N°108

Cosmographie: la cartographie dynamique au service de la médiation culturelle

Contexte - La difficile appropriation d’un espace muséal riche et complexe

1. Le plateau des collections du musée du quai Branly: un espace ouvert et rythmé, propice à la déambulation mais souvent complexe à appréhender par le visiteur
(cliché: J.-F.Gleyze, 2012)

Conçu par l’architecte français Jean Nouvel, l’espace du plateau des collections du musée du quai Branly (fig. 1) propose au visiteur de découvrir la richesse des productions culturelles issues des civilisations non occidentales. Inscrits dans un discours d’une «volontaire sobriété», les objets sont présentés sous un jour esthétique et invitent le visiteur à une rencontre émotionnelle fondée sur le regard (Martin, 2011). Cela étant, une récente étude auprès des publics met en évidence les difficultés que ceux-ci rencontrent pour accéder aux informations et acquérir des connaissances (Roustan, 2010). Cette sensation de «souvenirs flous» que les visiteurs gardent des dimensions sociales et culturelles des objets s’explique par:

Problématique – Un outil numérique d’aide à la visite pour explorer le musée et les collections

Sur la base de ce constat, notre projet [1] a pour ambition d’accompagner le visiteur dans son exploration du plateau des collections en mettant à sa disposition un outil numérique favorisant le repérage dans l’espace muséal, la compréhension des objets et la construction de parcours au sein des collections. Selon ce schéma, cet outil doit combiner les fonctions du plan papier et des cartels d’information, et permettre le croisement de ces informations pour augmenter l’expérience de visite par des parcours thématiques et personnalisés.

Fondements cartographiques du projet – Visualisation dynamique et thématique de données

Bien que destiné à une navigation en architecture fermée, l’outil que nous présentons a nécessité la mise en œuvre de techniques propres à la cartographie tant dans la mise en forme (interface graphique, dont nous détaillons plus loin l’organisation et le scénario d’usage) que dans la conception (fig. 2).

2. Extraits du travail cartographique préalable à la conception du plan numérique
(réalisation: J.-F.Gleyze, 2012)

De fait, le musée du quai Branly se présente (et se pratique) comme un terrain à arpenter, dans lequel l’architecture, la scénographie, le discours muséographique, les vitrines et les cartels sont autant d’éléments qui en dessinent la carte. En préalable à la conception cartographique de l’outil, nous avons donc réalisé une collecte massive d’informations pour comprendre la manière dont est structuré le plateau des collections, tant in situ que par la consultation des documents institutionnels (plan papier, plan web, etc.). Une partie importante du travail a consisté à harmoniser les strates d’informations et à les organiser en un plan homogène et cohérent dans son découpage (en l’état actuel des choses, le découpage en aires culturelles n’est pas explicité dans le musée et celui-ci varie fortement d’un continent à l’autre, mettant en avant tantôt les rites (Océanie), les thématiques (Asie), les milieux (Afrique) ou l’histoire (Amérique): nous avons choisi de les harmoniser en un découpage fondé sur des critères exlusivement géographiques).

Dans un deuxième temps, le plan ainsi obtenu sert de fond cartographique pour la construction des parcours de visite. Cette phase du projet s’apparentait à un travail de cartographie dynamique et questionnait simultanément:

Principes et scénario d’usage de l’application Cosmographie

4. Selon le niveau de zoom choisi, le mode Continent de l'application fournit au visiteur les informations utiles pour se repérer sur le plateau des collections et comprendre les thématiques abordées
(réalisation: J.-F.Gleyze, 2012)

L’outil que nous proposons est une application pour smartphone ou tablette tactile (le prototype, codé en Flash, est lisible sur interface Android grâce à l’application Adobe Air). À son ouverture, l’application «Cosmographie» se présente sous la forme d’un plan figurant l’emprise totale du plateau des collections et son découpage en quatre continents. Ce plan est orienté conformément à la situation d’un visiteur arrivant sur le plateau. Compte tenu des problèmes techniques de géolocalisation à l’intérieur du musée (en raison de la trop grande proximité de la Tour Eiffel), le visiteur est invité à positionner et orienter lui-même le plan au fur et à mesure de sa progression dans le musée. À cet effet, de nombreuses informations ont été introduites dans l’application pour faciliter le repérage (toponymes, cartels, objets «points de repère»).

Le visiteur adapte son niveau de lecture du plan en agrandissant ou réduisant tactilement. En explorant les strates d’informations du plan, le visiteur accède successivement au découpage des continents en aires culturelles, puis au découpage des aires culturelles en espaces thématiques structurés par les cartels. Afin de ne pas surcharger ce niveau de lecture, les vitrines n’ont pas été représentées, mais leur disposition est suggérée par un découpage en dalles colorées inspiré des motifs au sol. Les cartels sont localisés par des pastilles et le positionnement de leurs libellés s’ajuste dynamiquement à l’orientation du plan grâce à un algorithme dédié de positionnement automatique des toponymes. L’ensemble de ces informations correspond au mode Continent de l’application (fig. 4).

