N°108

Télédétection, pratiques agricoles et paysage bocager

Notre environnement connaît des bouleversements fondamentaux dus en grande partie à l’action de l’homme sur les milieux. Les changements d’occupation et d’utilisation du sol résultent d’interactions complexes entre systèmes sociaux et systèmes environnementaux qui évoluent dans le temps. Les pratiques des acteurs et leurs évolutions jouent un rôle primordial sur les modifications de l’usage des sols, et par conséquent sur les systèmes environnementaux.

Dans les régions caractérisées par une agriculture intensive, les changements dans l’utilisation des terres et dans les pratiques agricoles ont entraîné des modifications des structures paysagères, avec de lourdes conséquences écologiques, sociales et économiques (Mannion, 1995; Loveland et al., 2005). Dans les régions bocagères, comme la Bretagne, la gestion du réseau de haies joue un rôle déterminant dans la conservation des écosystèmes, de la biodiversité faunistique et floristique, et pour la qualité de l’eau, des sols, et sur le plan énergétique (Cheverry, 1998; Barr, Petit, 2001; Burel, Baudry, 2005). Or, les pratiques agricoles effectuées sur le réseau bocager, telles que l’arasement, la plantation, le maintien ou l’émondage des haies, n’ont été jusqu’alors étudiées que de manière ponctuelle, leur répartition spatiale et leur évolution sont encore très largement méconnues.

Les objectifs poursuivis dans cette thèse étaient d’étudier les pratiques agricoles effectuées sur les haies et d’en modéliser le fonctionnement afin de comprendre comment elles influencent la dynamique du paysage. Ces travaux ont été appliqués au paysage bocager breton à deux échelles: à l’échelle régionale sur l’ensemble de la Bretagne et à l’échelle locale sur la zone atelier Armorique au sein du site de Pleine-Fougères.

Les pratiques des agriculteurs sont organisées au sein du paysage agricole selon différentes contraintes internes ou externes à l’exploitation agricole, et à différents niveaux d'organisation: la parcelle, l’îlot parcellaire, le territoire d’exploitation, le territoire agricole (Vannier, 2010). Le choix et la mise en place de pratiques dépendent à la fois de facteurs locaux (logiques de production, organisation du travail au sein de l’exploitation), de politiques locales (syndicats de bassins versants), d’orientations agricoles et de réglementations nationales et internationales (Politique agricole commune) (Houet et al., 2008). L’organisation des pratiques agricoles a été formalisée dans le cadre d’une analyse systémique, permettant de définir trois sous-systèmes en interaction que sont les pratiques (aménagement, entretien, production), les acteurs (agriculteurs, réseaux d’agriculteurs, politiques régionales, politiques globales) et les territoires (territoire agricole, territoires d’exploitation, éléments fins de gestion: parcelles, îlots parcellaires).

Travailler à différentes échelles et observer un territoire et les éléments d’un territoire implique de faire des choix de modes de représentation. Nous avons choisi d’observer et d’analyser les éléments du territoire à travers différents «objets» nous informant de manière directe ou indirecte sur la mise en place de pratiques agricoles effectuées sur le réseau bocager. Chaque gamme d’objets observés a été restituée à l’échelle d’analyse la plus adaptée. Les îlots parcellaires ont été observés et restitués à l’échelle régionale et mis en relation avec le réseau de haies, tandis que les parcelles, haies et éléments de haies ont été observés et restitués à l’échelle locale. Enfin, le choix des capteurs de télédétection a été guidé par leur résolution spatiale afin de l’adapter au mieux à la taille des objets observés et l’échelle de restitution souhaitée (fig. 1).

Échelles, objets, pixels: mise en cohérence des résolutions spatiales des données de télédétection selon les objets observés et les échelles d’analyse et de restitution souhaitées

À l’échelle régionale, une série temporelle d’images MODIS, de 2001 à 2008, d’une résolution spatiale de 250 m, a été classée afin de constituer une base de données d’occupation du sol (Lecerf, 2008). Nous en avons extrait trois indicateurs de pratiques agricoles effectuées sur le bocage: les changements majeurs ayant eu lieu au sein de la surface agricole utilisée, les types de successions culturales, la durée des prairies. La synthèse de ces indicateurs a permis de cartographier les espaces ayant une forte probabilité d’être couverts par un bocage dense associé à des pratiques agricoles favorisant le maintien des haies, et les espaces ayant une forte probabilité d’être couverts par un bocage lâche aux pratiques agricoles invasives sur les haies telles que l’émondage ou l’arasement. Cette même analyse a été effectuée à l’échelle locale, ce qui a permis d’observer que les successions d’occupation du sol présentes dans un rayon de 15 km autour du site de Pleine-Fougères sont représentatives de la moyenne régionale.

À l’échelle locale, le réseau de haies a été observé à partir de données de télédétection à haute et très haute résolution spatiale et à partir de données LiDAR. L’objectif principal était d’évaluer le potentiel de ces données pour la cartographie d’éléments fins dans un environnement complexe. Elles ont été traitées à partir d’une méthode «orientée-objets» (Burnett, Blaschke, 2003; Benz et al., 2004) afin de produire des cartes du réseau bocager. L’analyse quantitative des résultats de classification (pourcentage de mètres de linéaire représenté par les classifications par rapport au linéaire total cartographié par numérisation manuelle) a permis de mettre en avant que:

La qualité des cartes produites par chaque capteur a ensuite été analysée par photo-interprétation des types d’éléments représentés et non représentés par les cartes. L’image LiDAR produit la carte la plus fine et la plus précise. L’ensemble des éléments est représenté chaque canopée d’arbre est correctement extraite. À résolution spatiale comparable, on note que l’information apportée par la 3D permet une meilleure qualité de classification pour extraire les canopées d’arbres de manière individuelle.

