L’espace parisien, du Moyen Âge à nos jours
L’ouvrage Paris, de parcelles en pixels, fait au premier abord l’impression d’un «OVNI» dans l’édition scientifique: il a l’aspect — et la qualité éditoriale — d’un «beau livre» mais loin de ne rassembler que de belles illustrations accompagnées de textes d’érudits, il compile 18 communications, parfois très techniques, du colloque ALPAGE (Analyse diachronique de l’espace urbain parisien: approche géomatique) qui s’est tenu les 7 et 8 juin 2010. Le programme ALPAGE (2006-2010), financé par l’ANR, a rassemblé une vingtaine de chercheurs issus de plusieurs disciplines, notamment des médiévistes, des archéologues, des informaticiens et des géomaticiens. L’objectif de ce projet était triple: constituer un outil de référence pour structurer l’information historique et archéologique sur Paris dans un SIG, permettre à des historiens d’entreprendre l’analyse spatiale de phénomènes sociaux, et rendre ces analyses accessibles à un large public. Pour cela, les chercheurs ont eu recours aux plans de Philibert Vasserot, un atlas par îlots de la capitale du début du XIXe siècle (commencé en 1810 et achevé en 1836) qui, avec ses 4 à 40 plans par quartier, constitue «l’inventaire graphique, le plus fin et le plus complet de Paris avant les modifications du 2nd Empire».
L’ouvrage est partagé en deux grandes parties. La première rassemble six contributions sur les «méthodes de reconstitution du plan Vasserot». Les articles compilés présentent en détail cette source fondamentale du projet, les sources annexes (principalement les données 2004-2006 de l’APUR (Atelier Parisien d’Urbanisme) mais aussi une dizaine d’autres documents variés, ainsi que les méthodologies utilisées pour mettre en place un SIG à partir de ces sources. L’une des dernières contributions expose les enjeux de l’élaboration de la plate-forme de webmapping liée au projet et son influence sur les pratiques de travail des chercheurs. Les textes s’attardent longuement sur l’interprétation du plan Vasserot (qui ne dispose pas de légende et dont la légende varie selon les feuillets, les plans d’îlots étant adaptés à la taille de la page) et sur les étapes de géoréférencement et de calage des éléments du plan dans le SIG. Si les auteurs s’y intéressent autant, c’est que les objectifs du programme comprenaient autre autres la recherche d’éléments contribuant à expliquer la morphogénèse du tissu urbain, ce qui dans certains cas (notamment le repérage des tracés des enceintes dont il ne subsiste plus de traces archéologiques) supposait «une analyse fine de l’orientation des segments de parcelles et de voies». Plusieurs manières de mesurer les déformations sont ainsi présentées dans un objectif louable de transparence scientifique sur les apports et les limites des données produites et notamment la qualité du géoréférencement. Toutefois, dans cette partie, les contributions sont souvent redondantes voire contradictoires dans l’interprétation des résultats de l’analyse de différents indices de déformation. Ainsi un auteur affirme, par exemple, qu’il n’y a pas de logique spatiale dans les déformations observées (p. 48) tandis qu’un autre prétend au contraire que la qualité du calage est globalement meilleure au centre de la carte qu’en sa périphérie (p. 76-77). Enfin, la dimension parfois très technique de ces contributions interroge sur leur pertinence pour un large public d’amateurs de l’histoire de Paris, qui fait pourtant partie du lectorat visé. À ce stade on se demande aussi comment à partir du plan Vasserot (XIXe siècle) et des données de l’APUS (XXIe siècle), les auteurs ont pu reconstituer des plans de Paris au Moyen Âge (1300 et 1380).
La seconde partie, plus thématique, propose dix contributions illustrant des «analyses spatiales de l’espace parisien» qui exploitent «la dimension spatiale du parcellaire ancien dans une perspective historique, principalement médiévale et moderne». Après une série de textes portant sur les différentes enceintes historiques de Paris, leur localisation et leur rôle dans la morphogénèse de la ville à partir du plan Vasserot, l’un d’eux revient sur «la création de plans de référence pour la fin du Moyen Âge» (p. 157). Ces mêmes plans seront utilisés par la suite, notamment dans la sous-partie «usage de l’espace» qui présente des contributions mettant en pratique l’utilisation thématique du SIG pour l’analyse spatiale des phénomènes sociaux comme les sources fiscales du règne de Philippe Le Bel, la localisation des établissements religieux ou encore la typologie des hôtels aristocratiques. Si ces thèmes sont déjà très bien documentés par les historiens travaillant sur Paris, les analyses cartographiques fines présentées ici sont impressionnantes grâce notamment à la résolution des données; elles vont au-delà des essais cartographiques déjà entrepris. On reste toutefois sur sa faim lorsqu’une contribution présente des résultats préliminaires de travaux encore en cours.
Issu d’une collaboration interdisciplinaire féconde, Paris, de parcelles en pixels présente, au final, les résultats de 4 années de travaux menés dans le cadre du programme de recherche. C’est un outil de grande qualité scientifique qui permet des analyses et des représentations cartographiques innovantes de phénomènes sociaux du Paris médiéval ou moderne et de la morphogénèse de la capitale. À ce titre, il constitue sans aucun doute une base plus que solide pour de futures recherches, avec en particulier la plate-forme de webmapping (dont les données thématiques sont encore relativement pauvres et l’usage pas vraiment intuitif). On regrette toutefois quelques défauts (fort niveau de technicité, redondances, etc.) liés à la nature même de l’ouvrage (acte de colloque) qui pourraient l’empêcher de trouver un public au-delà des disciplines des spécialistes qui ont contribué à son élaboration.
Référence de l’ouvrage
NOIZET H., BOVE B., COSTA L. (2013). Paris, de parcelles en pixels. Saint Denis: Presses Universitaires de Vincennes; Paris: Comité d'histoire de la ville de Paris, 343 p. ISBN: 978-2-84292-364-8