Les corridors de lahars du volcan Merapi
Le site d’extraction de Kemiricilik, dans le corridor de lahar de la Boyong, versant sud du Merapi |
(Cliché: Édouard de Bélizal) |
Les dépôts laissés par l’éruption explosive de 2010 du volcan Merapi (Java, Indonésie) ont été presque instantanément remobilisés en coulées de débris volcaniques (lahars) par les pluies de mousson, produisant de vastes et profonds corridors. Ces phénomènes de transferts représentent un danger certain pour les populations locales, tant l’énergie des flux est élevée.
Des corridors de lahars dont la formation est source de danger
La thèse commence par analyser ce risque en insistant sur la récurrence de ces lahars après une éruption explosive majeure et en détaillant leurs impacts morphogènes (incision et aggradation du lit, élargissement de chenaux, défluviations, débordements), sources de dommages pour les communautés locales. De novembre 2010 à mai 2011, pendant la saison des pluies qui a immédiatement suivi l’éruption, les 240 lahars ont endommagé 860 maisons (dont 215 entièrement détruites ou ensevelies) et ont emportés 14 barrages et 21 ponts. Cependant, les lahars du Merapi ne doivent pas être seulement considérés comme des aléas puisqu’ils sont les vecteurs d’une ressource minérale très prisée par les populations locales.
Des corridors de lahars qui attirent des travailleurs
Les dépôts de lahars qui contiennent essentiellement des sables grossiers, des graviers et des blocs représentent une matière première pour l’industrie du bâtiment, qui se vend très cher. Les corridors de lahars ne sont donc pas des espaces répulsifs, quand bien même ils sont fréquemment traversés par des coulées de débris. Ce sont, au contraire, des espaces attirant chaque jour près de 3 000 personnes qui n’hésitent pas à se mettre en danger pour les exploiter. Les bénéfices quotidiens peuvent être quatre fois supérieurs à ceux d’un agriculteur. La thèse a également fourni une étude détaillée de cette activité, en recensant toutes les carrières et en estimant les flux quotidiens de camions pour quantifier les rythmes de l’extraction. Les enquêtes ont révélé un défaut d’encadrement majeur, montrant l’aspect très anarchique de cette activité qui apparaît donc très informelle malgré son ampleur (jusqu’à plus de 950 travailleurs sur certains sites d’extraction). D’après les résultats d’un questionnaire auquel ont répondu 733 travailleurs en juin 2011, la connaissance des signes avant-coureurs d’un lahar, de ses processus de déclenchement et de ses impacts est excellente. La totalité des personnes ayant répondu aux questions a donné les réponses exactes, traduisant une très bonne perception du danger. D’ailleurs, la quasi-totalité d’entre elles ont déjà assisté à un lahar. Le risque est donc accepté par les travailleurs.
Des sites d’extraction méconnus à intégrer à l’étude des risques au Merapi
L’articulation de l’aléa et de la ressource permet ainsi de comprendre que le risque lié aux lahars ne se limite absolument pas aux seuls villages riverains des corridors, mais concerne aussi ces corridors eux-mêmes, où des enjeux réels sont menacés par des écoulements particulièrement fréquents après l’éruption de 2010. La thèse a cherché à intégrer l’existence de ces carrières à l’étude des risques, pour établir une carte plus complète associant la totalité des lieux de danger au Merapi. Les sites d’extraction ont donc été définis comme des objets spatiaux sur lesquels une analyse multifactorielle pouvait être réalisée à partir de données de terrain pour estimer une valeur de risque. Celle-ci a été calculée d’après le produit d’une valeur d’aléa (fréquence d’occurrence des lahars dans le corridor concerné), de vulnérabilité et d’enjeux. La gageure était de pouvoir quantifier ces deux dernières variables, afin d’obtenir une valeur numérique du risque permettant ensuite le classement des sites entre eux. Il s’agit de réfléchir à ce que signifie «être vulnérable» dans un site d’extraction. On entend par vulnérabilité la faiblesse d’une population ou d’infrastructures exposées à un ou des aléas, caractérisant «leur propension à souffrir des impacts d’un aléa» (D’Ercole et al., 1994; D’Ercole, 1998). La vulnérabilité est donc indissociablement liée à un territoire bien précis (Reghezza, 2006) et doit donc être analysée en fonction de l’espace ou du territoire sur lequel porte la recherche.
