N°111

Atlas mondial des sexualités

La collection «Atlas/Monde» des éditions Autrement ne cesse de s’enrichir et ce nouvel ouvrage consacré aux sexualités vient combler un vide sidérant, corroboré par l’impressionnante couverture médiatique dont a bénéficié cet atlas, à la fois dans les journaux ou les magazines, mais également à la radio et à la télévision, en France comme à l’étranger. Les deux auteurs, Nadine Cattan, directrice de recherche au CNRS, et Stéphane Leroy, professeur à l’université d’Angers, qui n’en sont pas à leur première collaboration, travaillent sur les questions de genres et sur les homosexualités.

L’atlas est divisé en cinq parties. La première traite de l’encadrement des rapports sexuels et de la reproduction (âge légal du mariage, polygamie, législations sur l’homosexualité ou l’avortement, contraception, éducation sexuelle…). Une double page de synthèse révèle ce que nous savions déjà, mais qu’il est utile de rappeler et bien-fondé de cartographier: que l’on n’a pas la possibilité d’avoir partout une vie sexuelle libre et sereine. Ainsi s’opposent des pays occidentaux permissifs, mais où certains droits peuvent être menacés ou reculer, comme en Espagne très récemment avec l’avortement, à des pays en développement répressifs.

La deuxième partie dresse un large éventail des pratiques sexuelles et amoureuses en Occident, faute d’informations sur le reste du monde. Le modèle classique du couple hétérosexuel est mis en question face à l’infidélité ou au développement de l’échangisme. À côté d’une analyse classique de la nuptialité ou du célibat, les nouvelles formes d’union (mariage homosexuel en Espagne, PACS en France) sont abordées, à l’instar des nouveaux codes amoureux qui redéploient les rapports sexuels de la chambre conjugale, du voyage de noces ou des bois d’amour d’antan aux parcs urbains, plages, voitures, toilettes ou springbreak et croisières gay, rappelant la relation étroite entre tourisme et plaisir. Dans ce nouveau paysage amoureux, Internet est devenu un outil incontournable, catalysant le désir, multipliant les possibilités de rencontres et favorisant la drague avec ses codes inédits.

La commercialisation et l’industrialisation du sexe sont les sujets de la partie suivante. Argent, mafia, exploitation des femmes et des jeunes filles sont au centre de cette mondialisation, souvent criminelle mais de moins en moins souterraine. Les thèmes balayés ici vont de l’ignoble traite d’êtres humains avec les réseaux de prostitution, exploitant la misère des pays pauvres, aux polissons sextoys, en passant par le grand marché de la pornographie ou le navrant commerce de cornes de rhinocéros, produit considéré comme aphrodisiaque par excellence en Asie du Sud-Est.

La quatrième partie porte sur les violences sexuelles, soulignant des formes ancestrales de la domination masculine. Le viol en est un exemple puisque l’écrasante majorité des victimes sont des femmes alors qu’à plus de 95% les agresseurs sont des hommes. Sa crainte influence considérablement l’usage féminin des espaces publics. Le viol est aussi une arme de guerre et tous les conflits récents ont révélé l’ampleur de ces crimes. Les enfants sont également en danger, avec différentes formes de maltraitance et de trafic (pédophilie, inceste, prostitution et pornographie). L’épidémie de SIDA est également cartographiée et les autres infections sexuellement transmissibles évoquées.

L’ouvrage s’achève sur les sexualités minoritaires dans la ville. À côté de cartes montrant les principaux quartiers gays dans le monde ou les gay pride, on en découvre d’autres à une échelle beaucoup plus fine sur les pratiques des gays et lesbiennes dans les métropoles, spécialement Paris. Cette dernière partie se conclut sur une convaincante modélisation de la ville gay, avec ses quartiers gay, ses secteurs résidentiels «gaytrifiés», ses «no gay’s land» périphériques ou ses lieux de racolage extérieurs que sont les parcs ou les bois. Une conclusion révèle tout l’intérêt d’une approche géographique des sexualités. Elle est complétée par une bibliographie et un index.

Cet atlas, qui semble une gageure eu égard au problème des données, prouve que ce sujet a toute sa légitimité scientifique et que la mise en carte des sexualités est passionnante et très instructive. Félicitons la géographe-cartographe Cécile Marin, qui a signé la cartographie de cet atlas ainsi que de quelques autres chez Autrement. Quelques formes de représentation inventive, en carroyage (p. 83) ou en cercles concentriques (p. 47), cette dernière étant discutable et pas facile à comprendre, côtoient une cartographie classique par plages, qui assure la grande majorité du traitement de l'information. On notera le souci de variété des cinq cartes de la double page «Synthèse» concluant chaque partie. Une forte dose de graphes en barres complète l’iconographie. Les auteurs de cet Atlas mondial des sexualités ont su éviter cartes et graphiques trop petits, à la limite de la lisibilité, principal défaut des atlas de cet éditeur.

On pourra regretter l’absence d’analyse des mutilations sexuelles. De même, la relation tourisme-sexualités nous semble un peu trop rapidement et sommairement étudiée. Cela reste toutefois des points de détail par rapport à la qualité de l’ouvrage, qui nous permet d’entrer dans ce sujet par l’espace et les lieux. Fruits d’observations de terrain, les cartes à un niveau très fin de la plage gay de Maspalomas (Canaries), de la partie naturiste et libertine du Cap-d’Agde ou des jardins du carrousel du Louvre, haut lieu d’interactions sexuelles entre hommes, nous font entrer au cœur des pratiques. Dans la volonté de cartographier certains phénomènes, on peut se demander s’il n’aurait pas fallu prendre plus de précautions vis-à-vis de certaines informations. Nous sommes par exemple dubitatif sur celles traitant de l’infidélité. Ce défaut ne donne que plus d’intérêt à cet atlas, qui ouvre de nouveaux horizons à la recherche en géographie.

Avec cet ouvrage, les géographes Nadine Cattan et Stéphane Leroy nous offrent une approche démédicalisée, décomplexée et incarnée des sexualités ainsi qu’un discours engagé en faveur de la tolérance, du plaisir et des libertés sexuelles.

Référence de l’ouvrage

CATTAN N., LEROY S. (2013). Atlas mondial des sexualités. Libertés, plaisirs et interdits. Paris: Autrement, coll. «Atlas/Monde», 96 p. ISBN: 978-2-7467-3161-5