/ et http://www.openstreetmap.org/