N°109

Le modèle spatial de la capitale allemande

En Allemagne, en 1999, le Chancelier fédéral et son gouvernement ont quitté Bonn pour Berlin. Ce transfert du pouvoir est accompagné de celui d’une grande partie de l’appareil d’État et de la haute administration, et des fonctions qui leur sont traditionnellement attribuées comme la presse, les lobbys ou encore la diplomatie. Le déplacement du statut de capitale effective de l’Allemagne de Bonn à Berlin est le résultat des évolutions géopolitiques d’un pays ayant recouvré son unité et sa pleine et entière souveraineté. Installer le pouvoir exécutif et législatif à Berlin était une démarche hautement symbolique, visant à normaliser la position de l’ancienne capitale de la RDA et du IIIe Reich comme véritable centre politique de l’Allemagne. Or le déplacement des institutions fédérales n’est pas qu’un acte symbolique. Il entraîne également à l’échelle intra-urbaine des dynamiques très concrètes sur le tissu urbain et participe à la mise en place de nouvelles centralités dans la ville. En effet, le statut de capitale d’État prédestine l’agglomération à la coprésence de nombreuses fonctions urbaines spécifiques plus ou moins directement liées à l’exercice ou à la symbolique du pouvoir.

Bonn était devenue la capitale de l’Allemagne en 1949 à titre provisoire, du fait des conditions douloureuses de la Guerre Froide naissante. Après 50 ans de pratique de la politique et de l’administration de l’État, s’y est développé un système spatial original (fig. 1). Le dépouillement d’annuaires dans les domaines de la haute administration, de la diplomatie, de la presse et des partis politiques, ainsi que la constitution de bases de données géolocalisées ont permis des traitements d’analyse spatiale à partir de semis de points. Ainsi, nous avons comparé l’organisation spatiale de Bonn en 1996 et celle de Berlin en 2009. Ces méthodes ont mis en évidence les logiques de localisation de chacune des composantes des fonctions urbaines en lien avec le statut de capitale. Au-delà de la question du transfert ces fonctions d’une ville à une autre, c’est l’organisation interne de la ville et du système spatial en relation avec le statut de capitale d’État et avec la pratique politique qui est étudié.

Les résultats font apparaître des parallèles dans l’organisation des deux villes. La localisation des fonctions de capitale est dans une certaine mesure conservée de Bonn à Berlin. Ainsi, les similitudes entre les systèmes spatiaux des deux villes s’affranchissent de l’effet de taille, Berlin ayant un territoire six fois plus grand que Bonn.

Dans l’étude de ce système spatial commun à Bonn et Berlin, l’un des traits dominants est la concentration des fonctions essentielles autour des deux chambres du Parlement, Bundestag et Bundesrat, qui forment un véritable quartier du pouvoir, avec une forte densité d’institutions. Ces espaces réunissent les bâtiments à forte portée symbolique et fonctionnelle comme la Chancellerie fédérale, les bureaux des parlementaires, les représentations des régions [1], les ambassades des grands États (dans le cas de Berlin), les rédactions de presse prestigieuses. Ce type d’organisme s’affranchit du prix de l’immobilier, en particulier quand il s’agit de fonctions d’État (ministères, institutions fédérales). La distance par rapport au Bundestag et au Bundesrat révèle la nécessité impérieuse de la grande proximité avec le pouvoir et les capacités à assumer financièrement cette centralité. Par exemple, dans le secteur de la presse (fig. 2), nous avons analysé à Bonn et à Berlin, les adresses professionnelles des journalistes correspondants de médias étrangers membres de la Verein der Ausländischen Presse [2] (ou VAP) et les journalistes de médias allemands spécialisés dans la politique et membres de la Bundespressekonferenz [3] (ou BPK). Ces derniers, travaillant dans des grandes rédactions avec beaucoup de moyens, s’installent à proximité du Bundestag, alors que les autres, moins nombreux par rédaction ou travaillant seuls, ne peuvent que rarement se permettre la même proximité. Il en est de même dans le domaine de la diplomatie. Les États les plus puissants, ayant possédé une ambassade en Allemagne avant 1939, voire avant 1914, occupent des espaces plus centraux que les États récents souvent plus pauvres, issus de la décolonisation ou de l’éclatement de l’URSS ou de la Yougoslavie. Cet effet est renforcé à Berlin parce que les États les plus anciennement implantés, et souvent les plus riches, possédaient déjà une parcelle alors que d’autres ont dû en acquérir une dans un contexte de hausse des prix du foncier.

Le prix de l’immobilier n’explique pas à lui seul les similitudes du système spatial des deux capitales allemandes. La relative concentration révèle l’histoire récente de Bonn et de Berlin et conduit à des logiques convergentes, bien que les contextes historiques et économiques du développement des quartiers du pouvoir dans ces villes soient très différents. À Bonn, le quartier gouvernemental avait été édifié dans un espace extérieur à la ville, alors libre, et où les institutions ont eu la place et les moyens de s’installer, sous la forme d’un grand campus. À Berlin, l’installation dans le quartier gouvernemental a été facilitée par la faible densité du bâti et l’abondance de terrains libres, en particulier à l’intérieur et aux abords de l’ancien no man’s land, le long du tracé du Mur. La réappropriation par des catégories aisées des quartiers résidentiels dans l’ouest de Berlin (Grünewald et Dahlem notamment) implique en termes de distance au centre des configurations proches des communes urbaines voisines de Bonn (Sankt-Augustin, Königswinter) ou des espaces périurbains autour de l’agglomération bonnoise.

Une réflexion sur la proximité peut paraître anodine à l’ère des moyens de communication à longue distance, d’autant qu’ici, nous ne traitons que d’espaces intra-urbains et donc de trajets n’excédant jamais la demi-heure en taxi. Cependant, les entretiens avec des élus, des haut-fonctionnaires et des journalistes étayent l’hypothèse que la présence ou non au sein du quartier gouvernemental est déterminante dans les pratiques quotidiennes. Cela a un impact en termes d’efficacité à échanger des informations, de capacité à travailler avec un réseau d’individus, de possibilités d’organiser des rencontres informelles entre personnes d’univers professionnels différents. Le quart d’heure à pied était d’ailleurs souvent présenté comme une limite temporelle au-delà de laquelle la distance est ressentie comme un handicap. Ainsi, une distinction s’opère entre des fonctions qui sont en interaction permanente avec le pouvoir,comme dans l’appareil des partis ou chez les journalistes, et celles plutôt considérées comme du back-office, dans l’administration notamment, et qui demandent peu de mobilité hors du lieu de travail.

La démocratie parlementaire allemande est organisée dans un quartier gouvernemental ayant pour centre le Parlement. Ce modèle accrédite l’idée de liens très puissants entre le fonctionnement politique d’un État et l’inscription spatiale et fonctionnelle de son pouvoir dans sa capitale.

Référence de la thèse

LAPORTE Antoine (2011). De Bonn à Berlin: territoires, mémoires et échelles du politique. Paris: Université Paris 7 Denis Diderot et Université du Luxembourg, thèse de géographie, 396 p.

En Allemagne, les Länder ont chacun une représentation, dont le rôle se rapproche de celui d'une ambassade: ces établissements assurent la promotion de leur territoire et participent aux débats nationaux.
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