Regards sur le Sahara
Loin de la guerre au Mali, des prises d’otages et autres menaces terroristes, Marc Côte nous invite à redécouvrir le Sahara. Pour le Théodore Monod de la géographie, qui connaît finement cet espace saharien pour l’avoir arpenté pendant plus de 60 ans, la démarche est novatrice: il s’agit de voir les terroirs et les territoires sahariens depuis le ciel avec pour principal outil Google Earth. C’est devant son écran d’ordinateur que Marc Côte a observé, décrypté, zoomé puis capturé par l’image le grand désert. Il est vrai que l’arrivée de Google Earth en 2005 a permis de mettre en lumière une zone jusqu’alors représentée comme une grossière masse jaune sur les cartes.
Lignes, alvéoles, courbes, traînées, traces, empreintes… toutes ces «signatures sahariennes» se laissent entrevoir ou deviner grâce à cette prise de hauteur. Marc Côte ne se contente d’ailleurs pas de compiler des images de Google Earth. Celles-ci, déjà riches en soi, semblent davantage être des prétextes à l’analyse. L’auteur les complète par ses clichés photographiques, ses croquis et dessins personnels, ses archives et textes ou encore des fragments de carte IGN. Grâce à la diversité des sources mobilisées, l’immense Sahara dévoile la complexité de ses paysages, loin de la monotonie qui lui est généralement attribuée.
L’ouvrage s’articule autour de quatre parties qui permettent de lire le Sahara comme un palimpseste où l’éphémère façonne autant que le temps long. Les oasis et les différents systèmes d’irrigation (puits à balancier, foggara) (partie 1), de même que les ksour (pluriel de ksar – petite ville ou village) (partie 2) sont évidemment évoqués comme autant de «signatures des terroirs et lieux de vie d’antan» (p. 9 et 91). Mais Marc Côte veille à ne pas sombrer dans une nostalgie saharienne qui réifierait l’architecture vernaculaire des ksour ou encore le mode de vie nomade. Le Sahara de Marc Côte fait état des mutations contemporaines, des «signatures modernes» (p. 161 et 195): les mises en valeur agricoles impulsées par de grands investisseurs (partie 3) sont analysées tout comme ces villes sahariennes, qui connaissent une forte urbanisation et sont parties prenantes de la mondialisation (partie 4).
1. Pollution liquide par le pétrole (Edjeleh, Algérie) | 2. Traces de voitures (Plateau du Tademaït, Algérie) |
L’État aménageur impose durablement sa signature, que ce soit dans les périmètres de cultures intensives ou dans les villes qu’il a créées (ville minière, pétrolière, ville capitale). Une dernière partie vient clôturer l’ouvrage sur les «traces et balafres, signatures du temps présent» (p. 245). On y découvre des traînées pétrolières et minières polluantes, insoupçonnées dans ce désert que l’on croyait immaculé (p. 274-276 – fig. 1), des murs comme celui qui divise le Sahara occidental, des camps de réfugiés sahraouis ou au Darfour qui rappellent l’histoire conflictuelle de cet espace (p. 286-293).
3. Salines (Tegguiada In Tessoum, Niger) |
L’ouvrage n’est pas seulement beau livre, il se révèle un outil pédagogique d’une incroyable richesse. Jamais le propos ne tombe dans les travers de la monographie, certainement parce que l’auteur ne se contente pas, comme il est de coutume, du seul ancien Sahara français. Il est question du Grand Sahara, qui s’étend sur dix États, depuis les grandes dunes mauritaniennes qui bordent l’Atlantique jusqu’à sa terminaison soudanaise qui se jette dans la mer Rouge. Tous ces noms qui ont fait rêver défilent sous les yeux: reg du Hoggar, massif de l’Aïr, erg du Touat, désert blanc libyen, oasis de Siwa ou ksar de Tombouctou… Le lecteur s’arrête sur certaines de ces simples captures d’images qui semblent être des œuvres d’art: traces de pick-up dans le Sud algérien qui rappellent les paysages lunaires (p. 249, fig. 2); parcelles circulaires et géométriques de Libye (p. 185); salines du Niger qui se confondent avec des tanneries ou une ruche d’abeille (p. 269, fig. 3). Chef-d’œuvre mais nullement nature morte: c’est un Sahara bien vivant, cultivé, travaillé et habité qui est donné à voir.
Si l’on regrette que les sources ne soient pas toujours explicites (notamment pour les cartes ou les clichés photographiques, non datés), que la bibliographie ne soit pas plus étoffée par les récents travaux conduits sur cet espace, la magie des lieux et du livre opère dès les premières pages. Ces signatures sahariennes sont aussi et surtout la signature d’un grand chercheur et d’un érudit. La collection exhaustive et minutieuse de toute une vie est ici donnée en partage. Que Marc Côte en soit remercié.
Référence de l’ouvrage
CÔTE M. (2012). Signatures Sahariennes: Terroirs et territoires vus du ciel. Aix-en-Provence: Presses universitaires de Provence, 307 p. ISBN: 978-28-539-9833-8