À tout moment, le visiteur peut basculer en mode Promenade en cliquant sur l’icône en forme d’étoile (fig. 5). Une série de parcours préchargés dans l’application sont alors accessibles par le biais de signets. Pour le parcours sélectionné, l’application affiche une collection d’objets dont la densité varie avec le niveau de zoom adopté. Les parcours ne sont ni fléchés, ni numérotés, afin de laisser le visiteur libre dans sa déambulation. Par ailleurs, au niveau de zoom le plus détaillé, les objets des autres parcours sont affichés sous forme d’icônes et offrent autant d’opportunités pour le visiteur de changer de parcours en se laissant guider par son regard.

Qu’il s’agisse de toponymes, de cartels ou d’objets, tous les contenus sont interrogeables d’un simple clic. Le visiteur peut également accéder aux informations sur la signalétique, sur l’architecture du lieu ou sur la localisation des vitrines (au niveau de zoom le plus détaillé) en cliquant sur l’icône Information. L'icône Aide permet, au besoin, de revenir aux écrans d’accueil.

5. En mode Promenade, l’interface affiche les objets du parcours sélectionné par le visiteur. En mode Continent comme en mode Promenade, le visiteur peut afficher la signalétique et la position des vitrines sur le plan grâce au bouton Information (vignette du bas)
(réalisation: J.-F.Gleyze, 2012)

La navigation dans l’interface recèle enfin un mode de consultation en nuage d’informations (fig. 6): en zoomant au-delà du niveau de détail le plus fin, le fond cartographique disparaît et ne laisse apparaître que les informations relatives aux cartels (en mode Continent) ou les dessins des objets (en mode Promenade). Ce mode de consultation décontextualise la muséographie de l’espace muséal et invite le visiteur à laisser son imaginaire vagabonder dans un nuage de mots ou d’images et à s’en saisir comme de nouvelles amorces de visite.

Expérimentations et perspectives

L’application proposée est un prototype expérimental. À ce titre, elle a été soumise au public sur tablettes Samsung et Archos lors de la semaine «Musée numérique» organisée par le musée du quai Branly en avril 2012. Les retours des visiteurs ont permis d’identifier les points d’amélioration de l’application et, plus généralement, de mieux cerner les attentes du public autour des nouvelles interfaces de visite. Deux enjeux sont évoqués de manière récurrente:

Par ailleurs, le Festival international de géographie de Saint-Dié des Vosges a été l’occasion de présenter l’application à des enfants de classes primaires et d’en imaginer des prolongements ludo-éducatifs (fig. 7). Dans ce contexte, nous avons conçu un jeu de cartes reprenant 52 des 104 objets présentés dans Cosmographie. Chaque enfant était invité:

6. Au niveau de zoom maximal, le plan disparaît et le contenu de l’interface se transforme en nuage de mots ou d’objets
(réalisation: J.-F.Gleyze, 2012)
7. Au Festival international de géographie de Saint-Dié-des- Vosges, les enfants étaient invités à choisir des objets dans un jeu de cartes et à les placer sur le plan du musée en s’aidant de l’interface
(cliché: J.-F.Gleyze, 2012)

Bien que ce jeu n’ait pas pu être testé in situ, cette expérimentation a permis de pointer les perspectives de l’outil pour fournir des amorces de visite et impliquer le visiteur en faisant appel à son imaginaire et à sa curiosité.

Bibliographie

MARTIN S. (2011). Musée du quai Branly: là où dialoguent les cultures. Paris: Gallimard, coll. «Découvertes Gallimard - Culture et société», 127 p. ISBN: 978-2-07-044170-9

ROUSTAN M., dir.( 2010). Étude de réception du Plateau des collections du musée du quai Branly. Approche qualitative. Paris: Musée du quai Branly/Association Pavages, note de synthèse, 3 p.

MÜNZER S., STAHL C. (2011). «Learning Routes from Visualizations for Indoor Wayfinding: Presentation Modes and Individual Differences». Spatial Cognition & Computation, vol. 11, n° 4, p. 281-312. doi> 10.1080/13875868.2011.571326

GRASSIN A.-S. (2007). «Le jonglage objet-cartel». La lettre de l’OCIM, n° 110.

Sites Web

Site officiel du musée du quai Branly

Site de l’application Cosmographie – Une invitation numérique à l’exploration des collections du quai Branly

 

Projet réalisé dans le cadre d'un partenariat entre l'ENSCI (Atelier Informe, sous la direction de Stéphane Villard) et le musée du quai Branly (Direction des Publics) autour des nouvelles formes de médiation culturelle.