L’élément principal de vulnérabilité retenu pour les sites d’extraction a été la prise de risque volontaire: les travailleurs continuent-ils de creuser lorsqu’il pleut en amont, quand bien même ils savent que cela suppose le très probable déclenchement d’un lahar? Une dizaine d’autres indices de vulnérabilité ont été utilisés d’après les réponses au questionnaire: présence ou non d’un système d’alerte, respect des consignes de sécurité, expérience dans les carrières… Les risque a été quantifiés en fonction du nombre de camions, d’engins mécaniques, de travailleurs et d’échoppes présents chaque jour en moyenne sur chaque site d’extraction ce qui a permis de mettre en avant ceux pour lesquels le danger était plus élevé.
Cette méthode d’analyse permet une comparaison des espaces étudiés entre eux, en voyant quels sont les facteurs de risque qui prédominent. Peuvent ainsi être délimités les sites d’extraction sur lesquels la vulnérabilité est particulièrement élevée, et ceux nécessitant également une grande vigilance car les personnes et les biens exposés y sont nombreux. La thèse a donc pour intérêt de préciser l’étude des risques liés aux lahars au Merapi, en intégrant à la réflexion des espaces encore peu observés, bien que directement exposés aux écoulements: les sites d’extraction dans lesquels des milliers de personnes travaillent chaque jour.
Un moyen de subsistance durable? Réflexions sur l’activité d’extraction
Les fortes densités de population du Merapi, comme d’ailleurs celles des autres volcans javanais, s’expliquent principalement par la présence de moyens de subsistance durables. Le risque apparaît ainsi acceptable car la menace des aléas est contrebalancée par une ressource abondante, notamment agricole (Kelman, Mather, 2008). L’activité d’extraction peut-elle être qualifiée elle-aussi de moyen de subsistance durable? Certains théoriciens du risque ont bien montré qu’une société reposant sur un accès aux ressources limité voire peu durable est particulièrement vulnérable (O’Keefe et al., 1976; Twigg, 2001; Wisner et al., 2004 ; Gaillard, 2008). Dans le cas des extractions dans les dépôts de lahars du Merapi, les observations de terrain menées pendant trois ans (2008, 2009, 2010), les entretiens et le questionnaire ont montré la grande fragilité d’une telle activité. Son manque de structure, qui laisse une grande part à la corruption, l’absence de contrôle de la ressource et d’exploitation raisonnée des volumes disponibles, l’exposition aux aléas de travailleurs toujours plus nombreux qui de plus en plus dépendent uniquement de cette activité ne permet pas sur le long terme de réduire la vulnérabilité des populations du Merapi. Peu après une éruption, extraire les dépôts de lahars peut certes permettre de rebondir après la perte de revenus économiques (champs ensevelis, manque à gagner pendant les évacuations). En ce sens, une éruption favorise la résilience des communautés vivant sur le Merapi. Toutefois, elle ne les renforce pas sur le long terme mais a tendance à les affaiblir. L’exploitation des dépôts de lahars n’est pas un moyen de subsistance suffisamment stable et solide pour permettre durablement le développement des populations du Merapi et assurer leur capacité de résistance face aux éruptions volcaniques et aux lahars.
Les corridors de lahars, tel celui représenté sur la photographie illustrant la thèse, sont ainsi l’image de la vulnérabilité au Merapi. Les populations bénéficient d’une ressource qui apporte des bénéfices à très court terme, mais qui n’est pas durable, et qui, par là-même, peut augmenter le risque de catastrophe sur le volcan.
Référence de la thèse
BÉLIZAL de É. (2012). Les corridors de lahars du volcan Merapi (Java, Indonésie): des espaces entre risque et ressource. Contribution à la géographie des risques au Merapi. Paris: Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 494 p.
Bibliographie
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