N°107

Territoires du Liban

Cet ouvrage synthétique apporte un regard nouveau sur un pays souvent traité au travers de thématiques sectorielles ou régionales, et donnant lieu à de nombreuses analyses géopolitiques, récemment couvert par des atlas. Soulignant la carence et l’incertitude des statistiques, les auteurs annoncent modestement un ouvrage «de facture assez classique». De fait, les sept chapitres s’enchaînent et traitent des thèmes habituels (les Libanais; les villes, l’environnement; l’agriculture; l’économie…): plan à tiroirs, diront certains, qui tranche avec les approches plus originales qui sont la marque de la collection. Mais s’en tenir là serait omettre les grandes qualités de synthèse et de clarté du livre, la quantité d’informations récentes restituées et les débats soulevés par les auteurs, hélas masqués par des têtes de chapitres au libellé plat.

Le premier chapitre dresse un portrait général du Liban comme terre de paradoxes, marquée par des permanences (celles de la toponymie, du réseau urbain, du carrefour Europe/Orient) et par des fragilités inhérentes aux antagonismes inter- et intra-communautaires. Après un retour sur la construction historique du territoire formé en 1920, cette partie aborde les principaux épisodes politiques et militaires qui ont secoué le pays (guerre civile de 1975-1990; guerre israélienne de l’été 2006; affrontements de 2008, clos par les accords de Doha), rappelant sa fonction de caisse de résonance des conflits moyen-orientaux dans un environnement troublé. Le puzzle communautaire (18 communautés légales reconnues) est décrit en évoquant la «discipline de communauté», le poids des influences claniques et familiales. La présentation des structures élémentaires de l’espace achève de poser le cadre.

Le chapitre sur la population (estimée à 4 millions de résidents en 2007) insiste sur sa distribution inégale et les déplacements internes liés à la guerre civile — seules 40% des familles déplacées auraient regagné leur région d’origine 20 ans après la fin de la guerre. Les auteurs pointent la non-pertinence d’une opposition rural/urbain et la fonction d’accueil du pays (pour les Arméniens, les Palestiniens, les Irakiens, les Kurdes, les Syriens, etc.), contrebalancée par l’ampleur de la diaspora libanaise à l’étranger avec, en son sein, 2,5 à 3 millions d’individus détenteurs du passeport libanais. Un propos intéressant est consacré au trilinguisme qui existe au Liban et innerve l’enseignement.

La partie urbaine (chapitre 3) met en évidence l’absence de réseau urbain (pour des raisons physiques mais aussi politiques et culturelles) et elle pointe l’hypertrophie beyrouthine («ville monopolisatrice et tentaculaire»), le mitage de la montagne et le bétonnage des côtes. Ce développement anarchique des constructions est sous-tendu par le «principe de construction généralisée sur tout le territoire» et l’exploitation irrégulière de nombreuses carrières. Bruyante, polluée, défigurée par les projets de reconstruction, Beyrouth fait l’objet d’une description peu amène et semble incapable de retrouver ses ambitions d’avant-guerre comme métropole du Proche-Orient et du Moyen-Orient.

Le chapitre sur l’environnement et sa dégradation fournit une description concise des conditions naturelles (bande littorale étroite, montagnes marquées par le karst, climats divers) et des pollutions multiples — visuelles, marines, fluviales, atmosphériques. Cette partie comporte des passages édifiants et originaux sur le problème des carrières et des déchets, même si quelques compléments d’informations plus anthropologiques auraient été bienvenus. La question cruciale de l’eau met en lumière la faiblesse d’action des pouvoirs publics: factures d’eau impayées (50%), perte de l’eau à travers les canalisations (40% du volume), insuffisance du réseau d’assainissement (la moitié des foyers n’y est pas reliée) et recours nécessaire aux «marchands d’eau» à Beyrouth témoignent d’une situation difficile, sans compter l’enjeu que constitue la ressource hydrique dans les tensions israélo-arabes.

Les pages sur l’agriculture (chapitre 5) reviennent sur le déclin de cette activité depuis 40 ans, lié aux guerres, aux sécheresses, à l’occupation étrangère mais aussi au faible soutien étatique. Certains secteurs comme la vigne ou les cultures maraîchères et florales (souvent sous tunnels plastiques) échappent à la morosité. Ce chapitre souligne peu l’effet de la tutelle syrienne sur la dégradation de la situation agricole. La question des cultures de cannabis méritait un traitement plus ample.

Le chapitre 6 livre une bonne analyse de l’économie et d’un «certain sous-développement» libanais. Tertiaire hypertrophié, «industrie pulvérisée», dette abyssale, balance commerciale déséquilibrée, télécommunications non performantes (cf. internet)… ce tableau sans concession conclut à la privatisation des services régaliens et à la substitution des partis et communautés face à un État incapable de recouvrer ses créances et donc, de remplir ses fonctions régaliennes ou d’assurer des services d’encadrement (éducation, santé, sécurité, justice). On appréciera les pages sur l’énergie et les blocages d’EDL, le débat sur les services publics (ou «services au public») tout en regrettant l’absence de commentaires sur l’ampleur des liens avec les pays du Moyen-Orient, la troisième place de la Chine comme fournisseur, la première place occupée par les touristes iraniens. Le chapitre consacré aux paysages, le septième de l’ouvrage, arrive peut-être un peu tard. Il est ici l’occasion d’un bilan.

Après de belles lignes sur la «multiplicité des fenêtres» par lesquelles voir le Liban, l’ouvrage s’achève par des questions de fond sur l’existence d’un peuple libanais et d’une nation libanaise, sur la laïcité (loin d’être un horizon idéal pour tous les Libanais) et sur les impasses de la démocratie consensuelle. Si la tentation du repli communautaire sur l’assabiya est forte, les auteurs rappellent avec justesse l’ampleur des clivages sociaux et la lourdeur d’un voisinage de guerre.

Clarté et pédagogie caractérisent l’ouvrage, un choix qui conduit parfois à l’énumération fastidieuse de cas. Certes, on peut discuter de certaines assertions et déplorer la localisation des notes de page en fin d’ouvrage ou l’absence de renvoi à la bibliographie en cours de texte (peu pratiques mais ce sont sans doute des choix éditoriaux). Ces détails n’empêchent pas une lecture facile et plaisante. Étudiants et enseignants apprécieront la maniabilité de cet ouvrage écrit dans un style limpide et sans jargon, de surcroît agréablement illustré par des cartes et des photos. Dresser un tableau géographique clair et complet d’un pays complexe comme le Liban est une gageure. Les auteurs y sont parvenus en fournissant des clés essentielles.

Référence de l’ouvrage

BUCCIANTI-BARAKAT L., CHAMUSSY H. (2012). Le Liban. Géographie d’un pays paradoxal. Paris: Belin, coll. «Mappemonde», 204 p. ISBN: 978-2-7011-6243-0