Puis, à partir des observations effectuées par télédétection, nous avons analysé la répartition spatiale des haies, par type de densité et de continuité, et des parcelles, par type de succession d’occupation du sol (Vannier et al., 2011; Vannier, 2012). Ces analyses ont permis de mettre en évidence les patrons d’organisation spatiale qui structurent le paysage agricole et ainsi d’analyser les relations entre la dynamique des pratiques d’acteurs, et leur traduction paysagère: plus une haie est dense, plus elle sera entourée de parcelles toujours en prairie (et inversement), ces logiques spatiales étant influencées de plus par le type de paysage. Ces résultats ont permis de dégager des tendances d’organisation spatiale des éléments paysagers utiles à la construction de scénarios de modélisation.

La modélisation de pratiques agricoles effectuées sur le réseau de haies a permis d’analyser les organisations spatiales qui en découlent dans le paysage. Le modèle développé est un système multi-agents qui permet de prendre en compte explicitement les jeux d’acteurs et d’intégrer une dimension spatiale. D’un point de vue conceptuel, ce modèle est basé sur la formalisation systémique effectuée en amont de la phase d'observation. Les scénarios du modèle ont été conçus à partir des observations effectuées par télédétection. Avec ce modèle, il a été possible d’analyser les évolutions de l’organisation spatiale du paysage, découlant de pratiques effectuées à un niveau fin, et de mettre en avant les effets de la fragmentation des paysages sur l’évolution du réseau de haies.

Ces travaux ont conduit à une meilleure connaissance de la dynamique d’occupation des sols et de la distribution spatiale de grands types de pratiques agricoles tant à l'échelle régionale que locale. D’un point de vue méthodologique, ils ont permis de mettre en place une démarche multi-niveaux et multiscalaire pour l’analyse, l’observation et la modélisation de pratiques agricoles associées au réseau bocager. Les travaux portant sur l’observation du réseau bocager sont novateurs du fait du panel très large de données de télédétection évaluées, et de l’évaluation de nouvelles données de télédétection (images LiDAR). Les méthodes d’analyse spatiale des éléments de structures du paysage se basent sur les observations effectuées par télédétection à différentes résolutions, permettant la construction et l'exploration de scénarios à partir d'un modèle multi-agents. La démarche méthodologique générale est apparue comme étant opérationnelle et reproductible.

Bibliographie

BARR C., PETIT S., dir. (2001). Hedgerows of the World: Their Ecological Functions in Different Landscapes. Proceedings of the Tenth Annual IALE (UK) Conference, Held at Birmingham University, 5th-8th September 2001. Sl.:International Association for Landscape Ecology. ISBN: 0-9524263-8-2

BENZ U., HOFMANN P., WILLHAUCK G., LINGENFELDER I., HEYNEN M. (2004). «Multi-resolution, object-oriented fuzzy analysis of remote sensing data for GIS-ready information». ISPRS Journal of Photogrammetry and Remote Sensing, n° 58, p. 239-258. doi> 10.1016/j.isprsjprs.2003.10.002

BUREL F., BAUDRY J. (2005). «Habitat quality and connectivity in agricultural landscapes: the role of land use systems at various scales in time». Ecological indicators, n° 5, p. 305-313.

BURNETT C., BLASCHKE T. (2003). «A multi-scale segmentation/object relationship modelling methodology for landscape analysis». Ecological modelling, n° 168, p. 233-249. doi> 10.1016/S0304-3800(03)00139-X

CHEVERRY C. (1998). Agriculture intensive et qualité des eaux. Versailles: INRA Éd., 298 p. ISBN: 2-7380-0801-1

HOUET., CORGNE S., HUBERT-MOY L., MARCHAND J.P. (2008). «Approche systémique du fonctionnement d’un territoire agricole bocager». L’Espace Géographique, tome 37, n° 3, p. 270-286.

LECERF R. (2008). Suivi des changements d’occupation et d’utilisation des sols d’origine anthropique et climatique à l’échelle régionale par télédétection moyenne résolution, application à la Bretagne. Rennes: Université Rennes 2, thèse de doctorat de géographie, 326 p. oai:tel.archives-ouvertes.fr:tel-00337099

LOVELAND T.R., GALLANT A.L., VOLGELMANN J.E. (2005). «Perspectives on the land use of land-cover data for ecological investigations». In WIENS J.A., MOSS M.R., ed., Issues and perspectives in landscape ecology, p. 120-131. ISBN: 0-521-53754-1

MANNION A.M. (1995).  Agriculture and Environnemental Change: Temporal and Spatial Dimensions. Chichester: Wiley, 405 p. ISBN: 0-471-95478-0

VANNIER C. (2010). « Représentation spatiale de pratiques agricoles territorialisées à partir de données de télédétection; Échelles, objets, pixels ». Actes du colloque Géopoint, Avignon, 3-4 juin 2010. (consulter)

VANNIER C., HUBERT-MOY L., NABUCET J. (2011). «Analyse spatiale de la dynamique de l’occupation du sol aux échelles de la parcelle et de l’îlot parcellaire, application en paysage bocager». Revue Internationale de Géomatique, Géomatique et occupation des sols, vol 3, n° 21, p. 353-374.

VANNIER C. (2012). «Analyse spatiale de structures paysagères en contexte agricole bocager». Cybergéo. Environnement, Nature, Paysage, article 607, mis en ligne le 17 mai 2012.

Référence de la thèse

VANNIER Cl. (2011). Observation et modélisation spatiale de pratiques agricoles territorialisées à partir de données de télédétection: application au paysage bocager. Rennes: Université de Rennes 2, thèse de géographie, 307 p. oai:tel.archives-ouvertes.fr:tel-00651991